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L’ONCLE SAM ET SES NEVEUX INGRATS Par Luis Sepulveda
Si la honte teintait de rouge les visages de ceux qui ne la connaissent pas, alors l’Oncle Sam serait une espèce de tomate de Murcie, et des plus mûres. Cet individu vêtu d’un costume de clown et d’un chapeau de magicien misérable s’est présenté au dernier Sommet Extraordinaire des Amériques, à Monterrey, avec un répertoire qui, loin de provoquer de l’étonnement, a engendré des grimaces de lassitude.
L’Oncle Sam propose que les gouvernements corrompus de l’Amérique, de cette Amérique immense et pleine d’espoir qui s’étend au sud du Rio Grande, soient exclus de l’Organisation des États Américains, mais sans mentionner que c’est précisément le gouvernement des États-Unis qui a soutenu les éléments les plus corrompus du continent tout au long de son histoire. Des tyrans comme Batista, Pérez Jiménez, Duvalier, Trujillo, les putschistes brésiliens, les gorilles uruguayens, argentins et chiliens, le révérend Ríos Montt, tous furent hissés au pouvoir par le travail et la grâce de l’Oncle Sam. Quand la communauté internationale, écoeurée par ces sauvages qualifiait Batista, Videla ou Pinochet de fils de mauvaise mère, la réponse immédiate du Département d’État était : c’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute. Un corrompu de l’engeance de Domingo Cavallo, complice de Menem dans différents délits qui vont de la contrebande d’armes jusqu’à la banqueroute argentine, a été qualifié par Warren Christopher, secrétaire d’état sous l’administration Clinton, de « héros de l’humanité ». Mais aujourd’hui, à la veille d’élections, et avec un futur incertain, cet intellectuel texan qui a sorti l’Espagne de l’ombre, découvre que la corruption « affaiblit les institutions publiques et privées, déséquilibre les économies, dégrade la morale des populations et porte atteinte à l’état de droit ». Qui le lui a dit ? La ministre Ana Palacio ?
L’oncle Sam a plongé la main dans son chapeau et en a sorti un lapin beau parleur qui disait : « Les États-Unis réaffirment qu’ils s’engagent à collaborer au développement des processus démocratiques en garantissant la pureté des élections ». Eux, qui ont favorisé les atteintes les plus criminelles à l’état de droit, qui ont renversé des gouvernements démocratiques et ont fermé les yeux sur l’assassinat de leurs citoyens. Eux, qui ont compté pendant deux mois les votes de Floride, lors de la dernière élection présidentielle. Ils comptaient et Al Gore était gagnant. Ils recomptaient et Al Gore gagnait toujours, jusqu’à ce que Jeb Bush – un autre intellectuel texan qui a récemment visité la « république d’Espagne » et a proposé de bonnes affaires en Irak – a inventé l’arithmétique de la fraude. Le président nord-américain actuel n’a pas gagné l’élection. Et ils donnent des leçons de pureté électorale ? Qui va les croire ? Un quelconque « Homme d’État »?
Après, l’Oncle Sam a sorti un oisillon sachant parler de son chapeau : « les États-Unis proposent de châtier le secteur public impliqué dans la corruption », mais...qu’en est-il du secteur privé ? Pourquoi garantir l’impunité aux entreprises et multinationales qui corrompent, subornent, encouragent la malversation des deniers publics ? Des misérables comme Alberto Fujimori le péruvien, Arnoldo Alemán le nicaraguayen et un long etcetera de responsables de la ruine de millions de latino-américains. N’ont-ils pas reçu des pots-de-vin, des commissions, des cadeaux des multinationales qui s’appropriaient leurs pays en bénéficiant des privatisations les plus sauvages ? Pauvre Oncle Sam. Qui va le convaincre de la pureté de Enron, de la générosité et du désintérêt des multinationales et de l’éthique de l’argent ? Berlusconi ? L’administrateur de Gescartera ?
Ça va mal pour l’Oncle Sam ces derniers temps. Il a été démontré à Monterrey que l’Amérique Latine, cette puissance embryonnaire qui a le Brésil comme chef de file, veut une relation d’égal à égal, sans complexe et, enfin, avoir la garantie de la non-intervention dans ses affaires intérieures. Désormais, la relation entre l’Oncle Sam et l’Amérique Latine ne sera plus celle de Donald, le canard pédéraste, et ses trois enculés de neveux. Il en a aussi bavé à la réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce. Il est clair que dorénavant aucun sommet aux Açores ne lui permettra de poursuivre son protectionnisme impérial odieux.
Il faut aider l’Oncle Sam, par exemple, en imposant le fichage et le visa à tous ses ressortissants dans le monde, pour qu’ils comprennent ainsi les bienfaits de la légalité, ou en leur envoyant des observateurs pour la prochaine élection présidentielle. Des hommes à l’expérience démocratique éprouvée comme Teodoro Obiang et Augusto Pinochet se porteraient volontaires pour une cause si noble.
Luis Sepulveda est écrivain et membre d’ATTAC. Ce texte a été écrit pour ATTAC en Amérique latine. Traduction de Jean-Michel Hureau.
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