Le non : un drame pour « Le Monde »
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Un biologiste dissèque le discours de Charles Wyplosz
Le non : un drame pour « Le Monde »
Par Jean-Michel Guillon
Avertissements : D’abord, je tiens à préciser que je n’ai rien contre Monsieur Wyplosz que je ne connais pas personnellement et dont j’ignorais l’existence avant d’avoir lu sa tribune dans le journal « Le Monde ». Même si je juge ses propos souvent dérisoires, parfois révoltants, je reconnais à Monsieur Wyplosz le plein droit d’exprimer ses opinions. Je souhaite aussi qu’il dispose d’un droit de réponse à mon analyse, s’il le désire. Je juge plus sévèrement la rédaction du journal « Le Monde », qui a la liberté de publier ce qu’elle veut... Mais aussi la liberté de ne pas publier. Mes commentaires viennent interrompre le propos de l’auteur, ce qui présente le risque de brouiller sa compréhension. C’est pourquoi je vous conseille de vous pencher d’abord sur le texte, tout le texte, rien que le texte de Charles Wyplosz (http://www.lemonde.fr/web/article/0...), dont je ne dirais pas qu’il est un texte majeur du néo-libéralisme, mais plutôt un petit morceau de bravoure.
(Les paragraphes en italiques ci-dessous reproduisent intégralement le texte de Charles Wiplosz)
Le non : un drame pour la France, pas pour l’Europe, par Charles Wyplosz (LE MONDE/22.04.05, Charles Wyplosz est professeur d’économie à l’Institut des hautes études internationales de Genève)
"Sauf miracle, la France va rejeter la Constitution. Pour l’Europe, ce sera un échec mais pas un drame. Nous serons ramenés au traité de Nice (2000), cet accord si bancal dont chefs d’Etat et de gouvernement ont eu si honte qu’ils ont imaginé qu’une Convention réussirait là où ils ont échoué. Il leur faudra reprendre leur courage et faire un minimum de toilettage pour un nouveau traité, qu’il faudra bien ratifier par la suite. Mais l’Europe ne sera pas vraiment bloquée puisque, même ratifiée, la Convention n’aurait remplacé le traité de Nice qu’en novembre 2009. D’ici là, on a le temps."
Déjà deux erreurs : ça commence fort ! D’abord, je suppose que l’auteur veut parler de la ratification du Traité Constitutionnel, et non de la « Convention » qui a préparé ce texte ! Ensuite, il suffit de se pencher un peu sur le traité pour savoir qu’il est prévu d’entrer en vigueur le 1er Novembre 2006 (1). Je tiens aussi à préciser que je ne crois pas aux miracles... Ce qui ne signifie pas, loin de là, que je sois d’un optimisme débordant quant au résultat du scrutin du 29/05.
"En revanche, pour la France, le non est très grave. Il confirme l’incapacité de notre pays à moderniser la vision qu’il a de lui-même et du monde qui nous entoure."
"Moderniser" : ça, c’est que j’appelle un « mot-clé ». Une « tarte à la crème », si vous préférez. Bref : une formule vide, mais tellement à la mode qu’on aurait tort de s’en priver. En effet, sans avoir préalablement posé une conception - forcément subjective - de la « modernité », la phrase ne veut rien dire, mais ceci ne semble pas gêner l’auteur.
"Non, la France n’est pas une grande puissance qui peut rivaliser avec les grands de ce monde. Non, le français n’est plus la grande langue internationale de référence. Non, nos prouesses culturelles et scientifiques n’attirent plus les élites mondiales de demain. L’exception française ne fait que recouvrir des archaïsmes qui déroutent nos partenaires et qui nous coûtent très cher, en prestige mais aussi en emplois et en niveau de vie."
« Archaïsmes » : autre mot-clé. On comprend que « modernité » s’oppose sans doute à « archaïsmes ». On arrive alors à une définition a contrario de la « modernité » : la modernité, c’est ce qui diffère de l’« archaïsme ». Qui diffère dans quel sens ?... Dans un sens « moderne », probablement ! Je ne commenterai pas les affirmations de l’auteur, qui nécessiteraient chacune d’être argumentées. Je préciserai juste que dans mon laboratoire, qui compte une quarantaine de chercheurs et enseignants chercheurs, travaillent actuellement un Américain, une Canadienne, une Mexicaine, deux Colombiens, une Japonaise, un Allemand, un Thèque, une Bosniaque, trois Espagnols, et j’en oublie sûrement... Je concède qu’ils n’ont sans doute jamais prétendu appartenir aux « élites », pour reprendre le mot employé par l’auteur.
"Le rejet de la Constitution va faire apparaître au grand jour ce que les observateurs de la scène européenne ont constaté depuis plusieurs années : la France n’est plus le pilote de l’Europe. L’Allemagne, notre vieux partenaire, est également empêtrée dans ses contradictions, mais elle commence à remodeler son économie. Une Allemagne revigorée ne jouera plus la carte du couple franco-allemand, qui a servi de locomotive à l’Europe et donné à la France un poids sans mesure avec sa taille. Cet affaissement français en Europe et dans le monde sanctionne de graves carences accumulées depuis plus d’une décennie."
« Contradictions », « graves carences » : Dommage que l’auteur ne juge pas bon de préciser lesquelles.
"La plupart de ceux qui vont voter non ne rejettent pas l’Europe. Ils témoignent de leurs peurs de l’avenir : peur du chômage, de la compétition, des réformes, de la violence, de l’immigration."
« Peur » : mot-clé employé pour expliquer la naissance des mouvements de contestation populaire, afin de leur associer une image négative. En biologie, on considère pourtant la peur comme un réflexe utile, et même vital, qui permet à l’animal, par une libération soudaine d’adrénaline, de mobiliser toute son énergie pour répondre à ce qu’il perçoit comme un danger ou une situation d’urgence. « Réformes » : autre mot-clé. « Réformes » est souvent accompagné du qualificatif nécessaires. Les « réformes » sont nécessaires pour « moderniser ». A l’inverse, la « stagnation » (rencontrée un peu plus bas dans le texte), est la conséquence des « archaïsmes » et de la « peur » des « réformes » nécessaires. Autre point intéressant : l’auteur présuppose que si l’on vote « non », c’est ou bien pour « rejeter l’Europe », ou bien parce qu’on a « peur du chômage, de la compétition, des réformes, de la violence, de l’immigration ». L’éventualité qu’on puisse voter « non » parce qu’on juge cette Constitution mauvaise n’est simplement pas considérée...
"Lorsque les gens ont peur, ils se recroquevillent sur le passé et redoutent le changement."
Nouvel emploi du mot-clé « peur ». L’auteur esquisse ici un tableau clinique de la peur. On regrette qu’il n’ait pas développé un peu plus... Et puis non, finalement, peut-être pas ! On commence à comprendre que l’auteur écrit comme on enfile des perles : il se contente d’aligner les tartes à la crème et les affirmations gratuites. On a le droit de se défouler... Mais « Le Monde » n’était pas obligé de publier.
"La Constitution ne propose aucun véritable changement, mais concrétise le fantasme d’une perte de contrôle de notre avenir."
Enfin une affirmation intéressante, qui mériterait sans doute d’être développée, argumentée, afin que le lecteur puisse se faire une opinion... Mais non : A quoi bon ? L’auteur nous a déjà dit sa conviction que la Constitution allait être rejetée, « sauf miracle ». Et puis il y a déjà trop de gens sur le créneau... Pour faire passer dans « Le Monde » une analyse de la Constitution européenne, ces temps-ci, la compétition doit être un peu rude ! Et puis les prophéties et les incantations demandent quand même moins de boulot que d’éplucher un texte de 480 pages ! Et pour influer sur l’opinion, ça peut marcher tout aussi bien. En tous cas, d’autres ne s’en sont pas privés... Alors pourquoi ne pas essayer ?
"Ces peurs sont largement le fruit d’une incompréhension des mécanismes économiques."
Heureusement que les économistes sont là pour nous expliquer ! Nouvel emploi du mot-clé "peurs".
"Les Français, et la plupart de leurs dirigeants politiques, ont une vision idéologique de ces questions. Il y a le mal - le profit, les multinationales, les marchés financiers - et le bien - les pauvres, les chômeurs."
« Idéologique » : autre mot-clé. L’idéologie est « archaïque », bien sûr. Mais dans cette phrase, l’auteur semble surtout confondre le mot "idéologique" avec le mot « simpliste ».
"Profondément empreinte de marxisme, cette vision est à mille lieues de la réalité. Il est politiquement correct de rejeter d’un revers de manche le "modèle anglo-saxon", de le déclarer inadapté à nos traditions."
« Politiquement correct » : mot-clé très pratique qui peut être employé tantôt par les uns pour dénoncer le marxisme, tantôt par les autres pour fustiger le néo-libéralisme.
"Mais comment expliquer la stagnation prolongée de l’économie française ?"
Je crois deviner la réponse : ce n’est certainement pas la faute des économistes, mais plutôt la faute des gens qui sont « archaïques », (ou pas assez « modernes », au choix). De toute manière, « la stagnation prolongée de l’économie française » reste une affirmation gratuite.
"Nos partenaires européens, eux, ont massivement réduit le chômage. Sans s’encombrer de savoir quel modèle ils suivent, ils ont mis un terme aux innombrables bricolages étatiques qui les étouffaient comme ils nous étouffent, tout en maintenant un haut niveau de protection sociale."
Affirmations « idéologiques », comme dirait l’auteur, et toujours non argumentées. On ignore de quels « bricolages » il veut parler, mais on comprend bien que l’Etat est désigné comme coupable.
"Nous adorons nous offusquer des fondamentalistes religieux américains qui veulent que l’on n’enseigne plus le darwinisme sans présenter comme également valide le créationnisme, la croyance que Dieu a fait le monde. Mais nous trouvons normal de présenter à égalité les lois du marché et des fadaises marxisantes."
Ça, c’est un amalgame scandaleux ! La communauté des biologistes - dont je fais partie - s’accorde pour dire et pour prouver que le créationnisme n’est pas de la science, mais bien une croyance maquillée d’un vernis pseudo-scientifique plus ou moins épais. Pour que l’auteur ait le droit de faire ce parallèle, il faudrait donc que les économistes s’entendent d’abord pour démontrer que les travaux de Marx n’ont pas leur place dans les manuels de sciences économiques. Nous attendons... Mais peut-être l’auteur cherche-t-il plutôt à aider les think tanks et les lobbies créationnistes qui après l’Amérique s’attaquent aujourd’hui à l’Europe (2) ?
"Pourtant, comme le disait presque Galilée, nous vivons dans une économie de marché."
Si je saisis bien le parallèle, c’est un phénomène naturel aussi inéluctable que la rotation de la Terre ?... Et aussi essentiel pour le développement de la vie sur Terre ? Si l’auteur, en plus de nous laisser entrevoir sa vaste culture, voulait nous faire sourire, c’est plus que réussi ! La pensée unique semble avoir trouvé ici à la fois son Bourvil et son Pic de la Mirandole.
"Nous traitons avec mépris la construction européenne de "libérale", alors que la libre entreprise est ce qui crée richesse et promotion sociale."
Dans une économie de marché, c’est souvent vrai... pour la « richesse » qui se chiffre en billets de banque. Mais les enseignants, les chercheurs, les médecins, les juges et les artistes, pour ne citer qu’eux, sont-ils des nuisibles ?... Ou juste des parasites ? Méritent-ils encore pour l’auteur une « promotion sociale » ? Plus étonnant : l’auteur suggère implicitement que les critiques du projet néo-libéral européen, en voie de couronnement par ce Traité Constitutionnel, portent sur la « liberté d’entreprise »... Là ne se situe évidemment pas le débat. Pour ne citer qu’un exemple, l’article I-4-1 confère à la liberté de circulation des capitaux le rang inédit de liberté fondamentale (3). L’auteur est-il à ce point ignorant des textes européens ? Ou tente-t-il de nous rouler dans la farine ?
"Nous voulons tout mélanger, l’économique, le culturel et le social, alors que l’on peut très bien avoir une économie performante sans créer des inégalités socialement insupportables et sans brimer la vie culturelle. Il suffit de voir ce qui se passe dans les pays nordiques pour s’en rendre compte."
Possible, mais je ne vois pas le rapport avec le raisonnement... s’il y a un raisonnement.
"Nous nous nourrissons de slogans - ultralibéralisme, dumping social, fracture sociale, citoyenneté - mais ils sont creux, parce qu’ultrasimplistes."
Bien vu, l’aveugle ! (Vous connaissez l’histoire de la paille et de la poutre ?)
"Nous adorons opposer le modèle social européen à l’individualisme américain, mais il n’y a pas de modèle social européen."
Sans doute, puisque la politique sociale a été en majeure partie ignorée par les traités européens existants. Mais cela ne répond pas à la question : le moment n’est-il pas venu de construire un « modèle social européen » ? A défaut, on pressent que le modèle qui s’imposera sera celui qui s’impose déjà : « l’individualisme américain », bien réel celui-là.
"C’est bien pour cela que notre insistance à avoir une politique sociale européenne ne peut aboutir : à chacun de balayer devant sa porte, disent nos partenaires, et ils le font."
On voit se dessiner ici l’Europe du chacun pour soi, de la compétition, et du dumping social... C’est celle que nous promet le Traité Constitutionnel. L’auteur paraît s’en satisfaire. Plus loin dans le texte, on comprendra pourquoi.
"L’exception française est vraiment unique. Elle est rejetée par la quasi-totalité de nos partenaires qui ont rangé depuis longtemps les querelles idéologiques dans le placard des débats inutiles. Ils s’impatientent des efforts incessants de la France pour imposer ce qu’eux-mêmes perçoivent comme des sources de stagnation et de chômage."
Affirmations gratuites une nouvelle fois. On retrouve le mot-clé « idéologiques ».
"Le non au référendum va confirmer l’impression que la France a divergé. Nos partenaires vont continuer leur chemin en attendant que nous les rejoignions."
Affirmations gratuites et « peur de l’avenir », comme dirait l’auteur.
"Le pourrons-nous ? Tout dépend des réactions qui vont suivre le référendum. Nous n’échapperons pas à une remise en cause de nos fantasmes et de nos ignorances. Le rejet de la Constitution sera-t-il un choc salutaire ?"
L’auteur écrit « nos fantasmes » et « nos ignorances », mais je ne vois pas ce que ces mots désignent. Peut-être renvoient-ils à ses propres fantasmes ou à ses propres ignorances ?
"La coalition hétéroclite des archaïques de tous bords qui défendent le non ne peut ouvrir de nouvelles perspectives, mais elle peut bloquer les faibles velléités de réformes qui se sont exprimées ces dernières années."
Nouvel emploi des mots-clé "archaïques" et « réformes », conforme au prêt-à-penser néo-libéral. Il est maintenant urgent de dénoncer cette imposture qui consiste à prétendre que les peuples seraient opposés à des réformes lorsque que c’est le contenu desdites réformes qu’ils rejettent.
"L’établissement politique, qui a soutenu le oui, devra faire preuve d’un courage qui lui a bien manqué pour mener une réflexion collective sur les sources du mal français."
Le « mal français » : mot-clé un peu tombé en désuétude mais dont on salue ici le retour gagnant !
"Il faudra aussi reconstruire l’idée que se font les Français de l’Europe. Soumettre à référendum un document hautement technocratique que personne ne peut lire n’était pas une bonne idée."
La mauvaise idée, n’était-ce pas déjà d’avoir rédigé une Constitution « hautement technocratique que personne ne peut lire » ? Je ne commenterai pas le zèle avec lequel l’auteur défend le suffrage citoyen, moyen d’expression de la souveraineté du peuple. Je soulignerai juste qu’au détour d’une phrase, l’auteur nous avoue naïvement qu’il n’a pas lu le texte dont il souhaite la ratification ! Du coup, on comprend mieux son affirmation : « La Constitution ne propose aucun véritable changement », mais on ne l’excuse pas pour autant...
"Pour faire passer un tel texte, il aurait fallu un appui enthousiaste des responsables politiques. Mais, faute d’avoir fait preuve de passion pour la construction européenne, leurs appels sonnent creux. Ils ont utilisé Bruxelles comme bouc émissaire pour justifier des décisions difficiles. Aujourd’hui, le boomerang revient. Il va falloir enterrer la vieille idée que l’Europe sert avant tout à donner du poids à la France pour lui permettre de tutoyer les Etats-Unis. Nos partenaires ne partagent pas cette vision. S’ils l’ont longtemps tolérée sans la soutenir, le non va leur donner le droit de la rejeter, et ils ne vont pas s’en priver."
« Peur de l’avenir », encore. Le titre même de cette tribune, « Le non : un drame pour la France (...) », en est un autre exemple. Et ce n’est pas surprenant : puisque « la Constitution ne propose aucun véritable changement », aux yeux de l’auteur, il doit avoir une autre raison pour défendre le « oui » (encore une fois, c’est bien l’objectif de cette tribune que d’appeler à voter « oui » : voir sa conclusion). Moi, ça ne me dérange pas qu’il ait peur de l’avenir et même, s’il le souhaite, je veux bien tenter d’aider Monsieur Wyplosz à assumer ses contradictions. En effet, son discours se résume à dénigrer la peur de l’avenir quand elle conduit les autres à voter « non », alors que c’est sa propre peur de l’avenir, la peur de l’avenir qu’il imagine en cas de victoire du « non », qui le pousse à voter et à plaider pour le « oui » ! En fait, je pense qu’il est sincèrement mort de trouille. Un cas intéressant.
"Il va aussi falloir comprendre que la compétition économique est le seul moyen de ne pas régresser."
Ça tombe bien : j’ai envie de comprendre !
"Le non semble porté par une peur profonde de la compétition, comme si nous avions décidé que nous ne pouvons pas être compétitifs."
« Profonde » : l’auteur a t-il ajouté cette épithète au mot-clé « peur » en espérant donner de la profondeur à sa pensée ?
"Dénoncer les délocalisations et les bas salaires dans les nouveaux pays membres n’est jamais qu’une régurgitation populiste du vieux protectionnisme qui sommeille au fond de chacun."
« Populiste » : mot-clé intéressant. Néologisme dérivé du mot « peuple », à forte connotation péjorative, différant en cela de l’adjectif populaire, pourtant voisin. « Populiste » est utilisé pour disqualifier toute velléité politique de répondre aux aspirations du peuple. Le marxisme est une « idéologie » « populiste ». Le discours social est « populiste ». Tout ce qui pourrait mettre en cause le bien fondé de la logique de concurrence et de « compétition économique » est suspect de « populisme ». A l’inverse, les « réformes » nécessaires prises à l’encontre de l’opinion du peuple souverain doivent être saluées comme une preuve de courage politique.
"Que nous le voulions ou non, la technologie progresse, et la Chine et l’Inde s’intègrent à l’économie mondiale. Tout cela annonce des opportunités excitantes pour ceux qui savent en profiter. Bien sûr, tous n’en profiteront pas, et certains en pâtiront. Mais le protectionnisme ne protégera pas les perdants, il ne fera que paralyser les gagnants."
Ouf ! Ca y est, j’ai compris ! Il a fallu attendre, mais ça valait le coup. En France, les néo-libéraux vendaient jusqu’ici leur doctrine en nous promettant que l’enrichissement des riches profiterait un jour aux autres, par effet d’entraînement. Mais là, que lisons-nous ? « Tous n’en profiteront pas, et certains en pâtiront ». Ça a au moins le mérite de la franchise. La question qui se pose immédiatement, mais à laquelle l’auteur ne répond pas, est la suivante : Qui va en profiter et qui va en pâtir ? Pour les « gagnants », j’ai comme une petite idée... Parmi les « perdants », j’en vois déjà une : elle se nomme Fraternité. Concernant le risque de « régression » agité par l’auteur, je pose alors la question suivante : Le progrès pour une société consiste-t-il à générer des « perdants », puis à les abandonner sur le bord du chemin ? « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » comme disait Napoléon en laissant ses soldats à la Bérézina ! Pour élargir le débat et enrichir la réflexion, je propose ce sujet de dissertation pour le prochain bac philo : Y a-t-il une race des gagnants et une race des perdants ?
Plus sérieusement, nous comprenons que toute la tentative de raisonnement qui précède découle de cette dernière affirmation : « Mais le protectionnisme ne protégera pas les perdants, il ne fera que paralyser les gagnants ». Voici donc érigée en dogme la politique de l’impuissance. Ça sonne comme du fatalisme et c’est bien du fatalisme... Mais la fatalité existe-t-elle ? J’ai envie de citer ici la jolie formule de Jean-Luc Cazettes : « Courage, nous sommes au bord du précipice, encore un pas en avant dans la pensée unique, et nous nous fracasserons au fond du gouffre » (4). Pour comprendre ce qui se cache derrière le masque d’une prétendue fatalité, je conseille la lecture du lumineux l’article de Jean-Claude Delaunay, Constitution européenne et nations dans le capitalisme contemporain (5), qui décrit la transformation actuelle de l’Etat-nation en Etat-concurrentiel, ou comment la main invisible du marché tend à remplacer la démocratie. Le procédé commence à être bien connu : au nom d’une vertu supérieure attribuée à la concurrence libre et non faussée, il consiste pour nos gouvernants à dessaisir l’Etat des moyens de conduire une politique commerciale, industrielle, fiscale, sociale, économique, monétaire, etc., et à déplorer plus tard les dégâts causés par le néo-libéralisme, la main sur le cœur et des sanglots dans la voix : « c’est triste, mais l’Etat ne peut rien faire ». Concernant « le fantasme de la perte de contrôle de notre avenir », comme l’écrit plus haut l’auteur de la tribune, je pose maintenant la question : s’agit-il réellement d’un « fantasme » ?
"Le monde change, et nous n’avons pas d’autre choix que de changer aussi. Voilà de quoi méditer d’ici au 29 mai."
Je donne raison à l’auteur sur ce dernier point : Oui, méditons. Méditons et agissons d’ici le 29 mai. Et votons puisqu’il nous reste ce droit.
Notes (1) Article IV-447 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe : Ratification et entrée en vigueur 1. Le présent traité est ratifié par les Hautes Parties Contractantes, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification sont déposés auprès du gouvernement de la République italienne. 2. Le présent traité entre en vigueur le 1er novembre 2006, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés, ou, à défaut, le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt de l’instrument de ratification de l’État signataire qui procède le dernier à cette formalité. (2) Quelques éléments d’information sur le lien : http://psychcentral.com/psypsych/Cr... (3) Article I-4 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe : « Libertés fondamentales et non-discrimination 1. La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci, conformément à la Constitution. 2. Dans le champ d’application de la Constitution, et sans préjudice de ses dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite ». (4) Jean-Luc Cazettes, actuel président du syndicat CFE-CGC, exprimait ainsi son point de vue sur le projet de directive européenne « Bolkestein » dans son éditorial pour La Lettre Confédérale du 18/03/2005. (5) Jean-Claude Delaunay. Constitution européenne et nations dans le capitalisme contemporain. La Pensée, janvier-mars 2005, n° 341.
Jean-Michel Guillon est chercheur en biologie à l’Université Paris XI
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