TRIBUNE : L’EUROPE AU DARFOUR, L’ULTIME RECOURS ?
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Pour le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le Darfour, cette province de l’ouest du Soudan où se déroulent depuis 2003 des massacres à grande échelle est "l’enfer sur terre". Ni les accords de paix scellés à Abuja le 5 mai 2006, ni le renforcement des contingents de l’Union Africaine (1) , ni le vote d’une énième résolution onusienne n’ont mis fin à la catastrophe humanitaire. L’enfer brûle toujours.
Depuis février 2003, les milices Janjawids issues des tribus musulmanes "arabes" et alliées du régime islamiste de Khartoum, sèment la terreur et massacrent impunément les tribus musulmanes "africaines" contestataires de l’ouest du Soudan. Le conflit du Darfour a déjà fait plus de 300 000 morts, 3 millions de réfugiés et de déplacés (principalement au Tchad voisin) et privé 500 000 personnes de toute aide humanitaire.
L’ONU a déjà voté six résolutions et qualifié les actes du régime soudanais de « crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ». Cependant, les efforts des Nations Unies pour le déploiement de Casques bleus au Darfour semblent pour l’heure vains. Le gouvernement soudanais a ainsi déclaré : « nous ne confierons jamais le Darfour à des forces internationales qui n’apprécieront jamais d’être venues dans une région qui deviendra leur tombe »(2) .
En raison de l’incurie politique et médiatique, la communauté internationale a assisté, impuissante, aux massacres massifs du Sud-Soudan - 2 millions de morts depuis 1983 - et du Rwanda - plus de 800 000 morts - d’avril à juin 1994. Aujourd’hui, la mobilisation internationale pour faire cesser le premier génocide du XXIème siècle est une priorité majeure.
Les éléments stratégiques du conflit
Après 20 ans de guerre civile, un accord de paix entre le nord et le sud du pays a été signé en janvier 2005, sans que cela n’ait changé la posture du gouvernement central de Khartoum à l’égard des populations de la périphérie du Soudan, et notamment les cultivateurs noirs du Darfour. Dans un contexte de raréfaction des ressources alimentaires résultant d’une longue sécheresse et d’une forte croissance démographique, le régime soudanais s’est résolument engagé dans une politique d’éviction des populations "africaines" sédentaires au profit des nomades "arabes" réputés plus proches du pouvoir. La découverte récente de ressources minières et pétrolières au Darfour semble avoir renforcé cette politique. Le Soudan produit 500 000 barils/jour et représente près de 6% des importations chinoises de pétrole ; cette donnée explique à elle seule l’opposition de la Chine au sein du Conseil de sécurité à toute intervention. Ainsi, pour se défendre contre le régime de Khartoum et lutter contre l’inégale répartition des richesses, des mouvements rebelles se sont constitués. L’inaction de la communauté internationale s’est longtemps fondée sur les risques de déstabilisation régionale (fragilité du régime tchadien) et le souci du maintien de la fragile paix entre le nord et le sud du Soudan.
Un pouvoir dictatorial et illégitime
La proclamation, en 1983, de la Charia, loi islamique reléguant les non musulmans au rang de citoyens de seconde classe, fut la cause principale de la guerre entre le gouvernement de Khartoum et le sud peuplé majoritairement d’animistes et de chrétiens.
En 1989, alors que le gouvernement et le parlement démocratiquement élus s’apprêtaient à conclure la paix avec le sud Soudan et à supprimer la Charia, le parti islamiste (3) , qui n’avait recueilli que 10 % des voix lors des premières élections libres, prend le pouvoir par la force. De surcroît, dès 1991, le régime de Khartoum théorise sa politique raciste en intégrant dans son Code pénal la notion d’infériorité des "africains noirs".
Depuis, c’est sans partage que le président, Omar el-Béchir exerce son pouvoir. Au Soudan, le multipartisme affiché a des limites. Si plusieurs partis politiques islamiques sont présents (Baas, Oumma, etc.) un seul exerce sa domination : le Congrès national. Aux législatives de 2000, il a ainsi remporté 355 sièges sur 360. Les partis d’opposition sont interdits et seules les candidatures personnelles sont autorisées ; ainsi en 1996, lors des dernières élections présidentielles « fantoches », le président sortant fut le seul des 41 candidats en lice à pouvoir prétendre faire campagne et obtint 86,6% des suffrages.
Auprès de la majorité des soudanais, le régime de Khartoum dont terreur et brutalité sont le credo, est définitivement illégitime. Les enlèvements, la torture, et les meurtres, renforcent le climat de peur et d’insécurité. Face à cette dictature, il n’est plus concevable d’envisager une autre voie que sa mise à l’écart.
Pour de nouveaux rapports Nord-Sud
Dans ce contexte, la France qui maintient ses relations diplomatiques avec Khartoum a un rôle moteur à jouer pour encourager la paix et les tentatives de démocratisation. Dès lors, la mise en place de nouveaux rapports Nord-Sud plus équilibrés passe par la proclamation et l’application de principes universels que sont la démocratie et les droits fondamentaux des populations.
L’Afrique souffre de nombreux maux à commencer par la corruption et la quasi absence de système démocratique. Le Soudan en est un exemple exacerbé. Ainsi, l’aide alimentaire internationale favorise la corruption du régime et encourage l’urbanisation de certaines régions au détriment d’un développement économique équilibré et durable du Darfour. La France doit donc encourager l’amorce d’un processus de démocratisation du Soudan et tout faire afin qu’un nouveau chaos ne succède au régime d’Omar el-Béchir.
L’impuissance de l’ONU est surmontable
L’Etat soudanais, qui assimile l’ONU à des croisés, refuse toujours la présence d’une force internationale sur son territoire. La France dispose pourtant de deux voies d’action pour s’investir concrètement dans la résolution du conflit.
En premier lieu, si la France refuse de se contenter de la résolution 1706 du 31 août 2006 dont l’application demeure subordonnée à l’accord de Khartoum et risque de bien de rester un vœu pieu, elle pourrait agir concrètement en prenant l’initiative d’une nouvelle résolution de l’ONU autorisant l’usage de « mesures coercitives » et organisant enfin le déploiement de Casques bleus au Darfour.
Dans une telle hypothèse, une mission militaire européenne pourrait même venir en soutien de celle de l’ONU. La mission européenne en République Démocratique du Congo (EUFOR), en août 2006, à l’occasion des élections présidentielles, en soutien de la mission de l’ONU (MONUC) a démontré l’efficacité d’un tel dispositif dans lequel l’Union Européenne a eu la possibilité de réaffirmer une vision propre de la sécurité internationale. Cette politique extérieure de l’Union permettrait aux européens de s’inscrire de manière ostensible dans le cadre du multilatéralisme onusien. En raison des risques de veto russes et chinois, l’action de l’ONU a cependant peu de chances d’aboutir.
Aussi, pour sortir de l’impasse, une autre démarche est envisageable. Un Etat de l’Union Européenne peut, en effet, assumer de sa propre initiative une mission de Politique européenne de Sécurité et de Défense (PESD) dès lors que cette action vise : « le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, [...] le développement et le renforcement de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales »(4) .
Javier Solana, secrétaire général du Conseil de l’Union Européenne et Haut représentant pour la PESC, définissait, à travers l’élaboration de la Stratégie européenne de sécurité adoptée en décembre 2005, l’utilité de la PESC dans ces termes : « une sorte de philosophie générale de l’action dans le monde » reprenant implicitement le concept onusien de « responsabilité de protéger ». La France pourrait ainsi, en qualité de « Nation cadre » d’une opération militaire européenne, avec des règles d’engagement clairs - sous chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en ayant accès aux moyens militaires et capacités collectives de l’OTAN - conformément à la décision du sommet de 2001 dit « Berlin plus », pleinement « assumer l’exercice de son droit d’initiative en matière de gestion de crise internationale et la responsabilité de la coordination d’une intervention militaire ».
En outre, si l’Union Européenne peut planifier et conduire des opérations autonomes, avec ses propres moyens , elle peut aussi solliciter les moyens logistiques de l’OTAN. Elle a déjà eu recours aux moyens de l’OTAN en Macédoine (opération Concordia en 2003) et actuellement dans le cadre de la relève de la SFOR en Bosnie-Herzégovine (opération Altéa). Ainsi, l’intervention au Darfour pourrait se faire sous l’égide d’une mission européenne en matière de gestion de crise ; cette mission couplerait ainsi la légitimité du multilatéralisme, la cohérence de la PESD et les moyens militaires et logistiques de l’Alliance.
Promouvoir la Démocratie
La réaction de l’ONU se faisant attendre, il est de notre devoir de réagir avant que les ethnies du Darfour ne disparaissent définitivement. Il convient d’agir énergiquement pour surmonter l’impuissance de la communauté internationale à arrêter ce carnage. Face au blocage actuel et semble t-il durable de la situation au Darfour, une prise de conscience collective quant à la légitimité d’une présence internationale, malgré l’hostilité de Khartoum, est devenue plus que nécessaire. Le respect de la souveraineté nationale ne doit pas laisser nos démocraties accepter l’inacceptable ! Il en va de la responsabilité qui incombe à toute démocratie pour rétablir l’Etat de droit et garantir le sort de populations trop longtemps opprimées. Le Darfour, en situation de crise majeure et d’atteinte à la paix et à la sécurité internationale en est le plus éclatant exemple. Les Français et l’ensemble de la communauté internationale doivent ainsi se mobiliser contre le premier génocide du XXIème siècle, car cette fois-ci nous savons.
(1) 4000 soldats supplémentaires, en plus des 7000 Casques blancs de l’Union Africaine déjà présents.
(2) Déclaration rapportée le 28 juillet 2006 par l’agence de presse officielle soudanaise.
(3) Emanation du mouvement des Frères musulmans.
(4) Titre V du Traité de l’Union Européenne consacré à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Mahor Chiche est président de Sauver Le Darfour (www.sauverledarfour.org) et Emmanuel Dupuy est président de Union des Républicains Radicaux (www.u2r.org)
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