DIRECTIVE BOLKESTEIN : LA GRANDE INCERTITUDE DES DECIDEURS ?
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DIRECTIVE BOLKESTEIN : LA GRANDE INCERTITUDE DES DECIDEURS ?
Par Jean-Claude Charitat
On vient de vous le dire et de vous le redire, la directive européenne Bolkestein ne sera pas appliquée (du moins, pas tout de suite) ; les médias ont fait grand effort de pédagogie pour nous expliquer le contenu et les dangers de cette directive (surtout ceux, et ils sont nombreux, qui avaient complètement oublié qu’elle existait, par exemple France Inter). Le président de la République française, membre du conseil européen, suivi par le Premier ministre, membre du conseil des ministres européens viennent de découvrir l’un après l’autre tous les méfaits de cette directive sur l’avenir de l’Europe (à moins que ses effets négatifs craints soient essentiellement liés à la prise de conscience d’un nombre de plus en plus important de citoyens de la nécessité de voter non au projet de « traité constitutionnel européen »). Il a suffit de 48 heures et de la disponibilité complète des médias pour expliquer à tout le monde tous les méfaits que pourraient engendrer l’application de cette directive, de façon presque conforme à ce que nous disons depuis un an. Les forces en présence se modifient-elles aussi rapidement avec l’arrivée quotidienne d’organisations politiques, syndicales ou associatives dans le camp de ceux qui refusent cette Europe du capitalisme ultralibéral ainsi qu’avec la montée en puissance des mouvements sociaux unitaires et déterminés face à la braderie économique que l’on nous impose pour que l’on aboutisse à des revirements aussi spectaculaire ? Ce constat pourrait nous amuser si ses conséquences n’étaient pas aussi dramatiques : le conseil européen étant et restant l’instance suprême de décision pour l’Europe, notre président (qui est l’un des vingt-cinq membres) connaîtrait seulement très mal les directives administratives qui y sont proposées pour mise en application ? Le conseil des ministres européens dont une mission est de valider la législation européenne et d’en contrôler l’exécution, notre Premier ministre (qui est l’un des vingt-cinq membres) ne sauraient pas non plus très bien ce qui se passe dans ces instances et que ce qu’on y propose ? Pour faire bref, les commissaires européens membres non élus au niveau de l’Europe savent et font beaucoup plus de choses que nos responsables démocratiquement élus, même quand le ministre Michel Barnier désapprouve vivement ce que l’ex-commissaire Barnier Michel avait accepté sans sourciller. Que dire du silence quasi unanime et consternant des anciens et nouveaux députés européens pendant toute cette année ? Je n’avais personnellement pas souvenir d’avoir confié une quelconque responsabilité aux nouveaux énarques que sont les commissaires européens. Il est évident que nos élus ont besoin de conseillers techniques et administratifs mais il convient de rappeler fermement que ce sont nos élus qui sont responsables des erreurs de ces administratifs et que la démocratie s’adapte très mal aux modifications fondamentales lorsque celles-ci sont issues de directives ou de circulaires préparées par des gens qui ne sont pas mandatés par les citoyens (tels que messieurs Lamy ou Bolkestein). Ce grand virage doit nous conforter dans notre décision d’affirmer haut et fort que l’Europe que l’on nous propose n’est pas une Europe sociale ni démocratique, qu’elle est dirigée par des technocrates non élus, par des présidents et des premiers ministres manifestement versatiles et dont les changements d’opinion ne semblent avoir qu’un rapport lointain avec les intérêts de l’Europe. Oui, nous voulons bien d’une Europe démocratique et sociale où les représentants directs des peuples aient d’autres pouvoirs que la répartition budgétaire des reliquats financiers, une Europe qui ne soit plus au service des intérêts financiers et industriels, une Europe qui conserve et développe des services publics pour ses citoyens, en fait d’une Europe radicalement différente de celle que nous propose le traité constitutionnel. Il convient toutefois sur un sujet aussi sensible de redevenir un instant plus sérieux et de ne pas laisser croire à la naïveté de nos dirigeants : bien évidemment cette directive arrive trop tôt. Elle se situe tout à fait dans la ligne générale définie par leur " future constitution ", elle est conforme aux orientations de l’organisation mondiale du commerce (O.M.C.), elle se situe également dans la droite ligne de l’accord général du commerce des services (A.G.C.S.) cet accord très cher à un autre ex-commissaire européen, le commissaire Lamy (du peuple ?). Il est évident que nous avons en face de nous une organisation lourde et bien huilée (surtout ne me demandez pas pourquoi) : ceci lui permet d’avancer et ce n’est que lorsqu’on découvre des effets pervers qu’on s’interroge sur la « rationalité » de ce libéralisme ultra qui n’a pourtant rien de nouveau. C’est ce qui vient d’arriver : les libéraux savaient bien que la " libre concurrence " allait engendrer un démantèlement progressif des services publics dans nos pays socialement plus avancés, ils avaient bien conscience du fait qu’il y aurait transfert de travailleurs à des salaires et charges moins élevés que ceux qui sont pratiqués par l’application de nos garanties sociales mais ils avaient grandement sous-estimé les capacités de cette nouvelle "concurrence libre et non faussée" (article I-3 du projet de traité constitutionnel) par la mise en place de l’accord général du commerce et des services (A.G.C.S.) et par l’application de la directive Bolkestein. Mais ainsi, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes libéraux : on fait venir à moindre coût des travailleurs, des artisans, des commerçants et des services des pays les plus pauvres de l’ensemble européen, on exige des administrations concernées la mise en place systématique de concurrence avec ces nouveaux "fournisseurs potentiels", on fait baisser les coûts (pour la qualité on verra plus tard), bref, on rabote par le bas, et les plus pauvres auront beau protester, on compte sur l’indifférence ou l’acquiescement des autres. Mais on a sous-estimé la capacité de prise de conscience des citoyens pour casser cette machine, aussi bien huilée qu’elle soit, et l’approche du référendum, qui se conjugue avec une montée forte de mécontentement, fait atteindre un seuil d’alerte dans la politique politicienne (et si le non l’emportait ?) Le ratissage a pourtant été large du centre droit au centre gauche, mais suffirait-il à endiguer un nouveau raz-de-marée si les citoyens prennent conscience du piège qui se referme sur eux ? Il y a également un effet pervers, une faille aux incidences multiples dans le raisonnement des libéraux. Obliger la mise en concurrence systématique dans les services publics (A.G.C.S), participer à la mise en place d’une main-d’œuvre et de son encadrement à bon marché (directive Bolkenstein), encourager une économie de marché où la concurrence est « libre et non faussée » (traité constitutionnel), tout cela conduit à une incidence majeure qui dépasse largement le cadre des classes laborieuses. En effet, les systèmes administratifs et économiques des pays d’Europe les plus développés ont conduit les entreprises à se doter d’importantes structures administratives, et ceci n’est nullement le cas des structures légères prêtes à se déplacer pour répondre à la demande sur l’ensemble du territoire européen. Et ces structures légères sont d’autant plus compétitives qu’elles émanent de pays ayant le moins d’avantages salariaux et sociaux ; le résultat brutal de ces nouvelles volontés économiques européennes consiste en une faillite rapide de nombre de nos entreprises qui n’ont pas délocalisé, engendrant une baisse de la production et de l’emploi suivie rapidement par une baisse globale de la solvabilité des consommateurs, donc par une chute massive du commerce de proximité. Mais oui, ce sont toujours les travailleurs qui produisent la richesse, et, donc, ne plus fournir de travail à nos concitoyens c’est engendrer à court terme une crise majeure dont l’ensemble de l’Europe dont l’éventuelle sortie ne pourra que le faire par le bas, laissant ainsi sur le bas-côté de la route "libérale" une multitude d’artisans, de commerçants et d’entreprises locales de production.
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