Une Réponse à Jacques Julliard
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Une Réponse à Jacques Julliard
Par Sophie Troubac
Monsieur,
C’est avec stupeur et consternation que j’ai lu votre article, « Europe - pour un oui ou pour un non », et particulièrement le passage que vous reconnaîtrez sans peine.
Je ne suis pas au parti, mais je suis socialiste. C’est à dire, ne vous déplaise, que je revendique, et je défends, l’héritage de Jaurès. J’ai l’oppression et les oppresseurs en horreur, mais plus que tout, ce que je déteste, abomine et combats, sont les systèmes qui, par une savante dilution des responsabilités et des idées, une adroite manipulation du verbe, conduisent au rapt des consciences, des libertés individuelles et collectives, pour finir par celui de la démocratie. Ces systèmes, bien sûr, ne fonctionnent pas seuls. Ils s’appuient sur des hommes. Des hommes responsables, conscients de ce qu’ils font. Et ce que je vous reproche, ce qui me stupéfie, ce dont je vous accuse, c’est d’avoir mis votre rhétorique au service des ces hommes et de ces systèmes là. De penser que vous saviez parfaitement ce que vous faisiez ou que vous l’ignoriez, je ne sais ce qui est pire.
Vous prétendez que des socialistes « se vautrent dans la haine sournoise de l’étranger. » Dans quelle haine vous vautrez-vous vous-même ? Pour illustrer votre propos, vous parlez de la campagne de 1992. Fort bien. Des socialistes se sont, en effet et c’est incontestable, opposés « au nom de la défense du franc et contre Maastricht » Or, voilà qu’à ce fait, vous accolez une proposition relative « Maastricht, que, poursuivez-vous, Chevènement affectait de prononcer ‘’Mastrique’’. » Tient donc, voilà qu’à des faits avérés (la campagne, l’opposition de socialistes), vous associez les affectations langagières de Chevènement... Curieux changement de registre, mais après tout, pourquoi pas ? Celles-ci ne sont pas davantage contestables que les prémisses avancées. On peut, en effet, soupçonner Chevènement d’un chauvinisme certain, voire même douteux, MAIS LA N’EST PAS LA QUESTION, et vous le savez fort bien. Comme vous n’êtes évidemment pas sans ignorer que monsieur Chevènement ne représente aujourd’hui guère plus que lui-même. Laisser toutefois supposer le contraire (je ne m’attarderai pas sur les motivations des médias à l’inviter aujourd’hui sur leurs plateaux, comme Le Pen hier) ne vous embarrasse pas : c’est une facilité à laquelle il vous est bien commode de céder, puis de vous attacher afin de poursuivre votre but qui n’est que le dénigrement.
Or, cette rhétorique qui consiste à associer à des éléments incontestables d’autres qui n’ont rien à voir avec eux, mais qui relèvent d’une interprétation personnelle, dans le but de faire passer pour vrai un discours qui n’a rien d’argumenté, cette rhétorique, dois-je le rappeler, faite de glissements et d’amalgames adroitement agencés, n’est autre que celle à laquelle le Front National nous a tristement habitués. Une ou deux vérités et un glissement pour donner au propos que l’on souhaite toutes les allures du vrai, de l’irréfutable. Ainsi présentés, les mensonges les plus absurdes prennent l’apparence de la plus belle des vérités, une vérité à laquelle le lecteur, s’il est piégé, ne peut qu’adhérer : rapt de la pensée. « Derrière ces sonorités gothiques, ce qui se cache d’abord, ce qui se révèle bientôt, ce qui éclate enfin au grand jour, c’est que cette Europe là, c’est l’Autre ! C’est l’Etranger ! C’est l’ennemi de toujours ! C’est le boche ! » Quelle vigueur, les majuscules, les points d’exclamation, cette prose, habilement présentée, permet toutes les dérives et je me permets d’attirer l’attention du lecteur sur ces glissements successifs, comme s’il y avait un lien logique, de l’Autre à l’Etranger, de l’Etranger à l’Ennemi de toujours et de l’Ennemi de toujours au boche. Or ces glissements n’engagent que celui qui les enchaîne. Et de conclure : « Merci de nous l’avoir fait entendre, chers socialistes nationaux, et encore bravo ! » Et vous voudriez nous faire croire, alors que ces fameux « socialistes nationaux » ne nous ont fait entendre que des discours que VOUS et vous seul venez de leur prêter, vous voudriez nous faire croire qu’il s’agit là d’une démonstration ! Ah, l’odieuse fourberie des crypto-socio-nationalistes ainsi mise à jour ! Haro sur le loup ! Qu’importe la logique, sinon l’honnêteté pourvu qu’on ait l’ivresse, ou la facilité. Combien se sont fait berner à ce genre de raisonnements ? Que vous ayez recours, vous le journaliste, sensé nous protéger de l’arbitraire, à ce type de bassesses intellectuelles, afin d’accuser les tenants du non de « socialistes nationaux » pour mieux les discréditer est une honte. Honte à vous-même, honte à vos lecteurs, honte à tous ceux qui se battent pour qu’un véritable débat ait lieu sur ce referendum, honte à l’intelligence enfin. Un tel amalgame, reconnaissez-le, ayez l’honnêteté de le reconnaître, est d’autant plus révoltant qu’il se dévoile sous votre plume.
Permettez-moi maintenant d’en revenir au fond.
« La campagne aujourd’hui se fait, dites-vous, contre Bolkestein. » Allons, ne soyez pas stupide ! La campagne aujourd’hui ne se fait pas contre Bolkestein, quelle que soit la façon dont on prononce son nom. Mais là encore, vous le savez fort bien. Ce malheureux Bolkestein ne sert que de prétexte au propos qui vous tient à cœur : « Ecoutez bien ceci. Regardez bien. Cela en dit plus long que tout le reste. L’usage des noms propres et leur prononciation ne sont jamais innocents. Il s’agit de suggérer au bon peuple, qui lui est resté pur, que derrière ces noms hérissés, barbares, se cache l’étranger. L’ennemi ! » Je suis écoeurée. Qui suggère au bon peuple qu’il est resté pur, sinon vous-même ? Qui suggère que la pureté d’un peuple serait une caractéristique qui aurait un sens, sinon vous-même ? Que cette pureté même aurait à voir avec notre approbation ou notre refus du traité que l’on soumet à notre intelligence ? Qui suggère enfin que les opposants socialistes flatteraient une pureté du peuple à laquelle le peuple lui même continuerait de croire et d’appeler de ses vœux ? Seuls les imbéciles s’accrochent encore à ce fantasme. Seuls les criminels y ont recours. « Cela, dites-vous, en dit plus long que tout le reste. » Je vous renvoie la phrase. Je passe sur les Romorantin, Durand et autres Dupont-Lajoie. « Mais non. Entendez bien ces sonorités étrangères ! Maastricht, Bolkestein ! Mais oui, vous avez compris ! » N’aurions-nous pas compris, n’aurions-nous pas senti, nous aurions, dites-vous, pressenti. « Votre inconscient fonctionne, que diable ! » Et bien, oui, mon inconscient fonctionne, monsieur, mais il n’a rien à voir là-dedans. Je ne vous ferai pas l’offense de vous suggérer de réfléchir à la part qu’y prend le vôtre, mais peut-être de laisser le diable où il se trouve. Vous le savez très bien, vous qui, au risque de vous y engloutir, vous hasardez à naviguer dans les mêmes eaux. Merci, monsieur Julliard de votre stupéfiante démonstration.
« Cette Europe là, c’est l’Autre ! C’est l’Etranger ! C’est l’ennemi de toujours ! C’est le boche ! » Je sens bien ce que cette diatribe, au fond, contient de peurs anciennes, de traumatismes, peut-être. Mais le « boche », monsieur, dont vous parlez, j’ignore qui il est. L’Etranger que je connais, c’est celui de Brassens. Cet Autre dont vous dressez la majuscule comme un masque effrayant, je sais depuis longtemps qu’il n’est autre que moi-même, mon semblable, mon frère. J’ai lu voyez-vous et j’ai vécu. Et ce chemin sur lequel vous essayez de m’entraîner, monsieur, je le refuse.
Que vous soyez contre les opposants au traité, que vous les détestiez, pourrait -à la limite- justifier l’insulte. Cela en aucun cas ne justifie l’imposture. Car votre discours en est une.
J’ai pris acte des leçons de l’histoire, et plus encore, j’assume les horreurs qui ont été commises, je n’y ai pris aucune part, elles sont pourtant mon héritage. L’Europe, je l’ai souhaitée, désirée, pour mon père et pour mon grand-père, pour que les morts ne soient pas morts en vain, pour que les vivants vivent en paix, pour que les générations futures fassent fructifier ce legs, à l’unisson de leurs efforts. J’y ai cru, comme on croit à un rêve mais celui-ci devenait réalité, je me suis mobilisée, j’ai voté et puis l’Europe s’est mise à exister, certes un peu bancale, un peu opaque, mais si rayonnante dans son avenir. Quand le mur a chuté, j’ai chanté. Quand l’Europe s’est élargie, j’ai respiré avec elle. Je l’aime et je la chéris. Aujourd’hui plus que tout, j’ai de l’ambition pour elle, pour moi, pour les peuples et pour les individus qui la composent. Est-ce un crime, est-ce un leurre ? Avez-vous si peu confiance en l’Europe que vous craigniez qu’elle succombe à l’épreuve ? Avez-vous si peu confiance en la France que vous craigniez qu’elle se trouve isolée ? Avez-vous si peur de l’avenir que vous dressiez, face à l’incertitude, des menaces aussi grossières ?
Je fais quant à moi le pari, certes difficile mais combien plus entreprenant, d’une Europe plus forte, plus mûre, plus libre et mieux unie. Je souhaite une Europe républicaine, démocratique et sociale, profondément démocratique, profondément sociale, héritière des idéaux défendus jadis par Jaurès. D’une Europe plus grande que le seul et unique espace assujetti aux lois du marché qu’on nous propose, d’une Europe respectueuse de deux siècles d’histoires, de luttes et d’avancées, d’une Europe ambitieuse. Une Europe qui mérite mieux que ce traité dont il suffit de le lire pour savoir qu’il nous prive d’un acquis fondamental (le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) et que ce qu’il nous impose ne pourra être modifié. Et cette Europe, j’imagine la France à sa tête. Ne vous méprenez pas, je rêve, mais j’ai les pieds sur terre. Tous les comités unitaires de gauche, certes avec des disparités -mais qui a dit que la voie était royale ou tracée- ont la même ambition. Ils sont plus de 500 sur tout le territoire. Ils rassemblent une opposition qui compte, nous dit-on, 53% aujourd’hui des intentions de vote. Ces hommes et ces femmes de tous horizons n’ont pas peur, ils ont compris qu’une autre voie était possible. Ils agissent, se rencontrent, se parlent, pour qu’elle existe. Seriez-vous sourd, monsieur, au bruit qui monte ? Auriez-vous peur ? N’entendez-vous pas le pays qui s’empare d’un débat qui lui revient. La France se mobilise, elle s’agite, elle réfléchit, elle cherche à inventer. Ne l’a-t-elle pas souvent fait ? Faut-il lui en vouloir ? Ne la méprisez pas. Vos raccourcis sont indignes de ses enjeux.
Je veux bien croire que j’aurais tort de voter non, je veux bien croire que je me trompe. La victoire du non, d’ailleurs, n’a rien d’acquis. Le referendum n’est pas passé. Mais le débat lui est bien là. Vous regrettez qu’à gauche, rien ne se passe, aucun homme, aucun discours, pas de projet. De grâce, monsieur, renseignez-vous, ouvrez les yeux. Les propositions bouillonnent, les alternatives se dessinent. Participez. Soyez un homme de bonne volonté. Venez dans les collectifs, voyez ce qui s’y passe : cette chose formidable, une mobilisation inattendue qui fait que nos concitoyens renouent avec la politique, s’en emparent, la bousculent, mais feront naître, avec les élus qui s’y attellent, qui sauront les écouter et les représenter, quelque chose de nouveau. Cela s’appelle l’espoir. Avant de savoir si le non ou le oui l’emportera, au lieu de regretter qu’on nous posât la question, réjouissons-nous de cet élan démocratique, unitaire et multiple, riche et complexe, qui s’efforce de faire avancer sinon le monde, au moins la réflexion.
Alors ce « boche » que vous nous lancez à la figure, claque comme une gifle. Rien ne vous autorise, ni vos convictions, pas même vos peurs les plus tenaces ou votre rage, à nous accuser de socialisme national, autrement dit de national socialisme, car personne n’est dupe, et vous moins que quiconque. Quelle honte pour vous, quelle humiliation pour moi. Quel désastre pour nous deux. Alors qu’il faudrait de véritables arguments, même pour aider les misérables nationalistes que nous serions à ouvrir les yeux sur leurs sinistres égarements, voilà à quoi vous êtes réduit, à quoi vous vous réduisez vous-mêmes et à quoi vous réduisez le débat...Ces discours, certes, desservent ceux qui les tiennent. Ils finissent aussi par servir notre cause. Le mépris, en d’autres circonstances, m’eût semblé la meilleure des attitudes. Il n’empêche. Je crois qu’il y a des limites à ne pas franchir. Or ces limites vous les avez dépassées. Voilà que vous avez recours, usant des amalgames les plus honteux, à la pire des propagandes : insulter l’adversaire, l’avilir, quitte à se vautrer soi-même dans la plus basse des ignominies. C’est de la diffamation. Et que dire du fait que vous utilisiez votre journal, votre tribune, le pouvoir qu’elle vous confère, pour diffuser -en toute impunité- de telles insanités ?
S’il n’avait été question que de mon écoeurement, je n’aurais pas pris la peine de vous répondre. Mais c’est ma dignité que vous avez atteinte, piétinée, jetée en pâture à ce que vous espérez l’opprobre de l’opinion publique, n’hésitant pas pour la convaincre à employer les méthodes de ceux que vous croyez, si finement, deviner parmi nous. Comment aurais-je pu ne pas répondre à ces accusations aussi avilissantes pour celui qui les profère qu’humiliantes pour ceux qu’elle vise. Vous m’avez insultée, monsieur, je souhaiterais que vous le compreniez. Pour ces raisons, j’attends vos excuses.
Je terminerai enfin, citant Monsieur Etienne Chouard (professeur de droit à l’université de Marseille), sur les principaux reproches que je formule à l’encontre de ce traité :
« Dans cette affaire d’État, les fondements du droit constitutionnel sont bafoués, ce qui rappelle au premier plan cinq principes transmis par nos aïeux. Les principes 4 et 5 sont les plus importants. 1. Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote populaire : ce texte-là est illisible. 2. Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là est partisan. 3. Une Constitution est révisable : ce texte-là est verrouillé par une exigence de double unanimité. 4. Une Constitution protège de la tyrannie par la séparation des pouvoirs et par le contrôle des pouvoirs : ce texte-là organise un Parlement sans pouvoir face à un exécutif tout puissant et largement irresponsable. 5. Une Constitution n’est pas octroyée par les puissants, elle est établie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants, à travers une assemblée constituante, indépendante, élue pour ça et révoquée après : ce texte-là entérine des institutions européennes qui ont été écrites depuis cinquante ans par les hommes au pouvoir, à la fois juges et parties. »
Je vous renvoie à son texte ci-joint ainsi qu’a sa bibliographie des plus fournies. Vous y trouverez un certain nombre des arguments que je défends.
Permettez-moi aussi, d’ajouter ce « détail » à votre réflexion (extrait du site http://www.herodote.net/motEurope20...) :
Pour suppléer aux carences démocratiques de la Constitution, les rédacteurs ont imaginé un droit de pétition (article I-45, alinéa 4) : « Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution. »
Dans les faits, le droit de pétition n’a aucune valeur contraignante. Il ne pourrait obliger par exemple la Commission et le Parlement à rejeter la candidature turque même si dix ou cinquante millions de citoyens signaient une pétition dans ce sens Innovation sans précédent dans l’histoire de la démocratie, le droit de pétition est un avatar des suppliques et des doléances que les sujets adressaient au souverain sous l’Ancien Régime. Les termes ainsi posés, c’est moi qui souligne, les citoyens-sujets disposent d’un droit de proposition aux seules fins d’application de la Constitution (ou du régime), pas aux fins de modification de cette constitution ou de ce régime. Du nombre significatif des Etats membres des quels ces citoyens sont les ressortissants, comme du nom même de ces Etats membres, on ne nous dit rien... Ce droit du pauvre projette une lumière crue sur la perte de substance de la démocratie européenne. Elle est dénoncée par certains historiens. Cette rigidité fait la différence entre la Constitution européenne et les autres Constitutions qui toutes prévoient un mode de révision relativement souple, ainsi dans la Constitution française suffit-il d’un vote des parlementaires à la majorité des 2/3 ou d’un référendum à la majorité absolue.
Je vous cite aussi l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de l’an I de la République française (1793) qui précisait : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut pas assujettir à ses lois les générations futures. » Que fait le traité qu’on nous propose de ce droit ?
Et, afin de mettre un terme au chaos qu’on nous promet, voici l’analyse de Monsieur André Larané (historien, membre du CNRS - http://www.herodote.net/motEurope20...).
OUI OU NON ? QUE SE PASSERA-T-IL APRES LE 29 MAI 2005 SELON QUE LES FRANÇAIS RATIFIENT OU NON LA CONSTITUTION ?
— Le Oui l’emporte !
Le réflexe légitimiste l’emporte chez les électeurs. Ceux-ci se fient aux assurances de leurs dirigeants et font l’impasse sur le contenu du texte soumis à référendum.
Les affaires continuent comme avant. À Paris, Bruxelles et Strasbourg, les gouvernants et les élus sont soulagés.
La Commission Barroso et l’actuel Parlement restent en place jusqu’en 2009. Ils poursuivent la politique mise en oeuvre depuis une dizaine d’années avec le succès que l’on sait (croissance, emploi, mondialisation,...) et pour laquelle ils ont été nommés ou élus.
Cette politique, on l’a vu, est inscrite dans la Constitution et ne peut pas être révisée sauf au prix d’une procédure aussi lourde que la ratification de la Constitution elle-même.
Mais une complication risque d’intervenir au printemps 2006 lorsque les Britanniques voteront à leur tour sur la Constitution.
Les premières enquêtes d’opinion donnent le Non nettement vainqueur outre-Manche. A cela trois raisons :
Les Britanniques sont plus qu’aucun autre peuple européen attachés à leurs prérogatives nationales et on les voit mal accepter la perte de souveraineté qu’implique la Constitution,
Les Britanniques commencent à recueillir les fruits de 25 années d’efforts avec une croissance deux fois plus élevée que dans la zone euro, un chômage deux fois moins élevé, des salaires en forte progression, des services publics qui reprennent vie et réembauchent,...
Dans ces conditions, on les voit mal se mettre à la remorque des politiques économiques qui ont cours sur le Continent,
Depuis qu’ils ont inventé la démocratie parlementaire il y a trois siècles, les Britanniques ne lui ont jamais fait défaut,
On les voit mal accepter un projet aussi éloigné de la démocratie représentative que l’est la Constitution européenne.
D’ores et déjà, on suggère que si le Royaume-Uni était seul à rejeter la Constitution, la construction européenne se poursuivrait sans lui.
On aboutirait à un résultat extravagant : le Royaume-Uni, qui a fondé la démocratie et diffusé dans le monde entier les ferments de notre civilisation (et sa propre langue), se mettrait en marge de l’Union européenne tandis qu’y entrerait la Turquie...
Le Non l’emporte !
Les électeurs français considèrent le texte soumis à référendum comme mauvais, plus mauvais même que le traité antérieur signé à Nice (voir par exemple la « rotation égale » des commissaires). Ils votent majoritairement Non pour enrayer le processus de dégradation de l’Union en cours depuis une décennie. Bien évidemment, la victoire du Non au référendum du 29 mai 2005 provoque une secousse en Europe et en France. On peut espérer que cette secousse libère les citoyens européens du fatalisme qui leur fait voir le lent déclin de l’Europe comme irréversible et le traité constitutionnel comme un pis-aller. Premièrement, elle pourrait faire basculer les Néerlandais dans le camp du Non, lors de leur propre référendum du 1er juin 2005, ainsi que les Tchèques, appelés à voter au printemps 2006, et bien sûr les Britanniques. La ratification de la Constitution serait dès lors exclue et l’on en resterait au traité de Nice. Celui-ci est prévu pour durer jusqu’à l’entrée des deux prochains États membres, la Bulgarie et la Roumanie, en 2007. Mais il devra être impérativement réécrit avant l’entrée du suivant (la Croatie ?). Ce sera l’occasion de remettre en chantier un nouveau traité plus conforme aux voeux des citoyens...
Ni Constitution « libérale » ni Constitution « sociale », ce texte pourrait simplement fixer la manière de faire les lois de façon pleinement démocratique. Il respecterait les compétences des gouvernements nationaux tout en ouvrant la voie à des transferts de souveraineté (à la différence du projet actuel, plus contraignant que la Constitution américaine de 1787, un comble !). Il laisserait aux citoyens du futur le soin de déterminer, législature après législature, la politique économique et sociale qu’ils souhaitent pour leur pays et pour l’Europe. En France, il sera difficile aux dirigeants désavoués par le suffrage universel de participer à ce chantier. Dans l’éventualité d’un Non au référendum, le président Jacques Chirac affirmera haut et fort sa déception mais aussi son refus de démissionner... A supposer que les citoyens lui permettent de rester à l’Élysée, il lui sera devenu impossible d’intervenir tant dans les affaires intérieures que sur la scène européenne où sa crédibilité aura été réduite à néant. Il devra pour le moins dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections législatives. Celles-ci se dérouleront cette fois sur fond d’enjeux européens. Il y sera question de la manière de remettre l’Europe sur les rails. Et les futurs responsables français pourront s’appuyer dans cette tâche sur leurs homologues européens, du président tchèque Vaclav Klaus à... Tony Blair.
Vous trouverez tous les détails auprès de ceux qui les argumentent bien mieux que moi (par exemple sur le site, ou en vous référant au texte, et à la bibliographie, également joint, de M. Chouard).
Pour conclure, ces prises de position m’ont alertée, j’ai réfléchi et à ce jour, j’attends encore les réponses qui pourraient me faire changer d’avis. Si vous êtes, malgré l’aperçu que vous m’avez donné, un journaliste honnête, penchez-vous sur ces questions, reprenez ces arguments un à un, et détaillez votre réponse en termes dignes de votre fonction. Faites de votre journal un lieu de débat véritable et surtout, le cas échéant, ne craignez pas de vous rendre à l’évidence. J’espère que vous publierez ma réponse, ou bien une autre.
Sans autre forme de procès,
Sophie Troubac
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