https://www.traditionrolex.com/18 La Gauche Cactus http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/ fr SPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP) Le covid, l'écologie, la guerre http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2864 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2864 2023-06-05T15:38:00Z text/html fr Michel Rogalski <p>Nous sommes, presque concomitamment, confrontés à au moins trois problèmes majeurs, apparemment distincts. Ce qui n'empêche pas des correlations. Il fallait le scalpel de Michel Rogalski poue les disséquer.</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>On se souvient encore à peine des commentaires qui avaient accompagné la crise du Covid-19. Peut-être en est-il mieux ainsi tant le sottisier serait rétrospectivement accablant ? Du « je vous l'avis bien dit ; il aurait fallu m'écouter » jusqu'à « rien ne sera plus comme avant ; maintenant voici ce qu'il faut faire ; il faut penser l'après », on aura tout entendu. Bref puisque mon analyse était bonne mon programme ne peut qu'être parfait. Du côté des dirigeants une petite musique se développait à bas bruit : « on va surmonter l'épisode et d'un mal on va faire naître un bien. » Propos lénifiants chargés de dissimuler la panique rampante qui gagnait les milieux informés qui sidérés par le présent tentaient de vendre un monde nouveau plus résilient voire plus attrayant.</p> <p><strong>Parenthèse ou rupture ?</strong></p> <p>Ainsi s'affrontaient les tenants de la parenthèse à ceux de la rupture ou à ceux inquiets des effets de cliquet irréversibles en matière de contrôle de population. Les premiers arguant que les inerties et les habitudes reprendraient bien vite le dessus. Et annonçaient le comme avant, le plus qu'avant et au plus vite. Le retour des activités, à commencer par celles symboliques des compagnies aériennes, leur donna en partie raison et les « queues » de Covid n'entamèrent pas la tendance. Bref, pour l'essentiel la vie continua comme avant avec peut-être un désir d'en profiter plus. Ceux qui ont vécu l'événement comme la grande rupture riche de toutes les coupures avec le passé et lourde d'espoirs de changement, et prêts à sortir de leur dossiers programmes clés en mains seront restés pour l'essentiel sur leur faim tant les espoirs étaient grandioses. L'ancien est mort, vive le nouveau : sur ce constat il fallait imaginer un monde plus résilient, comprendre que les difficultés rencontrées dans la gestion internationale de la crise sanitaire allaient servir de leçon pour faire avancer la cause climatique et que ses experts seraient plus écoutés, il fallait imaginer que la pandémie n'était qu'un révélateur d'une rupture incontournable à portée de mains. Le « rien ne sera plus comme avant » n'a malheureusement pas porté ses fruits. Certains « catastrophistes » n'ont pas craint d'annoncer : « le coronavirus est une aubaine pour la planète, car, quand les Hommes souffrent, la planète souffle. », d'autres – les « décroissants » - que « la planète a besoin de marquer une pause ». Les acteurs du tissu économique et social et ceux qui ont pu bénéficier du « quoi qu'il en coûte » apprécieront. Leur faiblesse est de n'avoir pas su entrevoir qu'il n'y avait pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d'avancer leur programme d'atterrissage. Reste, ce qui ne doit pas être tenu pour négligeable, le rapport au travail et à ses formes qui a été fortement interpellé par la crise sanitaire et dont le débat est appelé à se poursuivre à commencer par influencer celui sur la réforme des retraites.</p> <p><strong>Populations sous surveillance</strong></p> <p>Mais ce qui doit être noté avec attention ce sont les traces laissées - et gravées dans le marbre - dans le domaine sécuritaire et d'une façon générale dans la maîtrise de la gestion du contrôle des populations. Dès le début, les images relayées de la Chine semblaient correspondre à une répétition générale d'un état de siège ou évocatrice d'un lendemain de coup d'état ou de manœuvres militaires. Très vite se sont répandues à l'ensemble du monde des mesures – qui sans être aussi draconiennes – ont généralisé la lente évolution déjà amorcée vers une société de surveillance et surtout son acceptation cette fois ci au nom d'impératifs sanitaires. La population a accédé au statut de suspecte a priori pour laquelle tous les moyens de contrôle déployés par l'usage de la technologie du numérique et de l'intelligence artificielle étaient devenus un procédé acceptable, sinon légitime. Bref, tous terroristes ! Puisque les méthodes utilisées pour combattre ceux ainsi désignés sont désormais employables à l'encontre de l'ensemble d'une population et souvent à son insu. Comme toujours dans ce domaine les mesures d'exception ont tendance, comme un effet de cliquet, à s'installer durablement dans l'arsenal juridique. Celui des années de plomb adopté par l'Italie dans les années 70 est toujours en place – prêt à resservir, si nécessaire. Les réticences et inquiétudes ont gagné jusqu'aux plus hauts sommets des Nations unies puisqu'elles ont amené son secrétaire général, Antonio Guterrès à intervenir très tôt en 2021 devant le Conseil des Droits de l'Homme en affirmant : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de sécurité de certains pays ont pris des mesures sévères et adopté des mesures d'urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants, et entraver le travail des organisations non gouvernementales. (…) Les restrictions liées à la pandémie servent d'excuse pour miner les processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques. » Tout était déjà dit ! Il n'y a plus de limites à la surveillance qu'ils ont réussi à instaurer. Dans son dernier roman Le sage du Kremlin, Giuliano da Empoli, évoquant les maîtres du développement des techniques numériques affirme « Grâce à eux, tout moment de notre existence est devenu une source d'informations. »</p> <p><strong>Guerre, écologie et climat</strong></p> <p>Une petite musique chemine à bas bruit dans certains milieux écologistes laissant entendre que tout compte fait la guerre russo-ukrainienne pourrait être salutaire pour le climat. Toujours cette idée que du pire, de la crise pourrait surgir le meilleur.</p> <p>Le raisonnement proposé est tout à la fois simple et désarmant. L'Union européenne, dès l'invasion de l'Ukraine par la Russie, comprend qu'elle va être profondément impactée par son extrême dépendance aux importations énergétiques d'origine fossiles, principalement le gaz, le pétrole et le diesel. Dès le mois de mai 2022 elle élabore dans l'urgence un plan - REPowerEU – dans le but tout à la fois de réduire sa dépendance vis-à-vis de ces combustibles et d'accélérer la transition énergétique en mettant au cœur de sa démarche les thèmes de la sobriété et de l'austérité . La désignation de l'ennemi russe ajoutant à l'approche une dimension patriotique et guerrière. Il s'agit tout à la fois de faire progresser des avancées climatiques et d'affaiblir le budget de guerre russe. La sobriété énergétique deviendrait ainsi une condition pour gagner la guerre. On vit même fleurir, à l'initiative du groupe des Verts/ALE du Parlement européen, une campagne « Soyons solidaire avec l'Ukraine » s'appuyant sur des affiches accompagnées de slogans « Isolons Poutine, isolons les maisons » ou « Plus de soleil, plus de vent, plus de paix ».</p> <p>Sauf que rien ne se passe comme prévu. On assiste plutôt à une ruée vers le gaz ou à la remise en service d'anciennes mines de charbon. On voit se mettre en place de nouvelles stratégies d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL), d'acheminement plus souple à travers des bateaux, plus cher, bien plus coûteux pour l'environnement, souvent issu des gaz de schiste extraits par fracturation et créant une nouvelle dépendance, cette fois-ci aux États-Unis ou aux autres exportateurs d'hydrocarbures. On est bien loin de l'allégation d'une recherche de transition bas-carbone qu'on risque même de faire dérailler. Rien donc de propice à une diplomatie de coopération. Faudrait-il associer à la notion bien nécessaire de planification écologiste celle de planification de guerre ? Une telle confusion est riche de dangers. Finalement grâce à Poutine et à sa guerre une opportunité surgirait pour convaincre patronat et finance de s'engager dans une écologie de guerre salvatrice de nature à se transformer en arme économique pour affaiblir le potentiel militaire de l'ennemi. Pari tout à la fois risqué et lourd de dérives austéritaires. On comprend mieux les difficultés que rencontre le bloc « occidental » à mettre de leur côté la plupart des pays du Sud qui soucieux avant tout de leur développement rechignent à s'aligner sur de telles postures. La guerre ne peut être l'occasion d'une opportunité pour l'écologie. Cette posture est d'autant plus étonnante qu'elle s'écarte des dernières préoccupations du GIEC qui, après des années, commence enfin à prendre en considération l'impact des activités guerrières sur l'état du climat</p> <p><i>Article publié dans Recherches internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> LE CONTRE-G7 A UNE HISTOIRE http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2391 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2391 2019-09-16T16:37:00Z text/html fr Chloé Maurel <p>La dernière édition du G7 a transformé quelques jours la ville de Biarritz en zone occupée (par les polices) pour permettre aux leaders du « monde libre » de papoter en paix et à notre président de réussir un joli coup de com' à peu de frais, sauf pour le contribuable, et sans conséquences. Il s'est tenu, comme chaque fois, un contre-G7, dont la presse a peu parlé puisque, contrairement ç certains précédents, il n'y eut pas de violences. Cela dit, Le contre-G7 a une histoire, et c'est l'historienne des institutions et relations internationales Chloé Maurel qui nous la conte avec talent.</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>Les protestations contre le G7 tenu du 24 au 26 août 2019 à Biarritz s'inscrivent dans une histoire qui remonte aux années 1990. Déjà, en 1996, des citoyens opposés à la logique néolibérale avaient organisé une grande manifestation contre le G7 à Lyon. Puis, surtout, en novembre 1999, des militants ont protesté contre le sommet de l'OMC réuni à Seattle (États-Unis). 40000 protestataires, mobilisés par le syndicat américain AFL-CIO, réussissent alors à bloquer cette réunion des puissances financières, pour exprimer leur opposition au libéralisme commercial. Tout en agissant de manière non-violente, ils parviennent à paralyser toute la ville, et l'état d'urgence est déclaré. Défilant dans les rues, les manifestants, venus du monde entier, arrêtent la circulation et empêchent les représentants des États membres de l'OMC de rejoindre le centre de conférences. Du fait de ces protestations d'ampleur, le sommet, baptisé « cycle du millénaire », doit être clôturé plus tôt que prévu. De ce sommet, on a surtout retenu les manifestations de protestations : c'était la première fois qu'un groupe de manifestants parvenait à bloquer un sommet international. La couverture par les médias a été très importante. La répression par les policiers, violente, brutale, sera critiquée par la presse et l'opinion mondiale. Un film, Bataille à Seattle (réalisé par l'Irlandais Stuart Townsendet sorti en2008) retracera ces événements. C'est le début de l'altermondialisme, d'abord appelé « anti-mondialisme ». Les médias parlent de la « bataille de Seattle ».</p> <p>Dans le sillage de ce mouvement protestataire, l'association ATTAC, née en France en 1998, qui développe le slogan « Un autre monde est possible », et qui prône la taxation des transactions financières (taxe Tobin), porteet canalise cette contestation contre les grands sommets capitalistes.En 2001, le sommet de la Banque mondiale prévu à Barcelone est annulé du fait des menaces de manifestations. Cette même année 2001, à Gênes (Italie), se tient le sommet du G8. Devant les protestations des anti-G8, la police réprime brutalement, et tue un manifestant ; deux autres manifestants sont gravement blessés, et plus de 300 autres manifestants sont malmenés par la police. Cette répression, rapportée par la presse, marque les esprits. L'opposition se cristallise entre pro-et anti-capitalistes.</p> <p>L'altermondialisme a le vent en poupe en ce début des années 2000, et cela se concrétise par l'organisation du premier Forum Social Mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil) en janvier 2001, dont les revendications sont l'opposition au néo-libéralisme incarné par le Forum économique mondial de Davos, l'exigence de l'annulation de la dette du Tiers monde, la réclamation de la taxe Tobin, et plus généralement l'aspiration à un monde plus juste et égalitaire. Des milliers de participants venus du monde entier y dialoguent et réfléchissent ensemble, et l'événement est couvert par des centaines de journalistes. L'événement est reconduit en 2002 et 2003, toujours à Porto Alegre. Dans les années suivantes, le FSM se déplace dans plusieurs villes, notamment des grandes villes des pays du Sud, comme Nairobi, Dakar, Bombay ou Tunis.</p> <p>Par la suite, l'altermondialisme a progressivement perdu de sa vigueur, car l'association ATTAC-France a subi une crise interne en 2006, et, plus largement, ce mouvement a connu un effacement, car des courants contradictoires et concurrents ont fait voler en éclat le sentiment unitaire, mettant au jour une hétérogénéité des revendications à l'intérieur de la mouvance altermondialiste : défense du droit des minorités et des exclus, préoccupations écologiques, protestations contre les crises alimentaires et énergétiques, refus de l'impérialisme et du néo-colonialisme, défense de la protection sociale et des services publics (éducation, santé, culture), aspirations à un protectionnisme universaliste, à une décroissance, à l'autogestion, etc. De plus, depuis les attentats du 11septembre 2001, d'autres priorités sont apparues comme la lutte contre le terrorisme, et depuis l'accident nucléaire de Fukushima en 2011, les craintes concernant l'avenir de la planète et de l'environnement sont passées au premier plan, éclipsant parfois les enjeux proprement sociaux.</p> <p>En outre, les thèses de l'altermondialisme ont prêté à des discussions et à des désaccords, car elles ne peuvent pas vraiment se parer de la légitimité de la poursuite des combats tiers-mondistes des années 1960, ni de la reprise de la démarche du Nouvel Ordre ÉconomiqueInternational (NOEI) de 1973-1974. Enfin, la mouvance altermondialiste, qui avait été portée par le virage à gauche de l'Amérique latine (rappelant que les batailles victorieusess'inscrivent dans un cadre national), a été affaiblie par l'actuel virage àdroite de cette partie du monde (et même à l'extrême-droite pour le Brésil, avec l'accession à la présidence de Jair Bolsonaro et l'emprisonnement de Lula). Cela a entraîné un net reflux de l'altermondialisme, et beaucoup de désillusions chez les militants. Malgré cet affaiblissement de l'altermondialisme, les protestations récentes contre le G7 de Biarritz, qui ont rassemblé 5000 participants, mobilisés contre le dérèglement climatique et les injustices sociales, s'inscrivent malgré tout dans cet héritage. Ce mouvement a réuni des citoyens se rattachant aux mouvements anticapitalistes, altermondialistes, écologistes, féministes, basques,« gilets jaunes », syndicalistes (Solidaires, CGT, CNT...), d'ONG et associations (ATTAC, Bizi, Oxfam, Alternatiba, Les Amis de la Terre, Via Campesina...).</p> <p>Même si l'association ATTAC et le FSM ont ces dernières années connu un essoufflement, la vigueur des contestations contre ce sommet des grandes puissances atteste de l'existence d'un mouvement de fond, de rejet du capitalisme dans l'opinion mondiale. Le récent mouvement des « gilets jaunes » en France, de même que le mouvement « Occupy Wall Street » né en 2011 aux États-Unis, ou encore celui des « Indignados » en Espagne, né la même année, en sont également des signes. C'est un élément positif que ce soulèvement et cette organisation des citoyens contre la logique capitaliste, et notamment contre le fonctionnement oligarchique que représentent les sommets du G7.</p> <p>L'ordre du jour adopté par le sommet du G7 de 2019, portant sur la lutte contre les inégalités, n'a pas fait illusion pour les citoyens critiquant cette réunion des puissants : il a servi seulement à faire diversion et à donner l'impression trompeuse d'une préoccupation sociale. D'ailleurs, les représentants des pays du Sud invités, et des ONG conviées à ce G7, ne se sont vus accorder que très peu la parole, et y ont été marginalisés, ce qui montre bien que leur invitation ne constituait qu'un alibi, une manœuvre pour désamorcer les critiques et pour donner à ce sommet un vernis social.</p> <p>Refusant d'être dupes, 15000 citoyens anti-G7 ont manifesté à Hendaye le 24 août 2019 ; ils n'ont pas hésite à se livrer à des actions de désobéissance civile, comme le décrochage de portraits du président Macron ; mais la police omniprésente (quelque 13000 membres des forces de l'ordre mobilisés) a usé de grands moyens pour décourager les protestataires, ayant recours à des canons à eau et à des gaz lacrymogènes pour réprimer ces manifestants pacifiques, et interpellant 68 d'entre eux, au mépris du droit à manifester, et souvent en utilisant la violence.</p> <p>En cette fin d'été 2019, les mouvements protestataires contre le G7 de Biarritz, vigoureux, et aiguisés par la conscience écologiste et par l'indignation devant les incendies criminels dans la forêt amazonienne, ont bien montré que les peuples n'ont pas dit leur dernier mot. Ce contre-G7 s'est achevé par une déclaration finale récapitulant les positions anticapitalistes et écologistes des militants rassemblés. D'autres mobilisations sont prévues bientôt : grèves internationales sur le climat, du 20 au 27septembre, journée internationale du droit à l'avortement, le 28septembre, et semaine internationale de la rébellion, en octobre.</p> <p><i>Article paru dans la revue Recherches internationales (<a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a>)</i></p></div> TRUMP, L'ACCORD DE PARIS, ET LE CLIMAT http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2176 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2176 2017-07-10T23:19:25Z text/html fr La nouvelle, attendue, est tombée le 1er juin. Les États-Unis ont décidé de sortir de l'Accord de Paris sur le climat, six mois seulement après son entrée en vigueur. Les modalités n'en sont pas encore toutes connues, mais la décision est prise, bien qu'elle ne puisse avoir d'effets immédiats. Trois Présidents avaient refusé de ratifier le Protocole de Kyoto (Bill Clinton, Bush Jr., Barack Obama) qui organisait la régulation climatique mondiale, signifiant au monde (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>La nouvelle, attendue, est tombée le 1er juin. Les États-Unis ont décidé de sortir de l'Accord de Paris sur le climat, six mois seulement après son entrée en vigueur. Les modalités n'en sont pas encore toutes connues, mais la décision est prise, bien qu'elle ne puisse avoir d'effets immédiats. Trois Présidents avaient refusé de ratifier le Protocole de Kyoto (Bill Clinton, Bush Jr., Barack Obama) qui organisait la régulation climatique mondiale, signifiant au monde que le mode de vie américain n'était pas négociable. En signant, à la fin de son second mandat, l'Accord de Paris Barack Obama avait envoyé un signal fort au monde et semblait engager son pays dans un partenariat solide avec la Chine sur cette question, coopération qui fut décisive pour l'adoption de l'Accord. Conformément à ses engagements électoraux, Donald Trump revient brutalement sur cette trajectoire.</p> <p>Deux options s'offrent à lui. Soit sortir de l'Accord de Paris, mais avec une prise d'effet seulement après le 4 novembre 2020, ce qui, compte-tenu de l'incertitude sur un second mandat, aurait peu d'effet juridique. Soit quitter le dispositif de la Convention-cadre des Nations unies adopté lors du Sommet de la terre en 1992 et se priver dès lors de toute influence sur les Conférences des parties annuelles. Mais le vrai problème n'est pas là. Il tient au fait que dans la pratique les États-Unis envoient un message fort au monde : ils ne tiendront pas les engagements de l'Accord de Paris, même s'il leur est impossible de le torpiller. Une telle annonce permettra aux pays qui avaient dissimulé leur réticence de s'enhardir, voire peut-être de se regrouper et miner de l'intérieur les efforts consensuels qui avaient été décidés.</p> <p>En réalité Donald Trump n'a pas besoin d'attendre quatre années pour prendre des mesures dont les effets délétères sur le climat seront considérables. L'Accord adopté à Paris est une déclaration d'intention mais n'est assorti d'aucune mesure coercitive ou punitive. On est très loin par exemple du niveau de contrainte ou de sanctions du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). Il repose sur la bonne volonté des cosignataires. Sans augmenter ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui est le cas depuis plusieurs années, avec 14% des émissions mondiales, les États-Unis se placent en deuxième position derrière la Chine. Les mesures les plus destructrices seront prises dans le domaine de la finance et impacteront de multiples structures dédiées au climat et qu'ils contribuent à faire vivre. Washington participe à hauteur de 25 % (15 millions de $) au budget de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Les États-Unis contribuent pour 40% au budget de fonctionnement du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui assure un travail de veille scientifique et propose des préconisations aux gouvernements. Il joue un rôle central dans la bataille des idées et a énormément contribué à faire reculer les thèses climato-sceptiques. Si cette aide lui était retirée son avenir serait menacé. Mais surtout, c'est dans le domaine du financement des pays pauvres pour les aider à s'adapter aux effets du changement climatique que l'impact sera le plus fort. Prenant appui sur le principe de la « responsabilité commune mais différenciée » acté en 2009 par la Conférence de Copenhague et auquel les pays du Sud sont très attachés, il avait été décidé de créer un Fonds vert qui devait à l'horizon 2020 être alimenté à hauteur de cent milliards de dollars par an. Si à cette date, lors de l'évaluation de l'Accord de Paris, cette somme n'était pas réunie, c'est la poursuite même de tout ce qui avait été envisagé qui pourrait être remise en cause. Cette question va devenir le point de friction central des rapports Nord-Sud qui au fil des décennies se sont quasiment réduits à cette seule question.</p> <p>Donald Trump ne croît pas à la réalité du changement climatique. Il s'appuie au demeurant sur de larges courants de l'opinion publique américaine qui est très tranchée sur ce dossier. Il est persuadé que l'Accord de Paris est un outil de « redistribution massive de la richesse des États-Unis vers d'autres pays ». Tout comme le libre-commerce constitue à ses yeux une machine à piller son pays. La Chine aurait inventé le concept de changement climatique pour s'attaquer à la productivité des entreprises américaines. Il prétend être animé par la recherche d'une autonomie énergétique et n'hésite pas à relancer le charbon, développer gaz de schistes et pétrole, bref toutes les énergies fossiles et carbonées les plus dangereuses pour le climat. Seule la faiblesse du cours du baril de pétrole lui interdit d'aller plus loin dans ce domaine, en rendant l'exploitation des gaz de schistes insuffisamment rentables. L'Arabie saoudite, souhaitant garder ses parts de marché pétroliers fait tout pour ne pas trop relever le cours du baril rendant périlleux l'équilibre des finances publiques de quelques États (Russie, Venezuela, Algérie).</p> <p>Avec les relations avec Cuba, le climat constitue l'un des rares points sur lesquels Donald Trump pouvait espérer ne pas connaître un désaveu intérieur dans son entreprise de démolition de pans entiers de la politique d'Obama. Mais la surprise est au rendez-vous. Depuis une vingtaine d'années des initiatives se multiplient et des réseaux d'acteurs se constituent pour agir dans le domaine de la résistance au changement climatique et apparaissent aujourd'hui comme des forces incontournables qui échappent à toute injonction gouvernementale. En effet, c'est au niveau des villes et des États – en coordination – que s'organise, en liaison avec un mouvement de citoyens très actif des actions concrètes en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre et à basculer vers les énergies renouvelables. La Californie – 6ème économie du monde -, les États de New York, de Washington et du Massachusetts ont annoncé leur intention de respecter, quelle que soit la politique nationale, les engagements de l'Accord de Paris, voire d'aller au-delà. La Californie a déjà instauré au niveau de son État une régulation par les quantités (« cap » et un marché « trade ») pour en garantir le fonctionnement. Le milliardaire et maire de New York, Michael Bloomberg, a pris la tête de cette contestation pro-climat en y associant des centaines d'entreprises parmi lesquelles des poids lourds de la high-tech, de nombreuses universités et organisations citoyennes. L'affrontement ne fait que commencer et parcourra tout le mandat présidentiel.</p> <p>En présentant la question climatique comme une invention chinoise destinée à nuire aux intérêts des États-Unis, Donald Trump a offert aux Chinois une occasion inespérée de profiter de la situation d'isolement dans laquelle il s'est plongé. Sa politique de repli est en total contraste avec les ambitions chinoises. Xi Jinping qui avait déjà pu s'afficher comme le défenseur du libre-commerce à la réunion de Davos, lance désormais la nouvelle « route de la soie » censée concerner tout à la fois l'Europe et l'Afrique en promouvant le concept de « gagnant-gagnant ». Le retrait américain du partenariat transpacifique (TPP), conçu par Obama pour isoler la Chine, permet à celle-ci de proposer aux pays de la région un projet concurrent beaucoup moins contraignant en matière de normes sociales ou environnementales. Le projet chinois (One Belt One Road, OBOR) profite du cadeau américain et annonce le grand retour de Pékin en Asie articulé autour de la sécurité de ses approvisionnements, d'une possibilité d'exportations de ses excédents et de l'appui d'une banque de développement d'une grande capacité financière, l'Asian Infrastructure Investment Bank – AIIB dans le but de concurrencer la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale qui étaient déjà défiées par la « banque des BRICS » basée à Shanghai et à laquelle participent les Russes. Ainsi Trump, plongé dans ses démêlés avec la justice à propos de ses rapports avec la Russie, semble beaucoup plus avoir favorisé les intérêts de Pékin que de Moscou.</p> <p>Nul doute que la décision-climat de Trump va empoisonner son mandat compte-tenu des oppositions organisées qu'elle suscite à travers le pays et qu'elle va contribuer largement au remodelage de l'économie mondiale en effaçant le fameux « pivot » asiatique de Barack Obama dans les décennies à venir.</p> <p><i>Article paru dans la revue Recherches Internationales (<a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.recherches-internationales.fr</a>)</i></p></div> AU FIL DE QUELQUES LECTURES : ISLAMISME, FASCISME, CHOC DES CIVILISATIONS, RELIGIONS… http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2028 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2028 2016-02-24T16:59:52Z text/html fr Jacques Wajnsztejn <p>Jacques Wajnsztejn et membre du comité de la revue Temps critiques dont les coordonnées sont : e-mail : tempscritiques@free.fr site : <a href="http://trempscritiques.free.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://trempscritiques.free.fr/</a> blog :<a href="http://blog.tempscritiques.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://blog.tempscritiques.net/</a></p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>Depuis qu'ils pensent trouver dans l'islamisme militant un produit de remplacement à leur ancienne eschatologie marxiste, des individus se réclamant de la Gauche ou de l'extrême gauche rejettent toute analyse qui mette en rapport djihadisme offensif et a fortiori terroriste et religion musulmane. Pour eux toutes les causes du phénomène sont extérieures à l'Islam, à ses traditions, à son histoire et à son actualité. Les médias ne sont d'ailleurs pas en reste qui évitent la critique des religions en général, défendent une laïcité ouverte à tous les vents et, pour faire bonne mesure, n'osent même pas, dans leurs articles, écrire le terme « d'État isla-mique », se contentant de citer l'acronyme arabe Daech suivi des initiales (EI)(1) . Voyons cela plus en détail.</p> <p><strong>L'ISLAMISME RADICAL N'EST PAS UN NOUVEAU FASCISME</strong></p> <p>Alain Badiou est interviewé dans le journal Libération daté du 9-10 janvier 2016 sous le titre : « La frustration d'un désir d'Occident ouvre un espace à l'instinct de mort », à propos d'un petit livre sur le 13 novembre 2015 publié chez Fayard sous le titre, Notre mal vient de plus loin. Il y développe l'idée que pour comprendre l'événement et plus généralement le terrorisme djihadiste, il ne faut pas partir de la critique de la religion car dans ce cas on tomberait obligatoirement sur l'hypothèse de Huntington (2) du choc des civilisations ; hypothèse que Badiou juge réactionnaire. Pour lui, il n'y a pas une islamisation qui entraîne fascisation, mais une fascisation qui entraîne islamisation. C'est une autre version de la formule d'Olivier Roy sur l'extrêmisation politico-sociale qui, aujourd'hui, ne trouverait son débouché que dans l'Islam (3) . On aurait affaire non pas à un Islam radical, mais à une islamisation de la radicalité.</p> <p>C'est que, pour Badiou et Roy, il ne peut y avoir de radicalisation interne à l'Islam comme si la religion en général et l'Islam en particulier aujourd'hui ne pouvaient jamais poser problème en tant que puissance idéologique ou force politique. Pour eux, de façon évidente, la critique ou l'interprétation des événements ne doit pas se faire à partir de la critique de la religion. En fait, ils ne comprennent pas que dans la figure de Daech coexistent trois éléments : un Islam de la conversion, peu conventionnel (4) , une allégeance politique à une figure autocratique et une dimension militaire qui authentifie, et consacre, le nouvel adepte.</p> <p>Faute de reconnaître cela, ils rabattent donc le religieux sur le social pour Badiou, sur le culturel pour Roy. En cela, ils ne font pas preuve d'originalité puisqu'ils opèrent comme la plupart des sociologues et autres spécialistes des sciences humaines (5) . Ce faisant, ils négligent la force et l'influence wahhabite, la critique de la séparation entre grand djihad quiétiste et petit djihad guerrier faite par Hassan El Banna et les Frères musulmans, l'existence avérée d'une tendance djihadiste au sein du courant salafiste. Tous ces oublis ou occultations entraînent une difficulté à appréhender un phénomène doublé d'une organisation telle Daech. Objectivement, ils ne peuvent le classer dans les États terroristes puisqu'il n'est pas un État et vue leur position, ils sont obligés de lui dénier le qualificatif d'organisation islamiste.</p> <p>L'EI ne serait qu'un groupe mafieux (Badiou) un peu particulier et ses membres des « pieds nickelés » (Roy). La radicalisation, si radicalisation il y a, proviendrait, dès lors forcément, d'un événement extérieur (l'occupation de la Palestine, la guerre en Syrie (6) , l'intervention occidentale au Moyen-Orient) et d'un contexte particulier (le chômage des jeunes d'origine immigrée, les discriminations…) qui serait à l'origine de ce qui va être qualifié de dérive ou de folie meurtrière. En tout cas, tout cela doit être ramené à une cause historique dans l'histoire occidentale. La colonisation en toile de fond permet de développer un discours anti-impérialiste qui sied aussi bien à ceux qui ne voient là que de nouveaux « gauchistes » du djihad (pour Roy ils ne seraient que des nouveaux « brigadistes (7) », seule la couleur du drapeau changerait passant du rouge au vert), qu'à ceux qui n'y voient que de nouveaux fascistes (pour Badiou, ils réactivent l'image du lumpenprolétariat dont parlait Marx).</p> <p>Badiou confond ici des actes qui peuvent s'apparenter au squadrisme fasciste avec un fascisme politique qui implique un mouvement de masse… qu'on ne retrouve justement pas aujourd'hui sous les formes de l'islamisme radical. Le courant salafiste offensif et djihadiste reste très minoritaire et procède tout autrement. Il ne cherche pas à se gagner les masses, mais à les effrayer.</p> <p>Cette mise à toutes les sauces du fascisme est critiquée par Robert Paxton (8) , l'historien de la Seconde Guerre mondiale à propos de l'amalgame fait entre des phénomènes comme la cam-pagne présidentielle de Donald Trump aux États-Unis, les Tea party, le FN, l'islamisme radical. Paxton y montre de façon convaincante que Trump défend clairement les millionnaires et que son populisme n'a rien d'anti-capitaliste ; que les Tea party sont pour l'État minimal et relèvent plutôt d'une idéologie libérale/libertaire ; que le FN de Marine Le Pen n'est qu'un mouvement de la Droite européenne et n'est pas assimilable à Aube dorée. À l'inverse, la position de Badiou revient à simplifier des situations afin de tracer des signes équivalents pour donner l'impression d'y voir plus clair. Le nouveau ne serait donc jamais que de l'ancien sous un nouveau jour. Cette position aboutit à essentialiser le fascisme comme une forme non historique dont l'invariance, au moins à l'époque contemporaine, lui permettrait de se glisser dans tous les oripeaux, y compris donc dans celui de l'Islam. Cette supposée invariance du fascisme autorise par là même tous les énoncés anti-fascistes mis en avant par divers groupes d'extrême gauche ou libertaires pour ne pas avoir à prendre position sur la question de l'islamisme radical ou sur la radicalisation de certaines de ses fractions. Mais ces énoncés ne sont que des postures et ils ne débouchent sur aucune action pratique anti-fasciste visant les djihadistes. Et pour cause, car alors ces groupes se retrouveraient dans la même situation que la police. Il leur faudrait mener l'enquête dans des quartiers qu'ils ne connaissent pas, faire le tri entre « bons » et « méchants » et, comme dans la guerre des polices, ils ne seraient jamais d'accord entre eux.</p> <p>Mais Badiou (9) est moins gauchiste et plus communiste que le tout-venant. Il sait que la sortie, si sortie il y a, ne peut provenir que du dégagement d'une autre perspective. C'est là qu'intervient sa croyance en l'idée communiste ou plutôt en le communisme comme idée, manifestant en cela, une fois encore, son indéfectible attachement à la philosophie de Platon. Pour Badiou, le communisme est semblable à une théorie scientifique qui, elle aussi, doit être expérimentée non pas en laboratoire, mais dans les mouvements de l'histoire. Ce n'est donc qu'une « hypothèse (10) » qui demande à être validée ou invalidée par l'expérimentation. En conséquence, les échecs manifestes des révolutions qui au XXe siècle se référaient à cette idée n'impliquent pas pour autant que « l'on jette le bébé avec l'eau du bain ». Il n'y a pas de leçons à tirer des dévastations et des catastrophes engendrées par « l'idée communiste » mais seulement à persévérer dans l'affirmation métaphysique de cette idée en cherchant à l'incarner autrement. Qu'est-ce qui fonde « l'idée communiste » ? C'est le contenu de vérité de son énoncé ; vérité qui trouve sa puissance dans… « les idéalités mathématiques » (cf. Jean-Toussaint Desanti). Nous sommes donc loin de l'affirmation de Marx : « le communisme n'est pas un état de choses qu'il convient d'établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer […] le communisme est le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses ».</p> <p>Ce qui est surprenant aussi, c'est que Badiou, qui est un théoricien de l'événement auquel il attache une grande importance, en vient ici à nier la spécificité du phénomène djihadiste. En effet, le capitalisme et l'impérialisme existent depuis des centaines d'années, l'absence de perspectives pour les jeunes remonte déjà à une bonne trentaine d'années. Mais cela n'explique pas pourquoi, maintenant, disons depuis une quinzaine d'années, des milliers de jeunes Occidentaux (musulmans ou convertis) se tournent justement vers l'islam et pas vers le bouddhisme, l'altermondialisme, le gauchisme ou tout autre débouché politique, idéologique ou religieux, pour tenter de trouver des réponses à leur insatisfaction, mal être ou révolte ? La comparaison avec le fascisme n'a de sens que si l'on pense que le capitalisme mondial se trouve dans une crise comparable à celle des années 1930, produisant les mêmes effets dévas-tateurs sur le niveau et les conditions de vie des Occidentaux. Des effets qui ont entraîné à l'époque, une contestation massive des formes parlementaires et démocratiques, au sein de mouvements de masse capables d'infléchir la politique de gouvernements ou même de prendre le pouvoir et de développer des logiques à la fois souverainistes, populistes et nationalistes guerrières. Or, ce que l'on appelle aujourd'hui « la crise » ne présente pas les mêmes caractères. Il s'agit, pour le court terme du moins, d'une crise de basse intensité aussi bien au niveau économique que politique, dont les effets, dans les pays les plus riches, sont limités par des amortisseurs sociaux au sein d'ensembles nationaux interconnectés mondialement (globa-lisation), au niveau politique comme au niveau économique. Le repli protectionniste et a for-tiori guerrier n'est donc pas encore de mise, même si des soubresauts souverainistes se font jour çà et là. Par ailleurs, la contestation massive des formes démocratiques, de la part de l'extrême droite comme de la part de l'extrême gauche, laisse place à une simple désaffection '11) (montée de l'absentéisme électoral malgré le ralliement des gauchistes au processus électoral) vis-à-vis de la vie politique et de l'action militante. Contrairement aux années 1930, c'est toute la société qui se « droitise » sans éclosion de mouvements d'extrême droite significatifs qui se manifesteraient sur le terrain autre qu'électoral. Seuls certains pays comme l'Allemagne (12), dans son ancienne partie de l'Est surtout, l'Autriche, la Hongrie et les Pays-Bas (13) semblent connaître un mouvement de telle nature axé sur la lutte contre les immigrés et les réfugiés.</p> <p>Quant aux pays dits musulmans, ils sont aussi en « crise » et parfois des crises sociales bien plus graves qu'en Europe, mais cela ne déclenche pas forcément partout un essor de l'Islam politique ou a fortiori du djihadisme. Les « printemps arabes » nous ont plutôt montré le con-traire et leur issue décevante n'a pas entraîné une quelconque fascisation mais le retour de formes plus traditionnelles, telles la démocratie confisquée (Tunisie), le putsch militaire (Égypte), le démantèlement de l'État (Libye). Toutefois, il est bien évident que les organisations djihadistes chercheront à profiter de la nouvelle situation, soit en se présentant comme le seul projet alternatif au retour à l'ordre autocratique ou militaire si celui-ci n'arrive pas à remplir sa fonction politique d'unité (entre chiites et sunnites en Irak et Syrie ; entre groupes tribaux en Libye, etc.) ; soit en cherchant à affirmer leur propre puissance concurrente comme Daech l'a déjà entrepris.</p> <p><strong>LE RETOUR DE LA RELIGION ET SA CRITIQUE</strong></p> <p>Dans son tout récent livre (op. cit.), Raphaël Liogier s'oppose d'emblée à la thèse de Huntington. Il ne s'embarrasse pas de questions philosophiques ou anthropologiques autour de la définition de la notion de civilisation (14) . En effet, il énonce directement qu'il ne peut y avoir de choc entre civilisations à notre époque puisqu'il n'en existerait qu'une ou plus exactement plus qu'une, la civilisation globale et technologique. C'est une sorte d'ajout technologique et connexionniste à la vision politico-militaire et culturelle de Bush-Blair (cf. supra, note 2). Face à un advenu parachevé (déterritorialisation, mise en réseau), deux néo-fondamentalismes se feraient face, celui des Européens nostalgiques (15) de leur ancienne domination et celui des néo-fondamentalistes musulmans exprimant leur frustration vis-à-vis de l'Occident. Ces deux néo-fondamentalismes alimenteraient en fait la thèse du choc des civilisations. Cette argumentation paraît peu convaincante. Les néo-fondamentalistes de Liogier sont en fait des conservateurs, pas des « barbares ». Or, ceux qui ont détruit Palmyre ne proposent pas une autre civilisation ! Les djihadistes ne sont pas des « conservateurs » sans pour cela être des révolutionnaires et c'est bien ce qui pose problème si on veut quand même les qualifier en termes politiques.</p> <p>Roy, Badiou et Liogier ne veulent pas partir de la religion. D'abord parce qu'ils n'en font pas un sujet de critique essentielle en soi ; ensuite parce que celle-ci serait « de moins en moins facteur d'opposition de valeurs » (op. cit., p. 13). Pour Liogier, elle ne serait qu'un produit comme un autre sur un marché spécial qui est celui de la terreur. La différence entre Al-Qaida et Daech tiendrait dans une stratégie marketing différente, indifférenciée pour Al-Qaida qui s'adresse à tous les musulmans ; ciblée pour Daech qui s'adresse aux sunnites, mais en sachant pertinemment qu'ils représentent la plus grande part de marché (16) . Les sociologues bourdieusiens sont certes tancés par Valls mais les post-modernes relativistes semblent chercher le fer pour se faire battre quand, comme ici, Liogier réduit la concurrence entre groupes djihadistes à une concurrence entre marques.</p> <p>Dans la sorte de polémique qui se fait jour concernant les termes de « retour » ou de « recours » à la religion, ces trois-là penchent plutôt pour l'idée d'un recours à la religion d'où leur refus, plus ou moins explicite de partir de la religion pour comprendre le terrorisme islamiste. En élèves bornés de Durkheim, ils veulent attribuer à un phénomène qu'ils jugent absolument social, des causes sociales. C'est méconnaître la religion comme puissance de représentations (17) et comme force politique et surtout qu'elle puisse garder cette force encore aujourd'hui dans des sociétés qui sont offi-ciellement, au moins dans une partie de l'Europe, sorties de la religion. Ce qui était auparavant courant, comme pendant les guerres de religion du XVIe siècle, à savoir qu'il n'y avait pas de séparation entre religion et politique, entre public et privé et que finalement, tout était rapporté à Dieu aurait dû être effacé des mémoires et des structures sociales par des siècles de sécularisation. Si le sentiment religieux n'a pas disparu pour autant, c'est premièrement parce que ces institutions ont été intégrées aux formes modernes de l'État à partir du moment où elles devenaient « raisonnables » et froides, et deuxièmement que les croyances des individus ont résisté à cette sécularisation de façon tout à fait irrationnelle et chaude. Elles peuvent donc déboucher, si le contexte s'y prête, sur des pratiques tout aussi irrationnelles puisque la croyance religieuse n'est pas de l'ordre de la raison. D'ailleurs de nombreux salafistes ont des formations scientifiques ce qui les empêchent nullement de « croire ». Il en va de même pour de grands scientifiques, par ailleurs chrétiens, en Europe ou aux États-Unis. Cette constatation sur une persistance de l'irrationnel à travers les croyances et particulière-ment les croyances religieuses ne concernent d'ailleurs pas que l'Islam, mais l'ensemble des religions dans lesquelles s'expriment ces formes chaudes qui mêlent archaïsme et modernité.</p> <p><strong>LE CAPITALISME N'A RIEN « DEPASSE »</strong></p> <p>Il est difficile d'admettre aujourd'hui que le capitalisme n'a rien « dépassé » et qu'il est à nouveau de plus en plus difficile de distinguer conflit politique et conflit religieux, d'autant que ceux-ci prospèrent sur des terres qui connaissent certes le capital et la valeur, mais encore mal le capitalisme et surtout « l'esprit du capitalisme (18) » . C'est particulièrement net dans le conflit israélo-arabe dont l'origine politique s'est de plus en plus imprégnée d'une coloration religieuse de la part des deux protagonistes ; tonalité qui a rejailli sur de nombreux autres conflits, leur faisant prendre progressivement la même voie théocratique.</p> <p>Ainsi, on est passé du Fatah nationaliste, socialisant et laïc au Hamas, produit d'une scission au sein des Frères musulmans et qui s'est d'abord livré à une action sociale envers les pauvres, puis a développé une stratégie plus politique au cours de la première « guerre des pierres » contre l'occupation israélienne ; guerre qui s'accompagne d'un volet religieux avec campagne pour le hijab obligatoire sur le territoire contrôlé par le Hamas. Pour cette organisation islamiste, les juifs empiètent sur une terre qui n'est ni palestinienne, ni même arabe, mais musulmane. Une donnée ignorée par la majorité des individus occidentaux qui soutiennent la lutte des Palestiniens pour leur indépendance.</p> <p>Deux conséquences découlent de cette confusion idéologique. Tout d'abord un glissement de l'antisionisme à l'antisémitisme (19), donc de l'analyse en termes politiques à l'analyse en termes religieux. Ce glissement concerne des musulmans, mais aussi une grande partie de l'extrême gauche pourtant athée et jadis critique par rapport à toute religion qui, pourtant, se rallie aujourd'hui à la « religion des pauvres » par absence de principes ou même par opportunisme et flirte parfois avec l'antisémitisme (20) . Les Israéliens et plus généralement les juifs cèdent aussi à ce glissement, non pas vers l'antisémitisme bien sûr, mais vers l'analyse en termes religieux, les juifs orthodoxes et les nouveaux colons ayant porté le débat en ces termes, pendant que la droite israélienne soutenait en coulisse le Hamas sunnite afin d'affaiblir les laïcs nationalistes du Fatah.</p> <p><strong>UN NOUVEL INTERNATIONALISME ?</strong></p> <p>Comme le dit Gilbert Achcar dans Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (Actes-Sud, 2015), l'islamisme, c'est-à-dire l'Islam politique, se présente aujourd'hui comme un nouvel internationalisme (21) et surtout comme le dernier et le seul en exercice, ce qui n'est pas rien dans des pays à dominante musulmane dont l'État est en voie de dissolution ou se retrouve très affaibli suite à l'éviction de dictatures sanglantes par les puissances occidentales (Irak, Libye) ou par les luttes de forces d'opposition (Libye, Syrie, Égypte).</p> <p>Ce n'est pas rien non plus pour des individus bi-nationaux, ou récemment ou peu intégrés à la société occidentale dans laquelle ils vivent, et pour qui ce qui se passe en Syrie avive la tendance à se projeter sur une forme concrète de participation à l'Oumma à travers le « djihad offensif ». Mais contrairement à l'internationalisme socialiste universaliste, l'internationalisme ou l'a-nationalisme islamique n'est pas universaliste mais bien particulariste (22) . Si on veut trouver un point commun avec un autre internationalisme, c'est plutôt du côté de l'internationalisme fasciste qu'il faut tourner son regard. Celui qui donna lieu à des participations de divisions étrangères à la guerre d'Espagne (la légion allemande Condor et le Corpo Truppe volontarie italien par exemple) ; et à la deuxième guerre mondiale aux côtés des nazis (la division espagnole Azul à partir de 1941 et la légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) créée en 1941 et qui intégrera la division Charlemagne (créée en 1943) en 1944. Mais il faut relativiser cela. Tout d'abord il serait plus juste de parler d'une internationale fasciste que d'un réel internationalisme ; ensuite, ces troupes de choc s'appuyaient quand même directement sur la puissance d'États fascistes et secondairement sur une idéologie politique mise en pratique par ces mêmes États qui servait de référence. Et de toute façon, si l'on veut parler de la tension entre internationalisme, ethnies, religions c'est plutôt sur le congrès de Bakou de 1920 qu'il faudrait se pencher, mais ça dépasserait l'ambition limitée de ce texte (23) .</p> <p>Aujourd'hui, si les groupes djihadistes bénéficient du financement de certains États ou s'ils passent des alliances de circonstance (avec ou contre Bachar, par exemple) et si leurs membres s'apparentent plutôt à des mercenaires à qui l'organisation fournit entraînements militaires poussés, armes, soldes et femmes, ils n'en demeurent pas moins indépendants et fonctionnent en réseaux déterritorialisés même si le mini-califat de l'EI constitue un début de territorialisation dont on ne sait s'il est amené à se « nationaliser » ou bien s'il ne constitue qu'une base provisoire pour une extension future « internationaliste ». Ce qui est sûr, c'est que l'EI et d'autres groupes islamo-militaires profitent à plein d'une situation géopolitique particulière caractérisée par la présence d'États sans nation et de nations sans État avec le cas emblématique des Kurdes.</p> <p><strong>CRISE DE L'ÉTAT-NATION ET RESORPTION DES INSTITUTIONS </strong></p> <p>Les institutions religieuses subissent, au moins en Europe, car il en va différemment aux États-Unis et en Amérique latine, une perte de crédibilité générale. Tout d'abord parce que la crise de toutes les institutions liées à l'État y est générale et les institutions religieuses n'y échappent pas. Ensuite parce que ces institutions religieuses sont remises en cause de tous les côtés : du côté du réveil spiritualiste de tendance quiétiste parmi les classes moyennes, du côté de la recherche charismatique parmi les pauvres ou les « désaffiliés » en mal de communauté et de convivialité, enfin du côté fondamentaliste réactionnel et frustré chez les personnes marginalisées ou en voie d'exclusion.</p> <p>Face à cet état de fait, la perspective de l'État français de (re)construire un Islam national s'avère non seulement inadéquate avec la tendance générale à la désinstitutionnalisation dans la société capitalisée, mais entre aussi en contradiction avec le fait que le lien traditionnel Église-État est aujourd'hui supplanté par les relations directes que l'islamisme entretient avec le capitalisme mondial (réseaux/internet). En cela, il est résolument néo-moderne dans cer-taines de ses pratiques même s'il reste conservateur au niveau idéologique.</p> <p>Pourtant, Olivier Roy reconnaissait cette dimension en 2004 quand il répondait dans la revue Vacarmes, à Foucault et son apologie de la révolution islamique iranienne : « C'est l'insurrection d'hommes aux mains nues qui veulent soulever le poids formidable qui pèse sur chacun de nous, mais, plus particulièrement sur eux, ces laboureurs du pétrole, ces paysans aux frontières des empires : le poids de l'ordre du monde entier. C'est peut-être la première grande insurrection contre les systèmes planétaires, la forme la plus moderne de la révolte et la plus folle [nous n'inventons rien !, Ndlr]) » (Corriere della Sera, 26/11/1978). Et de rajouter, pour faire bonne mesure dans la fausse prédiction : « Il n'y aura pas de parti de Khomeyni, il n'y aura pas de gouvernement Khomeyni ». On comprend qu'il ait pu ensuite faire la critique de l'intellectuel général et se contenter modestement de la parole des « experts ». Olivier Roy lui répond : « Ce que Foucault ne voit pas, c'est l'islamisme, c'est-à-dire la relecture du religieux en termes d'idéologie politique, laquelle réinsère la révolution iranienne dans une tradition révolutionnaire plus large et cette fois bien millénariste (24) ». Cette option d'origine a fait long feu. L'Iran ne cherche plus à mettre le monde à feu et à sang et se conduit comme une puissance régionale comme une autre qui défend son pré carré comme actuellement en Syrie.</p> <p>Cette tendance au déni de la puissance politique et sociale des religions revient, chez Liogier comme bien d'autres, volontairement ou non, à noyer la montée de l'islamisme radical au milieu des autres montées confessionnelles (new age, next age, néo-pentecôtiste, judaïsme ultra-orthodoxe) alors que ces dernières sont, selon les classifications de Liogier lui-même, à dominante spiritualiste pendant que la première est militante mêlant néo-fondamentalisme et radicalisme anti-système. Pour Liogier il y a trois formes de « retour » à la religion dans les pays occidentaux :</p> <p>– la forme spiritualiste qui part des textes et correspond aux couches aisées. Elle déborde par-fois sur de nouvelles spiritualités mixant diverses religions comme dans le next age ;</p> <p>– la forme charismatique qui mêle retour aux textes et dimension émotionnelle et conviviale dont les néo-évangélistes fournissent le modèle, en Amérique du Sud surtout, et qui viserait les classes moyennes ;</p> <p>– la forme fondamentaliste réactionnelle répondant aux frustrations des plus pauvres et dont le djihadisme de l'EI et autres serait un rejeton. Elle ne se réfère qu'abstraitement aux textes (le Coran comme slogan) parce que c'est le combat seul qui permet l'attribution du qualificatif de musulman.</p> <p>Cela inclut le processus du terrorisme dans ses formes contemporaines spécifiques qui mêlent étroitement individualisme et communautarisme (25) . Selon les propres critères de Liogier, c'est donc la notion de fondamentalisme qui semble impropre puisque pour ces groupes islamistes, le djihad n'a aucune signification spirituelle. Il ne s'agit que de guerre sainte et de lutte contre les « croisés » occidentaux et leurs soutiens musulmans (cf. les actions de Merah), c'est-à-dire contre l'ensemble des infidèles(26) .</p> <p>Même tendance à noyer le poisson quand Liogier compare la montée de l'influence évangéliste dans le « 93 » et les quartiers nord de Marseille au haut niveau de présence musulmane . Sa vision de l'hypermodernité religieuse s'apparente à celle de Gilles Lipovetsky (27) sur l'hypermodernité en général. Son appréhension du recours au religieux répond à l'approche de l'individualisme méthodologique qui lui permet de développer l'idée du libre « choix » parmi les « branchées » de la capitale qui portent fièrement le voile (28) comme un signe de distinction alors qu'il suffit de prendre les transports en commun en banlieue pour voir des têtes baissées, des airs soumis et qu'il suffit de regarder des images d'Irak, d'Iran ou de Syrie et d'Afghanistan pour voir que là-bas, la « distinction » n'est pas à l'ordre du jour, mais bien plutôt l'uniformité et la soumission imposée par la violence. Une uniformité que G. Kepel relève dans son dernier livre (op. cit) (29) .</p> <p>Quand on ne cible pas, comme Liogier, l'esthétique islamiste où l'engagement personnel de certaines, qui existe bel et bien, on a plutôt le développement progressif, mais aujourd'hui massif de ce que décrit Gilles Kepel : « Dans les quartiers populaires, où les marqueurs de l'islamisation sont ostensibles, il est devenu socialement difficile, voire impossible, de rompre le jeûne diurne en public durant le ramadan quand on est musulman de faciès ».</p> <p>S'abandonner à cette vision d'un islamisme individualisé et qui serait noyé dans les nouvelles formes du new age, c'est aussi tenir pour négligeable celles et ceux qui sont victimes quotidiennement de l'ordre islamique ou qui luttent quotidiennement contre cet ordre, sa police et sa justice, dans les pays de confession dominante musulmane et a fortiori dans ceux où la religion musulmane est religion d'État. Pour Liogier, le retour du religieux n'est pas vraiment un retour car il se fait sur le mode du revival. Il est donc hypermoderne et toutes les religions seraient concernées. Toutes les religions seraient concernées par ce recadrage individualiste des croyances. Tout étant analysé en terme de postures, toutes ont leur place dans le capitalisme globalisé. Al-Qaida est un franchisé du terrorisme et comme Leclerc il a fait figure de pionnier ; alors que Daech c'est Carrefour (p. 150) au concept plus radical, plus ambitieux, plus mondial !</p> <p>Tout ce qui se met en réseaux serait donc équivalent. Pas de différence de fond entre maillage commercial et diffusion de la terreur. La critique, si critique il y a, s'en trouve comme aplatie même si elle réapparaît au détour du chemin quand Liogier nous dit que toutes les civilisations ont reposé sur l'idée de limite sauf justement la « civilisation globale ». On assisterait donc, d'après lui, à une sorte de réenchantement du monde à l'opposé de la thèse bien connue de Max Weber. Une hypothèse qui ne tient que si on ne s'occupe que de la dimension individua-liste/hédoniste du retour de la religion, mais qui ne tient plus du tout si on accorde toute l'attention aux formes radicalisées de ce retour qui nous apparaissent bien plutôt comme en continuité avec le « désenchantement du monde » wébérien, lequel atteint un niveau bien supérieur à ce qu'imaginait son concepteur.</p> <p><strong>UNE MANIFESTATION DE LA TENSION INDIVIDU/COMMUNAUTE</strong></p> <p>Malgré sa connaissance du terrain et sa description des « nouveaux territoires de la Répu-blique », Gilles Kepel reprend à son compte cette hypothèse d'un « réenchantement » dans son dernier livre Terreur dans l'hexagone (Gallimard, 2015). Il porte d'abord des assertions vides de contenus, mais à portée fortement médiatiques, sur l'effet terrorisant produit par des individus dont la critique du « système » s'effectuerait sur le modèle du délire. Pas un mot donc sur le fait que ce délire n'est pas abstrait mais qu'il repose sur une croyance et en l'occurrence une croyance religieuse, même si on estime qu'elle est ici travestie ou défigurée. Il réunit ensuite deux phénomènes opposés en apparence, salafisme radical d'un côté et tendances islamophobes de l'autre, mais qui auraient en réalité la même cause. Ils seraient pro-duits par la crise sociale qui aurait vu disparaître la classe ouvrière et son tissu social encadré par le « parti des travailleurs ».</p> <p>Radicalisation salafiste et islamophobie via le FN constitueraient ainsi des formes de réenchantement du monde parce qu'elles viendraient remplir un vide. Comme nous l'avons dit dans notre critique de Liogier, on ne voit pas en quoi des situations de désespérance sociale participeraient d'un quelconque réenchantement du monde, pas plus d'ailleurs qu'à l'inverse elles seraient portées principalement par un instinct de mort comme le pense Badiou (30) .</p> <p>À la limite, il est plus juste de dire comme P. Hassner qu'on assiste à un retour des passions (31) si ce n'est de l'Histoire. Une situation dans laquelle la tension individu/communauté s'intensifie. Mais ici elle ne s'intensifie pas dans la perspective de la communauté humaine (même incarnée par une classe) comme dans les processus révolutionnaires du passé (Révolution française et Révolution russe) mais au sein d'identités fermées (les « Nous » contre « Eux » ou contre l'Autre). Kepel et d'autres voient cela comme un repli identitaire, mais on peut tout aussi bien y voir un redéploiement. En tout cas il apparaît très difficile de maintenir son hypothèse d'une explication unique des deux phénomènes qu'il assemble : montée du salafisme radical d'un côté et montée de l'islamophobie de l'autre. Il y aurait repli dans les deux cas que si nous nous trouvions dans une situation de guerre froide entre civilisations entraînant, dans un premier temps, une situation de coexistence séparée de deux ensembles homogènes et fermés hermétiquement. Ce n'est le cas nulle part en Europe.</p> <p>On ne peut donc tout traiter en terme de repli. C'est particulièrement net en ce qui concerne la question du « retour » de la religion. Même ceux qui prennent au sérieux la religion comme Yvon Quiniou (32) n'en prenne pas toute la mesure ou plutôt sous-estiment son retour. Pour lui, en bon disciple du marxisme, la religion ne peut être qu'une « imposture intellectuelle » ou une « illusion idéologique », mais il n'explique pas pourquoi il y a « retour (33) ». Il n'explique rien de ces conceptions du monde, de leur sens, de leur pérennité, alors que la critique doit en tenir compte pour s'introduire dans un « monde » qui lui est immédiatement étranger et dont spontanément elle se met à l'écart au mieux, à l'extérieur au pire (34) . La critique de Quiniou ne permet pas le « dépassement » de l'opposition entre religion et critique de la religion. Or, tenir compte de l'évolution historique de cette opposition pourrait permettre de déboucher sur une perspective de communauté humaine ouverte et loin de toute idée de « communion (35) » dans laquelle il ne pourrait s'y exprimer aucune individualité singulière.</p> <p>(<i>1)Bien sûr, que pour l'instant, l'EI n'existe qu'en tant qu'organisation (et encore, certains comme Olivier Roy n'y voient que le produit d'un grand fantasme de l'organisation islamiste elle-même au prétexte que la vision du futur de Daech serait hautement improbable et comme si ça rendait virtuelles ses actions actuelles) et pas en tant qu'État, mais il n'empêche qu'il y a bien là un usage langagier d'euphémisation typique du discours politiquement correct.</p> <p>(2) Dans un article de 1993 dans la revue Foregn Affairs, intitulé The clash of the civilisazions, Huntington déclare « L'axe central de la politique mondiale à l'avenir risque d'être […] le conflit entre “l'Occident et le reste du monde” et les réponses des civilisations non occidentales aux valeurs et aux pouvoirs occidentaux » (1993). Cette thèse sera reprise dans son livre Le choc des civilisations, traduction française en 2000 aux éditions Odile Jacob. Une thèse qui a fait beaucoup de bruit médiatique et idéologique mais n'a pas eu trop d'effets pratiques dans la mesure où les États dominants l'ont rejetée du fait de leurs alliances avec les dictatures saoudiennes et pakistanaises. Bush et Blair ont en effet inclus ces gendarmes locaux dans le camp de « leur civilisation » qui n'est donc plus définie seulement comme occidentale, mais aussi comme celle qui régit « le capitalisme du sommet » (ce que nous appelons le niveau 1 de la domination au niveau mondial, cf. n° 15 de Temps critiques).</p> <p>(3) Cf. les interviews d'Olivier Roy : « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste » (Le Monde daté du 24/11/2015) et « Le djihad est aujourd'hui la seule cause sur le marché » (Libération du 3/10/2014)</p> <p>(4) Il diffère de la conversion traditionnelle qui impliquait l'intermédiaire de l'institution religieuse ou de son représentant, d'être publique et inscrite dans la loi républicaine ou démocratique du pays d'accueil.</p> <p> (5)Le politicien Valls a alors beau jeu de leur reprocher une « sociologie de l'excuse » qui tendrait à sous-estimer la réalité et l'importance des faits en les subordonnant à la recherche des causes.</p> <p> (6) La mauvaise foi ou encore les œillères idéologiques anti-impérialistes vont jusqu'à faire des néo-conservateurs américains et de l'intervention occidentale en Irak et en Syrie — intervention que nous ne défendons pas — la cause des massacres actuels entre sunnites et chiites ! Ainsi s'est bâtie une légende islamophile et anti-impérialiste selon laquelle ces deux branches de l'Islam auraient auparavant vécu en parfaite harmonie au Moyen-Orient. Or, si nous avons participé au mouvement anti-guerre de 1991 (cf. Temps critiques, n° 3) ce n'est pas pour oublier maintenant que Saddam tenait le même discours à l'époque, massacrant et gazant tranquillement les chiites d'Irak. C'est d'ailleurs pour inverser cette tendance que les Américains ont appuyé un gouvernement chiite dans l'Irak de l'après Saddam avec les résultats que l'on sait : développement immédiat d'une résistance sunnite terroriste d'un côté, vengeance politique chiite de l'autre. Oubliée aussi la guerre Iran-Irak et le rôle qu'y ont joué les ayatollahs chiites d'un côté, les wahhabites sunnites de l'autre !</p> <p> (7) Même chose pour Raphaël Liogier dans La guerre des civilisations n'aura pas lieu, CNRS, 2016, pour qui les terroristes islamistes reprennent les méthodes de la Fraction armée rouge (RAF) et des Brigades rouges (BR)… sans donner un seul exemple de ces prétendues méthodes communes. Son ignorance lui fait confondre les méthodes de la « Bande à Baader » avec celles des Cellules révolutionnaires (RZ) dont, il est vrai, la fixation sur le conflit israélo-palestinien allait entraîner une dérive antisémite ; les méthodes des fascistes italiens des attentats à la bombe de Milan et de Bologne avec les jambisations des BR ou l'assassinat ciblé de Moro. Il serait, si ce n'est plus juste, en tout cas moins faux, d'établir une comparaison avec les méthodes de l'ETA basque ou de l'IRA irlandaise, mais sans rapport de contenu ni dimension messianique ou eschatologique chez ces deux derniers.</p> <p>(8) Cf. le site du journal Project syndicate, 07/01/2016.</p> <p>(9) Ce passage sur Badiou a été écrit en collaboration avec J. Guigou.</p> <p>(10) Alain Badiou, L'hypothèse communiste, Lignes, 2009.</p> <p>(11) Si on excepte, et dans une certaine mesure seulement, l'Espagne et la Grèce.</p> <p> (12) Là encore si on excepte la Grèce. Quant au FN, il est incapable de faire descendre les gens dans la rue et quand par hasard ils y descendent, c'est sans lui, au moins officiellement, comme dans « la Manif pour tous ».</p> <p>(13) Il y a déjà eu quatre manifestations de « citoyens concernés » aux Pays-Bas depuis novembre, manifestations violentes un peu noyautées par l'extrême droite mais à Geldermalsen il y avait 50 fascistes pour 2000 « citoyens concernés ». Les flics néerlandais ont dû tirer en l'air et il y a deux semaines les « citoyens concernés » se sont mis à lancer des cocktails Molotov non plus sur les foyers de réfugiés mais sur la mairie qui devait discuter de l'accueil éventuel des réfugiés. Wilders veut que tous les réfugiés masculins soient interdits de sortie de leurs foyers et il fait distribuer gratuitement dans toute la Hollande des bombes lacrymogènes au poivre pour que les Néerlandaises puissent se défendre contre les réfugiés…</p> <p>(14) Bégayant plus que paraphrasant la phrase devenue culte de Badiou à propos de Sarkozy, Liogier ne se pose qu'une question en titre de sa première partie : « De quoi les “civilisations” sont-elles le nom ? ».</p> <p>(15) – Dès l'introduction du livre on peut remarquer certaines incohérences. Toute la première partie du raisonnement repose sur l'hypothèse du déclin de l'Europe et donc de son repli, or dans la seconde partie l'auteur nous dit que l'autre base du néo-fondamentalisme occidental ce sont les sectes protestantes d'origine américaine dont l'influence ne cesse de s'étendre en Amérique du Sud et en Asie ! Y aurait-il aussi déclin de « l'empire américain » alors que « sa » religion s'exporte encore mieux que ses marchandises ?</p> <p> (16) Où on peut voir que la micro-sociologie américaine a enfin pénétré dans l'université française !</p> <p> (17) Pour Durkheim, le « religieux » ne relève pas du fait social, mais il a un rôle social dans la mesure où il permet de canaliser et organiser les faits sociaux.</p> <p>(18) – On n'a pas l'impression d'avoir affaire à un débat théologique de haut vol. D'un côté, il y a des utilisations du Coran et des hadiths par des gens très militants mais qui ne sont pas des théologiens et de l'autre côté, des États musulmans qui ne sont pas vraiment en train de mener une guerre pour un objectif théologique, même si bien sûr ils utilisent des arguments religieux dans la lutte entre puissances régionales (Iran et Arabie saoudite). Sur ce point, cf. notre brochure Soubresauts disponible sur le site.</p> <p>(19) Reconnu et dénoncé par Tarek Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux dans Le Monde daté du 15/01/2016.</p> <p>(20) Cf. les compilations de la revue NPNF sur ce sujet.</p> <p>(21) C'est en 2005 qu'Abou Musab al-Suri lance son « Appel à la résistance islamique mondiale ». Le point le plus discutable du livre d'Achcar (p. 219-220) est qu'il explique ce nouvel internationalisme par ses origines petites bourgeoises, ce qui n'apporte pas grand-chose de nouveau puisque les marxistes interprétaient généralement le nationalisme arabe dans les mêmes termes. Cela n'explique ni le passage du nationalisme à l'islamisme, ni plus globalement l'échec du socialisme.</p> <p>(22) N'en déplaise à Jean Birnbaum qui dans le Monde daté du 24-25 janvier, à propos de son dernier livre Un silence religieux, la gauche face au djihadisme (Seuil, 2016), parle du face à face entre deux universalismes ! Toutefois, sa conclusion reste juste « Partout où il y a de la religion, la gauche ne voit pas trace de politique. Dès que la politique surgit, elle affirme que cela n'a “rien à voir” avec la religion ».</p> <p>(23) Un résumé critique du congrès et de ces tensions peut être consulté sur : <a href="http://www.solidariteirak.org/spip.php?article146" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.solidariteirak.org/spip....</a> (« Les miasmes de Bakou »).</p> <p>(24) Negri, qui a pourtant un bagage politique et militant plus important, en rajoute en déclarant : « Dans la mesure où la révolution iranienne a exprimé un profond rejet du marché mondial, elle pourrait être considérée comme la première révolution post-moderne » (cf. <a href="http://www.lemonde.fr/idées/article/2015/05/08/cette-gauche-qui-n-ose-pas-critiquer-l-islam_4630280_3232.html" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.lemonde.fr/idées/article...</a>. La « multitude » a bon et large dos !</p> <p>(25) Comme le dit Samir Amgar dans M le magazine du Monde du 23 janvier 2016, les djihadistes européens ne sont pas des « fous de Dieu » : « Ils ont le sentiment d'appartenir à une avant-garde éclairée, d'être les acteurs de leur propre histoire, de la grande histoire du réveil islamique ». Il s'agit de changer le monde non pas en partant de sa condition comme dans la vision prolétarienne classiste, mais en changeant de condition comme le montre le cas extrême des convertis et aussi celui des petits délinquants « qui ne fréquentaient pas la mosquée, fumaient et buvaient de l'alcool » comme le racontent souvent leurs voisins ou parents.</p> <p>(26) Considérant que la situation actuelle n'est pas différente de celle de l'époque des anciens Califats, l'EI et les différentes branches d'Al-Qaida ne distinguent pas grand djihad spirituel, petit djihad sur terres musulmanes et djihad offensif/djihad terres non musulmanes. Cette position met dans l'embarras ceux qui maintiennent ces distinctions, à savoir, d'un côté les tenants de l'Islam politique (Hezbollah, Hamas) et de l'autre les réformateurs de l'Islam qui ont peur d'être accusés d'apostasie.</p> <p> (27) Sans doute pense-t-il que c'est à cause de cette présence évangéliste que le directeur du consistoire juif de Marseille a demandé aux juifs marseillais de ne plus porter de signes visibles de judaïté devant la forte croissance des actes antisémites dans cette ville ; sans doute pense-t-il encore que c'est à cause des évangélistes que la cafétéria de l'université Paris VIII de Saint-Denis est maintenant « hallal »… On pourrait égrainer les exemples.</p> <p> (28) De semblables pratiques se retrouvent chez des groupes de féministes allemandes qui non seulement portent régulièrement le voile islamique, puisqu'il est pour elles « un signe d'émancipation » mais pour nombre d'entre elles, la burqua. Cf. « Les événements de Cologne divisent les féministes allemandes », Le Monde, 21/01/2016.</p> <p> (29) Une violence qui gagne les pays occidentaux quand elle s'exerce contre d'autres « choix », d'autres comportements, modes de vie et symboles comme au cours des dernières violences à caractère machiste et sexuel exercées par des migrants à Cologne, Stockholm, Vienne et Helsinki, la nuit de la Saint Sylvestre.</p> <p>(30) Le fait que M. Merah ait proféré un tel discours dans son dernier « échange » avec la police ne nous paraît pas un élément suffisant en ce sens. Se sacrifier pour une cause, aussi bonne ou indigne soit-elle n'a pas grand-chose à voir avec « l'instinct de mort », concept déjà fort discutable en soi.</p> <p>(31) Dans son dernier livre : La revanche des passions (Fayard, 2015), il cite R. Aron : « Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n'ont rien compris au XXe siècle » et Hassner de rajouter : « Ni au XXIe ».</p> <p>(32) Y. Quiniou, Critique de la religion, La ville brûle, 2014.</p> <p>(33) – Cf. la critique qu'en fait André Tosel in contretempslarevuepapier.blogspot.com/2015/01compte-rendu.html. Pour lui, il n'y a pas retour de la religion mais recours à… Nous avons déjà abordé cette question dans notre précédente brochure L'angle mort du 13 novembre <a href="http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article336" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://tempscritiques.free.fr/spip....</a>. Finalement, aucune des deux notions ne s'avère suffisante. Le recours est trop unilatéral et de nature fonctionnaliste ; le retour n'est lui pas un véritable retour à ce qui serait une origine ou un ordre immuable encore en place, et auquel des individus ou groupes adhéreraient. Le « retour » est aussi le signe d'une crise du religieux traditionnel tel qu'il apparaît dans la baisse de fréquentation des lieux du culte et tel qu'il est encore porté et légitimé par les Églises sécularisées. Ces dernières qui sont à la fois le fruit d'une évolution au sein des États modernes et des différentes formes de laïcisation de la vie publique d'une part, de la tendance à la résorption générale des institutions dans la société capitalisée d'autre part, se conduisent maintenant comme des associations habilitées à donner leur opinion sur les grands problèmes de société (avortement, manipulation génétique, euthanasie, mariage homosexuel, etc.).</p> <p>(34) « Il est en effet plus facile de trouver par l'analyse le contenu, le noyau terrestre des conceptions nuageuses des religions que de faire voir par voie inverse comment les conditions réelles de la vie revêtent peu à peu une forme éthérée ». Marx : note dans Le Capital, Livre I, chapitre XV.</p> <p>(35) Que développe Régis Debray dans Les communions humaines. Pour en finir avec les religions (Fayard, 2005). Il a bien conscience de la dimension communautaire de la religion mais au lieu de tenter de comprendre la tension individu/communauté quand elle s'exprime pas ce biais, il la réduit à l'affect de la « communion » au sein d'une sorte de groupe fusionnel autour d'une expérience commune intensément ressentie. Il semble confondre communion et émotion et son argumentation ne permet pas de comprendre la pérennité millénaire des religions. Cela ne vaut, à la limite, que pour la fraction du salafisme qui prône le petit djihad, dans la mesure où il offre une expérience religieuse complète.</i></p> <p><strong>Jacques Wajnsztejn et membre du comité de la revue Temps critiques dont les coordonnées sont : e-mail : tempscritiques@free.fr site : <a href="http://trempscritiques.free.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://trempscritiques.free.fr/</a> blog :<a href="http://blog.tempscritiques.net/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://blog.tempscritiques.net/</a></strong></p></div>  SAMUEL HUNTINGTON, LE MESSAGER QUI ANNONCE LA MAUVAISE NOUVELLE ! http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2022 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2022 2016-02-24T14:07:08Z text/html fr Michel Rogalski Peu d'auteurs auront fait l'objet d'aussi nombreux commentaires, pour être décrié ou salué, qu'Huntington qui annonçait en 1993, dans un article de la revue américaine Foreign Affairs(1) , que nous étions désormais entrés dans l'ère du « choc des civilisations », thèse qu'il développera dans un livre portant le même titre et paru en 1996 aux États-Unis, puis traduit en France l'année suivante(2) . Le contexte idéologique états-unien de sa rédaction (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>Peu d'auteurs auront fait l'objet d'aussi nombreux commentaires, pour être décrié ou salué, qu'Huntington qui annonçait en 1993, dans un article de la revue américaine Foreign Affairs(1) , que nous étions désormais entrés dans l'ère du « choc des civilisations », thèse qu'il développera dans un livre portant le même titre et paru en 1996 aux États-Unis, puis traduit en France l'année suivante(2) .</p> <p>Le contexte idéologique états-unien de sa rédaction doit être rappelé : dès 1989 Francis Fukuyama, conseiller au ministère de la défense publiait un article intitulé « La fin de l'Histoire »(3) , exprimant ainsi l'idée qu'après la chute du Mur de Berlin les valeurs de la démocratie libérale l'avaient définitivement emporté et que le temps des grands conflits idéologiques susceptibles de dégénérer en guerres étaient terminés. Huntington conteste cette vision irénique de l'avenir et pose qu'au contraire, il faut s'attendre à la survenue de conflits qui ne trouveront principalement leurs sources ni dans l'économie, ni dans l'idéologie mais seront adossés à des grandes civilisations qui se définiront essentiellement autour de la religion et de la langue et secondairement de l'appartenance ethnique et communautaire.</p> <p>L'Histoire s'est chargée de répondre à Fukuyama, notamment avec les avancées progressistes qui ont gagné l'Amérique latine dès la fin de la décennie 90 et qui ont montré que les perspectives socialistes n'étaient pas remisées comme l'avaient un peu hâtivement envisagé certains.</p> <p>La réponse de Huntington découpant le monde en cinq à huit civilisations (principalement chinoise, japonaise, hindoue, musulmane et occidentale) a dérangé, bien qu'il ne fusse pas le premier à s'y essayer (Mauss, Braudel, Toynbee, …). D'abord parce que le personnage, très lié à Zbigniew Brzezinski et au Président Carter, s'était déjà illustré dans les années 70 comme co-rédacteur d'un Rapport de la Commission Trilatérale(4) qui constatant que les sociétés devenaient ingouvernables, préconisait de limiter la démocratie. Ce coup de pouce donné aux dictatures féroces qui sévissaient alors en Amérique latine laissa un goût amer. Il avait néanmoins retenu la leçon d'un voyage au Vietnam du Sud en 1967 qu'il ne servait à rien pour une civilisation d'aller se mêler des affaires d'une autre et qu'il était vain de vouloir imposer à un pays une société et un système politique calqués sur le modèle américain. Ensuite, parce que l'analyse de Huntington suggérait la mise en œuvre d'une diplomatie bousculant les alliances – notamment en ne traitant plus la Russie comme ennemie - et reposant sur la construction de rapports de forces entre civilisations. La mise sur pied d'un ordre international relevant alors plus de la stratégie de la tension, de préparation à l'affrontement que de recherche de coopérations. Bref, Hobbes et Aron plutôt que Kant.</p> <p>Huntington, disparu en 2008, appartenait au courant décliniste qui considère que l'Occident est appelé à jouer un rôle moindre dans les affaires du monde, notamment face à l'essor des autres civilisations. L'avenir, nous dit-il, verra monter les antagonismes entre différentes civilisations de la planète. Et cette tension pourrait être à l'origine de nombreux conflits, voire de guerres. Cette tendance s'accompagne d'un retour du religieux – « la revanche de Dieu » -, mais d'un religieux qui n'aspire plus à s'adapter aux valeurs laïques mais à redonner un fondement sacré à l'organisation des sociétés. Le renouveau des religions non-occidentales ne se traduit pas par un rejet de la modernité qui reste recherchée comme instrument de puissance. Cette nouvelle situation peut se résumer par la formule « nous serons modernes, mais nous ne serons pas vous ». A ses yeux, l'islam s'est déjà modernisé et ambitionne aujourd'hui d'islamiser la modernisation.</p> <p>Il croît dans la supériorité des « valeurs occidentales » des droits de l'homme, de la démocratie, du libre commerce notamment et considère que tant que l'Occident possède la puissance, il peut prétendre les imposer aux autres civilisations. Mais dès lors que le déclin s'annonce, il faut s'en dispenser et s'apprêter à faire face à ceux qui n'acceptent plus cette suprématie des idées de l'Occident. Il faut y voir la marque d'un isolationnisme qui le rendra peu écouté des Princes et opposé aux « Neocons ». Il condamnera les interventions en Afghanistan et en Irak et prendra soin de se démarquer de la ligne bushienne de la « guerre globale au terrorisme » dans laquelle il ne se reconnaît pas, bien qu'on voudra lui en attribuer la paternité.</p> <p>Au-delà des appréciations que nous portons sur la pertinence ou non des analyses de Huntington et à leur capacité à éclairer le monde de l'après-guerre froide, il convient d'observer quelques principes méthodologiques à son égard. Nous les illustrerons par une métaphore. Quand un météorologue prédit la pluie pour la semaine prochaine, convient-il de fusiller le messager et de ne pas tenir compte de son annonce ? Doit-on également pour conjurer le sort suggérer que sa prédiction n'est que la preuve qu'il aime la pluie, ou bien qu'en l'annonçant il crée les conditions de sa réalisation et qu'il devrait donc s'en abstenir. Ne convient-il pas d'éviter de confondre prédiction et prescription, de s'équiper d'un bon parapluie et voir s'il n'est pas possible d'atténuer l'intensité de la tornade prévisible ? Nous semblons mieux disposés à l'égard des climatologues qui prédisent le réchauffement climatique dont nous nous efforçons de réduire l'ampleur et les dégâts.</p> <p>La mondialisation que l'on pensait uniformisatrice s'est révélée un puissant facteur de développement d'identités. Elle a marqué tout autant que la fin de la guerre froide la scène mondiale, théâtre depuis une trentaine d'années de conflits dont l'éclairage ne pouvait faire l'économie de l'analyse de Huntington. Déjà avant même la fin de la guerre froide, la guerre civile libanaise ou la première guerre d'Afghanistan échappaient à sa surdétermination. De même, plus tard, les lignes de fractures autour desquelles la Yougoslavie s'est désintégrée correspondaient aux lignes de fractures des religions catholique, orthodoxe et musulmane en Europe. Les religions et les facteurs culturels sont aussi des composants du chaos moyen-oriental, sahélien ou ukrainien. Bien sûr, le retour du religieux n'a pas supprimé le pétrole, mais le curseur des causes relatives s'est déplacé. Partout où l'intégrisme l'emportera sur les modérés au sein de chaque culture ou religion, on se rapprochera du conflit et l'hypothèse de Huntington prendra du crédit. Bref, il s'agit de savoir si l'on est confronté à une hypothèse prospective contrariable ou à une tendance lourde structurante de l'ordre mondial.</p> <p>On peut se demander si le Choc ne résiderait non pas dans l'existence en soi de plusieurs civilisations, mais plutôt dans le fait que, contrairement aux préconisations de Huntington, les États-Unis ont multiplié les interventions extérieures hors de leur zone civilisationnelle. La cause du Choc serait alors à mettre au crédit de cette politique.</p> <p>On peut se réjouir de la tendance, l'encourager et la prescrire, mettre de l'huile sur le feu, exacerber le phénomène, aiguiser ses couteaux et se préparer aux affrontements sanglants. Certains s'y emploient et il convient de les combattre. On peut penser que ces conflits ont un avenir devant eux et s'efforcer de les contrarier et de les prévenir. Il vaut mieux alors éviter de se mettre la tête dans le sable mais plutôt écouter – de façon critique – le messager.</p> <p><i>(1) Samuel Huntington, « The Clash of Civilizations », Foreign Affairs, Été 1993, vol. 72, n° 3.</p> <p>(2) Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 402 p., 1997.</p> <p>(3) Développé en français dans : Francis Fukuyama, La fin de l'histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992.</p> <p>(4) Michel Crozier, Samuel Huntington, Joji Watanuki, The Crisis of Democracy, New York University Press, New York, 1975.</i></p> <p><strong>Article paru dans la revue Recherches internationales : http://www.recherches-internationales.<i>fr</p> </h3></div> DES TRAITES DE LIBRE ECHANGE AU 21E SIECLE http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1922 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1922 2014-12-18T16:14:12Z text/html fr Marc Mangenot La notion d'impérialisme apparaît assez claire au premier abord et peut être définie a priori ainsi : une nation ou un Etat exerce une domination politique, économique, militaire, culturelle sur une série d'autres Etats soumis à son bon vouloir et à ses règlements. Historiquement et concrètement une telle définition ne se vérifie pas exactement telle quelle, ni historiquement, ni concrètement. Empire romain, empires des Incas, des Aztèques, des Han, on voit déjà sans développer (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>La notion d'impérialisme apparaît assez claire au premier abord et peut être définie a priori ainsi : une nation ou un Etat exerce une domination politique, économique, militaire, culturelle sur une série d'autres Etats soumis à son bon vouloir et à ses règlements. Historiquement et concrètement une telle définition ne se vérifie pas exactement telle quelle, ni historiquement, ni concrètement. Empire romain, empires des Incas, des Aztèques, des Han, on voit déjà sans développer ce qui les différencie, au-delà de ce qui peut leur être commun. A partir du 15e siècle, l'empire ottoman, les empires construits sur fond de conquêtes en Amérique (du Sud et du Nord) et en Afrique, puis la période de conquêtes coloniales intensifiées et de formation ou d'extension des empires anglais et français notamment, montrent une autre manière d'occuper le terrain et d'accroître la puissance des nations dominantes et rivales de cette période, malgré les réelles divergences sur cette stratégie entre les différentes fractions internes à ces capitalismes « nationaux ». Après la première guerre mondiale, l'accession des Etats-Unis au rang de première puissance mondiale, la création de l'URSS sur des bases non coopératives, la phase violente de décolonisation et de luttes pour les indépendances des zones ou pays directement colonisés modifient la carte géopolitique de la planète et les méthodes et conditions d'exercice de la domination du centre sur la périphérie pour reprendre une expression déjà ancienne et partiellement dépassée, remplacée par celle des rapports Nord-Sud dont l'énoncé ne rend pas vraiment compte ni de la complexité, ni des changements internes au sein de ces mêmes rapports internationaux, encore largement vus (ce qui est exact partiellement) comme des rapports entre Etats ou groupes d'Etats, les uns dominants (plus ou moins) les autres dominés (plus ou moins).</p> <p><strong>A l'origine, pas de capitalisme sans Etat</strong></p> <p>A l'époque du capitalisme naissant (ou plutôt à l'époque de son décollement comme système dominant), il existait un intérêt commun à l'ensemble des « entreprises » établies sur un même territoire national. Surtout à partir du 19e siècle, il ressortait alors de la responsabilité de l'Etat (de chaque Etat) de promouvoir une politique économique, budgétaire et monétaire, d'arbitrer entre les conflits d'intérêts de la classe dominante, de défendre les intérêts du capitalisme ou d'une partie du capitalisme national (1) sur la scène internationale (protectionnisme, colonisation, par exemple), de protéger le capital contre les éventuelles contestations (surveillance, contrôle, répression) et même de contribuer à l'émergence et à la prégnance d'un substrat idéologique sans lequel ce type de domination du capital sur le travail perdrait de sa puissance et de son efficacité.</p> <p>Cette analyse n'a pas perdu toute sa pertinence. Toutefois, il y a environ un demi-siècle, après la phase de décolonisation, s'est opéré un glissement qui petit à petit s'est transformé en système dominant à l'échelle planétaire. Depuis trois décennies au moins, l'instrument principal de la domination impérialiste n'est plus le seul recours direct à la puissance militaire permettant et accompagnant la puissance économique, via l'occupation de vastes territoires. Le libre commerce imposé (celui des firmes multinationales), est progressivement devenu la stratégie impérialiste privilégiée du capitalisme dominant. Ce qui, dans les traités n'avait pu être obtenu par le truchement du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, en français Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), sera institué avec la création de l'OMC (Organisation mondiale du Commerce) (1er janvier 1995), de l'ALENA (Accord de libre échange nord-américain –Canada, USA, Mexique-, NAFTA pour le sigle en anglais) (1er janvier 1994), du traité de Lisbonne pour l'Union européenne (13 décembre 2007) qui succède aux traités antérieurs, et par une multitude d'autres traités bilatéraux de par le monde.</p> <p>Les firmes multinationales s'appuient toujours sur leurs Etats nationaux (Etats Unis, mais aussi depuis quelques deux décennies celles des pays « émergents ») ou sur des instances de type supranational (Union européenne). La force militaire est toujours omniprésente, présence active ou potentielle, sans laquelle toute domination serait impossible. Sur ce plan, la puissance étatsunienne demeure la principale force. La neutralisation des contestations demeure encore, mais non en totalité, un attribut essentiel des Etats nationaux, y compris bien entendu ceux des pays dominés de la zone sud ou d'Europe central et de l'Est. Ce qui est relativement nouveau dans l'espace du capitalisme-monde, c'est le statut de puissance première des firmes multinationales, via les organisme internationaux (FMI, Banque mondiale, et les instances dirigeantes de fait que sont les G7, G8, G20 ou encore l'Union européenne, en quelque sorte fondé de pouvoir des firmes européennes en même temps qu'elle est leur porte avion.</p> <p><strong>L'impérialisme étatsunien et de ses firmes </strong></p> <p>Avec les nouveaux traités en cours de négociation (Grand marché transatlantique, traité transpacifique, etc.), les firmes multinationales (FMN) cherchent à confirmer leur statut d'égaux vis-à-vis des Etats. Un exemple particulièrement frappant : l'extension et l'institutionnalisation de tribunaux privés d'arbitrage qui permettraient aux FMN d'attaquer n'importe quel Etat, voire n'importe quelle collectivité territoriale, dont une ou plusieurs décisions pourraient (du point de vue d'une multinationale quelconque) empêcher l'implantation de telle ou telle activité ou la réalisation du niveau de profit escompté (2) . La suppression ou l'abaissement des normes de protection sanitaires, alimentaires, sociales, environnementales, le changement des règles des appels d'offres, la privatisation des services publics, constituent les objectifs majeurs que les firmes et les Etats voudraient imposer. Le libre commerce, non entravé par de telles normes de protection, est en effet la condition pour la réalisation de profits très élevés et la croissance illimitée du capital. Les tribunaux d'arbitrage joueraient dès lors un rôle central de gendarme, ce qui inciterait (et incite déjà) des collectivités territoriales ou des gouvernements à ne pas ou à ne plus s'engager dans des politiques sociales, sanitaires ou environnementales qui, justement, aux yeux des FMN, constitueraient des entraves au « libre commerce ». Les tribunaux d'arbitrage, sans procédure d'appel, ne sont pas chose nouvelle (3) , mais l'est le recours systématique à de telles instances, inclus dans un projet de traité (TAFTA) au large spectre et aux conséquences planétaires. La guerre économique entre les firmes et entre les Etats, devient une guerre entre les firmes et contre les Etats et toute collectivité territoriale (Land en Allemagne, Province en Italie, Régions ou Communes en France, etc.)</p> <p><strong>L'Union européenne : du marché commun à une zone de « libre échange »</strong></p> <p>L'histoire de l'édification de l'Union européenne, sans ou contre les peuples, illustre fort bien les mécanismes qui finalement ont prévalu. Pour s'en tenir à un seul aspect directement lié aux négociations qui ont pour but de promouvoir le traité pour un grand marché transatlantique (PTCI, TTIP ou TAFTA selon divers acronymes anglais), il faut rappeler que les USA des années cinquante et soixante étaient favorables à la création d'un marché européen, sous la condition –pas vraiment exprimée en termes clairs à l'époque- que ne se constitue pas une entité politique qui ferait d'une partie de l'Europe ainsi groupée une puissance politique et militaire autonome, de taille gênante l'administration nord américaine. L'héritage tragique de la guerre, la question sociale, incitaient cependant certains des « fondateurs » de cette Europe à penser politique, sans parvenir néanmoins à des résultats probants hors du champ de l'activité économique et de la politique agricole commune (PAC). Depuis l'Acte unique (1986), c'est la stratégie du tout marché qui domine : congédiée la démocratie. Les gouvernements successifs des Etats Unis n'ont cependant jamais renoncé à faire évoluer le Marché commun (c'est moi qui souligne), puis la Communauté économique européenne (idem) vers une zone de libre échange, un peu à l'image de l'Association européenne de libre échange créée en 1960 (AELE en français, EFTA en anglais) dont la création visait clairement à faire concurrence au tout récent Marché commun (signé en 1957)(4) . En France, le VIe Plan (1971-1975) adopté sous le gouvernement Pompidou, inscrit l'activité économique du pays dans le cadre de la compétition internationale et met en avant l'impératif industriel en se fixant comme objectif central la création de grands groupes français industriels. Cet objectif ouvre la porte aux politiques de désindustrialisation, laquelle sera systématisée durant la mandature Giscard d'Estaing (1974-1981). L'entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun en 1973 (toujours sous Pompidou), est le cheval de Troie que les USA ont enfin réussi à faire pénétrer dans la Communauté européenne (le Marché commun), deux ans après la décision unilatérale de Nixon de dévaluer le dollar (monnaie internationale !) de ne plus le rendre convertible en or (15 août 1971). La création de l'OMC (1995) viendra renforcer la stratégie du « libre commerce ». C'est une nouvelle division internationale du travail qui s'instaure, après celle qu'avait portée le Plan Marshall (1948). Le projet de traité transatlantique s'inscrit dans le prolongement de cette visée à la fois impérialiste (prédominance des firmes nord-américaines soutenues par Washington) et d'extension du capitalisme libéré de toute entrave sociale ou environnementale.</p> <p><strong>Une nouvelle forme d'hégémonie planétaire</strong></p> <p>Encore une fois, les FMN ne pourraient rien sans « leurs » Etats (aussi bien ceux des puissances dominantes que ceux des zones dominées) qui ont pour mission de défaire les lois et les règles au profit du capital, et d'organiser contrôle social et policier, répression, interventions armées (en coopération forcée ou non), etc. Et, sans les organismes internationaux ayant compétence dans les domaines de l'économie et de la finance (FMI ? OMC, OCDE, etc.), elles ne bénéficieraient pas des énormes boulevards ouverts par les traités dits de « libre échange » et les politiques menées, incitées ou imposées par ces organismes dont la création répondait à la recherche de compromis entre les Etats. Toutefois, les Etats et les organismes internationaux ne sont pas que de simples bras armés des FMN. Ils ont leur propre fonctionnement autonome. Ils sont l'expression de rivalités politiques, pas seulement, bien entendu. La gestion (le terme n'est pas très correct, ni très précis, mais pour faire vite il semble assez compréhensible) du capital, des règles de la concurrence débridée, doit aussi tenir compte, avec plus ou moins de réussite, des opinions publiques, mêmes influencées et manipulées. Tout cela pour dire que la domination est une combinaison, jamais définitivement établie, de la domination du capital sur le travail et de la domination des nations puissantes (impérialistes au sens étroit et renouvelé du terme), combinaison qui croise d'autres formes persistantes de domination comme la domination masculine, ainsi que la permanence ou la résurgence de rapports pervers comme la xénophobie ou le racisme. La complexité des institutions, des rapports sociaux, des rapports internationaux, des relations internationales, selon la doxa du capitalisme contemporain, ne peut être surmontée que par la capacité d'agir de ce qu'on pourrait appeler une convergence hégémonique qui s'organise peu à peu depuis quatre ou cinq décennies. Autrement dit, le fonctionnement réel de l'alliance des dominants et de leurs alliés subalternes s'organise pour l'essentiel hors des sphères étatiques, mais pas sans elles. Gouvernements et administrations centrales (hautes fonctions publiques civiles et militaires) sont parties prenantes de ce système d'alliances fluctuantes au gré des affrontements (ou dissidences) géopolitiques qui se manifestent en maints endroits de la planète.</p> <p>Si les FMN tendent à se substituer aux impérialismes nationaux, elles ont toujours l'impérieux besoin de l'appui des Etats et surtout des organismes supranationaux, lesquels donnent l'apparence de maîtriser les enjeux et les discussions, alors que leur rôle consiste principalement à arbitrer, à l'échelle mondiale dans la période actuelle, entre des intérêts divergents au sein de la sphère capitaliste, comme entre les Etats eux-mêmes, tout en ayant la charge de faire en sorte que plus de travail soit de plus exploité et soumis au capital. D'où la fin annoncée des démocraties et l'avènement de simulacres électoraux sous la forme de parodies ou de marchés d'arguments démagogiques. Ce qui compte, selon les grands prêtres de la religion du tout marché, pour parodier une célèbre formule, c'est d'affirmer que « ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l'Humanité ».</p> <p><i>(1) Sur la question coloniale, à l'époque de la conquête comme durant la phase de décolonisation formelle, les différentes fractions de la bourgeoisie capitaliste avaient des positions différentes en fonction de leurs intérêts propres (industrie lourde, industrie de transformation, industrie d'amont ou d'aval du procès de production, sphère industrielle, commerciale ou financière, etc.). La classe politique elle-même pouvait avoir ses propres ambitions pour des raisons de puissance, par exemple ; les cadres militaires (caste elle-même non homogène) avaient aussi leurs propres visées et ambitions, comme ce fut le cas pour l'armée française au moment de la conquête de l'Algérie. Mais ceci est un autre important débat, qui ne peut être développé ici.</p> <p>(2) C'est cependant un des points de divergence dans les négociations en cours sur le Grand marché transatlantique (TTIP). Au final, si ce traité devait par malheur être ratifié, cette concession permettrait néanmoins aux multinationales (soutenues par les USA sur ce point), de faire passer tout le reste, et aux gouvernements d'affirmer qu'ils ont bien résisté aux entreprises capitalistes dominantes.</p> <p>(3) A l'échelle internationale, des traités bilatéraux permettent déjà l'usage de tribunaux d'arbitrages. Les exemples ne manquent pas qui devraient alerter le citoyen et le responsable politique. Le 23 novembre 2014, l'Assemblée nationale et du Sénat français ont voté contre la création de « tout mécanisme d'arbitrage des différends entre les Etas et les investisseurs » prévu dans le texte soumis à ratification du « projet d'accord économique et commercial entre l'Union européenne et le Canada » (CETA, ballon d'essai pour le TAFTA). Très bien. Mais le risque demeure de voir accepter toutes les clauses très contestables de ces traités, au motif qu'une concession importante aurait été obtenue. Une vision étriquée, tronquée et trompeuse de la démocratie.</p> <p>(4) L'AELE regroupait à sa création la Grande Bretagne, le Danemark, la Norvège, la Suisse, le Portugal, l'Autriche et la Suède.</i></p> <p><i>Marc Mangenot est membre de la Fondation Copernic</i></p></div> LE GRAND MARCHE TRANSATLANTIQUE CONTRE LES PEUPLES http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1757 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1757 2013-12-09T19:17:08Z text/html fr Marc Mangenot On a déjà beaucoup écrit, mais certainement pas assez, sur les négociations discrètes (pour l'essentiel : secrètes) entre les USA et l'Union européenne. Depuis juin dernier (2013), c'est officiel : il s'agit rien moins que de contourner les échecs des négociations de Doha dans le cadre de l'OMC en 2006 (notamment sur l'agriculture et les services, services publics notamment). Le cycle de Doha, c'est comme cela que les impétrants et la presse (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>On a déjà beaucoup écrit, mais certainement pas assez, sur les négociations discrètes (pour l'essentiel : secrètes) entre les USA et l'Union européenne. Depuis juin dernier (2013), c'est officiel : il s'agit rien moins que de contourner les échecs des négociations de Doha dans le cadre de l'OMC en 2006 (notamment sur l'agriculture et les services, services publics notamment). Le cycle de Doha, c'est comme cela que les impétrants et la presse dominante avaient baptisé cette tentative de libéraliser à tout va, n'avait donc pas abouti pour des raisons diverses et contradictoires. Les grandes puissances et les grandes firmes mondiales espéraient beaucoup de Doha, malgré les impasses et les nuisances sociales et écologiques déjà visibles des accords antérieurs de libéralisation. Il fallait donc revenir à la charge, pas trop vite cependant après le pic de la crise rampante du capitalisme (2007/2010) et les « désillusions » qu'il a suscitées. Ce qui se trame est aussi et tout simplement le retour par la fenêtre de l'AMI, l'Accord multinational sur les investissements mort-né en 1997, sous la pression populaire, après que Le Monde diplomatique en eût révélé le contenu.</p> <p>Les firmes multinationales se sont agitées (les fameux et très dangereux lobbys) dans l'entre temps avec l'ambition d'élargir leur champ de prédation et leur pouvoir dans tous les domaines : économique, politique, idéologique. Pour le dire autrement, les grandes firmes de l'industrie, du commerce, de la finance, qui ont conquis la planète, tiennent les Etats par le bout du nez, sont très présentes à la direction des organismes internationaux comme le FMI, la Banque mondiale, ou encore la Banque centrale européenne, ont finalement imposé aux Etats et à leurs superstructures (dont la scélérate Union européenne, présidée par le très réactionnaire Barroso) la négociation d'accords multilatéraux visant à démanteler tout ce qui fait encore obstacle à leur liberté (celle du renard dans le poulailler) et à réduire à rien les politiques publiques dans les domaines de la santé, de l'emploi, des revenus, de l'environnement, etc. Ce qui n'a pas été possible en totalité dans le cadre de l'OMC, est organisé ou préparé sous forme d'accords multilatéraux de « libre-échange », dans le secret (toujours). Notamment : zone du Pacifique, Amériques (du Sud et du Nord), accord Canada – Union européenne (banc d'essai, presque conclu au moment où s'écrit cet article, pour préparer l'actuelle négociation dite Accord de partenariat transatlantique). Les Etats-Unis d'Amérique du Nord sont directement ou non dans tous les coups. Leur puissance et celle de leurs firmes s'affirment dans ce domaine comme jamais, les grandes firmes des autres pays (Europe, Inde, Asie de l'est, etc.) y trouvant leur compte.</p> <p><strong>Supprimer ce qui reste des droits de douane</strong></p> <p>Un des premiers objectifs affichés est la suppression des droits de douane restant, notamment en ce qui concerne les produits de l'agriculture, secteur où ils demeurent les plus élevés. Il faut insister particulièrement sur ce point. Car le but est bien de renforcer les capacités exportatrices de l'Europe et des USA, au détriment surtout des pays du Sud. Voilà qui aggraverait d'une part le dumping environnemental, ainsi que la dépendance des pays du Sud et la spécialisation régionale (et l'un de ses corolaires : l'appauvrissement des sols et la pollution des réseaux hydrauliques naturels), les cultures de rente et d'exportation au détriment des cultures vivrières (surtout dans les pays du Sud). Les gros agrariens coalisés, les firmes de l'agrobusiness (amont : semences, engrais, produits phytosanitaires, mécanique lourde, etc. – aval : transformation et grande distribution – finance : le crédit qui pousse à l'agrandissement dévastateur, à la monoculture épuisant les sols et polluant les réseaux hydrauliques, et à l'endettement) intriguent et sont sur le pont lobbyiste depuis longtemps ; ils ont affiné leurs arguments et ont renforcé leurs réseaux et leur pression depuis l'échec de Doha. Plus encore qu'auparavant, l'agriculture se trouvera prise en tenaille entre ses fournisseurs et ses débouchés, qui dirigent l'offre et la demande et dictent les prix.</p> <p>La sécurité alimentaire (nourrir les populations et protéger la santé) dont les zélés promoteurs des accords se font les chantres serait vidée de sens ; la souveraineté alimentaire (la revendication portée par la Via Campesina de la maîtrise par les peuples et leurs Etats de la politique agricole et alimentaire) serait à ranger au rayon des inutilités si par malheur l'accord transatlantique était signé. Les pays du Sud, déjà très sévèrement touchés par les politiques de libéralisation, ne disposeraient même plus de leurs dernières marges de manœuvre pour protéger leur agriculture, et relancer les cultures vivrières en se dotant des moyens nécessaires à leur développement. Si la bataille engagée contre ce projet n'était pas gagnante, les pays du Sud devraient s'intégrer de gré ou de force dans les processus imposés par les accords multilatéraux qui ont vu le jour ou qui sont en préparation. Le projet de grand marché transatlantique, vise bien entendu tous les secteurs d'activité, surtout les services, ainsi que « la propriété intellectuelle », telle que vue à travers le prisme des multinationales qui veulent aussi s'approprier du vivant en le brevetant, contrôler l'Internet et en faire un instrument renforcé de propagande, d'étude de marché et de contrôle et de surveillance.</p> <p><strong>Supprimer toutes les normes de protection ou de précaution</strong></p> <p>La suppression de ce qui reste des droits de douane renforcerait évidemment la concurrence de tous contre tous, les pratiques de dumping social, écologique, et fiscal. Ce n'est cependant pas suffisant pour les insatiables capitalistes. Tout ce qui protège la santé, l'alimentation, les droits sociaux, l'environnement, l'éducation et la culture, les services publics, et constituerait un obstacle à leur liberté de circulation des capitaux et à leur liberté d'installation d'entreprises cannibales (ça, c'est une sorte de pléonasme) est l'objet d'une nouvelle tentative politique de destruction massive. Ce projet d'accord se moque de l'avis des peuples et des représentations parlementaires comme d'une guigne. Le droit de la concurrence et, d'une façon générale, le droit de n'importe quelle entreprise de s'installer où elle veut, pour y produire ce qui lui procure le maximum de profit, avec ses propres normes et méthodes, prime sur les droits fondamentaux, sociaux (santé, éducation, culture, emploi et revenu décent, alimentation, etc.) aussi bien que civiques (la démocratie, oui, mais seulement sous forme de spectacle alibi). Le capital n'admet aucun obstacle et promeut des règles qui servent ses intérêts, sa soif d'accumulation. La Commission, fidèle promotrice et soutien du capital, n'a d'ailleurs en rien pris en compte la position (1) de la CES (Confédération européenne des syndicats) qui, pourtant, dans une novlangue propre, ne remettait pas en cause le principe même d'un accord de libre échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Celle-ci présentait en treize points ses principales préoccupations, parmi lesquelles l'inclusion des droits du travail dans un tel accord, mais aussi la protection de l'environnement, l'exclusion des services, de la culture et de l'agriculture, le rejet de l'institution d'une législation d'arbitrage des différends investisseurs-Etats.</p> <p><strong>Des tribunaux spéciaux</strong></p> <p>Il faut plus encore. Il faut des organes de police économique en capacité de vérifier si quelque Etat ou collectivité territoriale ne serait pas récalcitrant ou, pis, empêcheur d'exploiter et de profiter tranquillement. La création de tribunaux spéciaux, dits tribunaux d'arbitrage, apparaît comme un des piliers de ce projet scélérat. Ces organismes d'arbitrages, de forme privée, tant revendiqués par les grandes firmes seraient en quelque sorte un législateur permanent, un père fouettard pour des victimes consentantes (les Etats, l'Union européenne). Le droit public, le droit de chaque Etat de se doter de règles, et de coopérer avec d'autres sur des bases sociales, écologiques et démocratiques, est insupportable pour le capital qui s'affiche sans vergogne, tout en préparant ses coups en secret, avec une force décuplée grâce à la complicité des gouvernements et des institutions internationales.</p> <p>C'est une affaire déjà bien rôdée que l'institution d'organismes d'arbitrage. Il en existe déjà, spécialement constitués, qui permettent à des firmes d'attaquer des Etats (lire Le Monde diplomatique de novembre 2013, pages 4 et 5), sous n'importe quel prétexte.</p> <p>Les maîtres du capital considèrent que tout règlement pouvant nuire à leur possibilité de profit est à bannir. S'il existe et est appliqué au détriment du profit présent ou futur, il doit être fermement et astucieusement attaqué. L'exemple de l'ORD (Organe de règlement des différends de l'OMC) est intéressant, car il tend à favoriser très nettement les firmes lorsque un ou plusieurs Etats qui y déposent des recours au motif que la législation d'un autre fausserait la concurrence. Il ouvre la voie, mais il doit être dépassé, « perfectionné », et permettre aux firmes (investisseuses) de déposer directement des plaintes contre un Etat. Le but dans le projet de grand marché transatlantique est d'instituer un tribunal composé de juristes professionnels n'appartenant pas à des juridictions publiques, nationales ou internationales. Ces tribunaux d'arbitrage auraient à connaître des différends entre firmes et Etats, différends qui porteraient principalement sur l'estimation par une firme quelconque que telle législation constitue un obstacle au développement de la stratégie et au rendement de ses investissements qu'elle les aurait programmés.</p> <p><strong>Les normes internationales comptables, utile référent </strong></p> <p>Tous les arguments seraient permis, y compris ceux qui s'appuieraient sur les décisions des tribunaux publics, comme par exemple les arrêts de la Cour de Justice de l'Union Européenne (2) . Les nouvelles normes comptables internationales seraient dans ce cadre un outil redoutable. Elles avaient fait l'objet d'une critique serrée, tant d'un point de vue « technique » qu'en relation avec son objectif : servir d'abord au capitalisme financier (lire notamment : Les normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, M. Capron, E. Chiapello, B. Colasse, M. Mangenot, J. Richard ; La Découverte, 2005). A l'époque, en plus des incohérences internes, il s'est agit de montrer en quoi ces normes servaient d'abord la finance mondialisée et débridée, en quoi elles accroissaient de ce fait le risque de crise sociale et financière, ce qui sera rapidement confirmé. Avec ce projet de grand marché transatlantique incluant l'institution de tribunaux d'arbitrage spéciaux, les normes comptables mises en place au début de ce siècle constituent une base technique et juridique précieuse et pernicieuse pour attaquer les Etats. Elles permettraient en effet d'argumenter, en se référant à des calculs plus ou moins sophistiqués (et / ou mensongers ou trompeurs), sur la perte supposée, potentielle ou avérée selon les présentations comptables des firmes, de profits « légitimement » attendus, voire annoncés par une habile propagande, relayée par les analystes financiers et autres banquiers.</p> <p>Le truc, pour chaque firme particulière, consiste à établir des prévisions et, ensuite, à montrer qu'elles n'ont pu être ou ne seront pas atteintes à cause de lois et règlements qui constitueraient des empêchements à l'accroissement indéfini du capital, ou, dit autrement, à entraver la marche libre des puissantes entreprises. Les comptes et les prévisions des entreprises se réfèrent en effet dorénavant à la « juste valeur », « déterminée par le marché ». Les fluctuations des marchés confèrent un caractère incertain à l'établissement des documents et, surtout, elles élargissent le champ des présentations possibles. D'une façon générale, un bilan de grande firme, pour faire simple (il faudrait dans le détail apporter des nuances), est établi en fonction des prix du marché, comme si toute entreprise, ou partie d'entreprise, ou même partie d'immeuble ou d'équipement industriel était susceptible d'être vendue à tout moment. La valeur de référence d'un immeuble au bilan (ou de n'importe quel autre actif) devient alors sa valeur vénale (prix du marché) à la date de son établissement. C'est une présentation des comptes actualisée en fonction des résultats escomptés et/ou des risques encourus (on se positionne dans le prédictif). Les dettes inscrites au passif sont soumises aux mêmes règles d'évaluation pour les grandes entreprises et toutes celles qui sont cotées en bourse. Les comptes de résultats sont traités selon les mêmes principes, avec les adaptations jugées nécessaires. On comprend immédiatement les marges de manœuvre considérables dont disposent déjà les dirigeants d'entreprises secondés par les professionnels du chiffre, indéfectibles serviteurs du capital. On comprend à partir de quel « argument » un Etat peut être attaqué par une firme, avec de forts risques de voir la protection sociale, écologique et sanitaire s'amenuiser encore.</p> <p><strong>Contre les peuples</strong></p> <p>Tout cela est concocté dans leur dos et au détriment des peuples. Les Parlements nationaux et le Parlement européen sont tenus à l'écart. Aucune information consistante ne filtre. Le mandat donné à la Commission de négocier au nom de tous les Etats membres est un blanc-seing. Pas d'information. Pas de débats publics. Les Parlements eux-mêmes (dans une moindre mesure cependant aux Etats-Unis), pas ou très peu informés, hors jeu pour l'essentiel. Les principes démocratiques fondamentaux –ou ce qu'il en reste- sont foulés aux pieds (cf. la déclaration du collectif français contre le projet de grand marché transatlantique). Normal : l'ennemi c'est d'une part la démocratie, d'autre part les gueux qui, par leur travail, produisent ou détruisent pour le capital. Toutefois, les premières révélations (cf. L'Humanité du 20 mai 2013) ont donné l'alerte, ce qui semble inquiéter en haut lieu.</p> <p>Aussi, les instances dirigeantes tentent-elles de prendre les devants, traumatisées qu'elles sont depuis les référendums de 2005 portant sur le projet de traité constitutionnel pour l'Union européenne (France, Irlande, Pays-Bas). La Commission a réuni les Etats membres de l'Union européenne le 22 novembre dernier (2013) pour organiser en concertation la manière de « communiquer » sur les négociations portant sur le projet de grand marché transatlantique. Quel emballage proposer, se demandent nos vertueux dirigeants qui n'aiment pas être dérangés par la piétaille ? Comment persuader que ce projet vise à créer des emplois et non à saper les règles de protection existantes ? Comment expliquer qu'un tel accord permettrait d'apaiser les relations avec la Chine et les autres pays tiers ? Comment exprimer que l'objectif poursuivi est aussi le leadership du commerce mondial, sans dommage pour les pays tiers, du Sud en particulier ? Bref, pour éviter tout risque de cacophonie, la Commission suggère fortement aux Etats membres de s'accorder pour qu'elle (la Commission), concomitamment avec les Etats, engage des moyens de surveillance du débat public (surtout celui qui leur échappe), et produisent des documents destinés aux médias et, pourquoi pas, aux écoles. Influencer, infiltrer (si c'est nécessaire) les médias, donner de l'information, mais pas trop car la règle du secret doit demeurer primordiale. Cette opération de « com' » (de brouillage) est d'autant plus importante que la ratification par tous les Etats membres est de droit. Aucun Parlement national, ni le Parlement européen, ne doivent faire défaut. Aucun peuple ne doit manifester sa défiance, et surtout pas par voie de référendum.</p> <p><strong>S'opposer, empêcher</strong></p> <p>Une bataille est déjà engagée en France, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud. Qu'elle s'amplifie, jusqu'à empêcher ce projet d'aboutir. Il en va de la démocratie et de la qualité de la vie au quotidien. En France, un regroupement d'une soixantaine d'organisations syndicales, associatives, politiques a lancé une campagne « Non au Grand Marché Transatlantique – Stop TAFTA » (3) . L'Alter Sommet, réuni à Bruxelles en octobre 2013 a inscrit la lutte contre ce projet d'accord dans l'agenda de ses priorités (4) . D'autres coalitions existent, par exemple en Grande Bretagne, en Belgique ou aux USA. Mettre sous les projecteurs ce nouveau vampire pour le rendre impuissant. Tel est le devoir des peuples.</p> <p><i>(1) 10 juin 2013</p> <p>(2) CJUE : lire L'Europe du Capital contre le travail, La Gauche Cactus, 11 janvier 2008</p> <p>(3)TAFTA : acronyme de « Trans-Atlantic Free Trade Agreement »</p> <p>(4) L'Alter Sommet, initié en 2012 à la suite des forums sociaux européens, regroupe environ 200 organisations syndicales ONG ou réseaux citoyens européens, y compris au-delà de l'UE.</i></p></div> DE DOHA A BALI http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1756 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1756 2013-12-09T19:07:42Z text/html fr Cheikh Tidiane Dieye, Mehdi Abbas Du 3 au 6 décembre 2013 se tiendra la 9e conférence ministérielle de l'OMC et la 6e de l'ère du programme de Doha pour le développement, lancé en 2001. L'ambitieux projet de refonder le compromis productif, normatif et commercial des rapports Nord-Sud n'aura pas survécu aux jeux des intérêts conflictuels des Etats, à la crise économique globale de 2007 et aux nouveaux déséquilibres de l'économie politique mondiale, particulièrement dans les domaines vitaux de (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>Du 3 au 6 décembre 2013 se tiendra la 9e conférence ministérielle de l'OMC et la 6e de l'ère du programme de Doha pour le développement, lancé en 2001. L'ambitieux projet de refonder le compromis productif, normatif et commercial des rapports Nord-Sud n'aura pas survécu aux jeux des intérêts conflictuels des Etats, à la crise économique globale de 2007 et aux nouveaux déséquilibres de l'économie politique mondiale, particulièrement dans les domaines vitaux de l'énergie, du climat et de l'alimentation. La coopération commerciale multilatérale en sort épuisée. Mais le plus significatif c'est le recul de la thématique du développement et son effacement face aux enjeux de l'émergence. En effet, les pays émergents, le G3 en particulier, concentrent désormais l'essentiel du débat sur les rapports Nord-Sud. Débats qui véhiculent l'idée, trompeuse à nos yeux, que le Sud est désormais sur une trajectoire de croissance et de développement ascendante. Ce contexte pose avec acuité la question du traitement des PED non émergents et bien entendu avec encore plus d'acuité celle des pays les moins avancés (PMA) auxquels était dédié ce cycle de négociation. Mais face aux prometteurs marchés des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) faut-il s'attarder sur ces 48 pays qui ne représentent que 0,9 % du PIB mondial, 1 % du commerce mondial, 0,53 % si on exclue les combustibles, 2,5 % des entrées totales d'IDE mais 12 % de la population mondiale ?</p> <p>La réponse est triplement positive. Premièrement, l'enjeu du cycle de Doha est de prouver que la communauté internationale est en mesure de livrer un produit répondant aux problèmes des PMA et que le système commercial multilatéral peut être un levier de la lutte contre la pauvreté. On ne voit pas sinon à quoi servirait l'ouverture commerciale. Il en va de la crédibilité de l'OMC et de la légitimité de la gouvernance globale. Deuxièmement, la façon dont est traité le « milliard d'en-bas » (« bottom billion » selon la formule de P. Collier) sera révélatrice d'une gouvernance inclusive et équitable ou alors d'une gouvernance exclusive et inégalitaire. Troisièmement, l'effet boomerang de la pauvreté globale fera que le non traitement des problèmes de ces pays se retournera à terme contre l'ensemble de la communauté internationale, pays développés en premier lieu.</p> <p>La Déclaration de Doha comportait de nombreux engagements généreux en faveur des PMA. Mais du fait de leur caractère non contraignant, leur mise en œuvre débouche toujours sur des résultats peu substantiels qui n'offrent pas aux PMA de réelles perspectives de progrès. En dehors de la dérogation adoptée à la Conférence de ministérielle de Genève de 2011, donnant droit aux Membres d'accorder un accès préférentiel aux services et fournisseurs de services des PMA et de l'extension de la période de transition pour la mise en œuvre de l'accord sur la propriété intellectuelle par les PMA au titre de l'Article 66.1, les PMA ont très peu à se mettre sous la dent. Autre illustration de cette logique de donnant-prenant, en 2005, à l'issue de la Conférence ministérielle de Hong Kong, les pays développés et les pays en développement en mesure de le faire se sont engagés à accorder à tous les produits de tous les PMA un accès au marché sans droits ni contingent. Une disposition dérogatoire a cependant tout de suite tempéré cette offre généreuse puisque qu'il est admis que les membres qui ont des difficultés à fournir un tel accès à leur marché accorderont une ouverture à 97 % des produits originaires des PMA. L'offre est ainsi vidée de sa substance par la possibilité de soumettre certains produits à des restrictions d'exportation et d'exclure 3 % des lignes tarifaires des PMA. Compte-tenu de la concentration des exportations des PMA sur une gamme limitée de produits, l'exclusion de quelques lignes tarifaire seulement peut effacer tous les bienfaits attendus.</p> <p>Le coton, élément emblématique du cycle de Doha, est pris au piège des divergences sur l'agriculture et des jeux d'intérêts qui jalonnent le chemin vers Bali. Son traitement n'est ni « spécifique », ni « rapide » encore moins « ambitieux », termes figurant dans la déclaration ministérielle de Hong Kong (2005). Et Bali n'offre pas de perspectives pour une issue heureuse. Les vrais débats sur les 28 mesures du traitement spécial et différencié sont renvoyés aux calendes « multilatérales » et devraient s'ajouter à la liste déjà très longue des sujets qui s'amoncèlent sur ciel de l'après Bali. Quelles devraient être les perspectives post-Bali ? Il y en trois.</p> <p>Tout d'abord, la rénovation du traitement spécial et différencié afin que les dispositions prises ne relèvent plus uniquement de la diplomatie déclamatoire. Il faudrait en produire une conception centrée sur les besoins spécifiques des PMA. Une conception qui autoriserait des régulations par produits et, au nom de la stabilité et sécurité socioéconomiques interne à ces pays, les autoriserait et les aiderait à se protéger, leur vulnérabilité étant parfois due à leur exposition trop excessive à la concurrence mondialisée. Il convient de sortir de la logique qui fait de l'accès aux marchés la seule voie de transformation et de développement. Le commercialisme de l'OMC est devenu contre-productif.</p> <p>Ensuite, les futures règles du commerce international ne devraient pas contraindre ou empêcher, d'une part, le développement de capacités productives dans ces pays et, d'autre part, la concrétisation des processus d'intégration régionale. Il faudrait que le système commercial multilatéral soit facteur de cohérence et de stabilité, au moment où ces pays tentent tant bien que mal de construire une politique commerciale et productive au niveau régional et où l'Afrique est engagée dans une vaste initiative de transformation économique et structurelle pour le développement sous l'égide des Nations unies. Cela impliquerait pour l'OMC de mettre en œuvre une négociation de lignes directrices sur les meilleures pratiques volontaires pour les nouveaux accords commerciaux régionaux et la modification des accords existants. Il faudrait également penser à doter l'organisation d'un Conseil du Commerce et du Développement dédié à veiller à la cohérence pro-développement des politiques commerciales.</p> <p>Enfin, la consolidation et la pérennisation des deux dispositifs que sont l'aide au commerce et le cadre intégré renforcé. Bien entendu révisions et recentrages de leurs axes d'action sont nécessaires. Les PMA n'y voient aucun inconvénient à condition que cela ne devienne pas l'occasion d'en réduire la portée ou d'y introduire une forme quelconque de conditionnalité.</p> <p>Le paquet développement pour les PMA annoncé en grande pompe risque ainsi d'arriver vide à Bali à force de minimiser les exigences de ces derniers. Ces exigences sont pourtant soutenues par tous ceux qui œuvrent pour faire du commerce un véritable instrument au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. Le paquet de Bali réduit la question du développement à la facilitation des échanges et à la libéralisation agricoles. Nous sommes très loin du contenu de la Déclaration de Doha.</p> <p><i>Cheikh Tidiane Dieye est directeur exécutif du Centre Africain pour le Commerce, l'Intégration et le Développement (CACID), affilié au réseau Enda Tiers Monde. Mehdi Abbas est maître de conférences (Grenoble-Alpes Universit), chercheur Pacte-Edden et chercheur associé au CACID. Cette chronique est parue dans la revue Recherches internationales (<a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a>)</i></p></div> LA FRANCE DOIT-ELLE QUITTER L'OTAN ? http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1627 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1627 2013-04-09T17:45:00Z text/html fr Jacques Le Dauphin La publication par le Monde Diplomatique d'un échange ouvert entre Régis Debray, écrivain et philosophe, et Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, est très stimulante pour la réflexion. C'est une vive incitation à s'inscrire dans le dialogue entrepris. Le point d'orgue de l'échange est le rapport remis le 14 novembre 2012, par Hubert Védrine, au président François Hollande, concernant en particulier les conséquences du retour de la France dans (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>La publication par le Monde Diplomatique d'un échange ouvert entre Régis Debray, écrivain et philosophe, et Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, est très stimulante pour la réflexion. C'est une vive incitation à s'inscrire dans le dialogue entrepris. Le point d'orgue de l'échange est le rapport remis le 14 novembre 2012, par Hubert Védrine, au président François Hollande, concernant en particulier les conséquences du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN, l'avenir de la relation transatlantique, et les perspectives de l'Europe de la défense. Dans son analyse Hubert Védrine se prononce pour le maintien du retour complet de la France dans cet organisme, car il pense que cette disposition n'empêche nullement notre pays de continuer à plaider en faveur d'une Europe de la défense dans le cadre de l'Union européenne. Cette idée était pourtant controversée, lorsque Nicolas Sarkozy la prônait. Cependant une telle posture occulte totalement la contradiction, révélée par l'expérience, entre les deux démarches. Car si l'Europe de la défense s'avère dans les faits inexistante aujourd'hui, ce n'est pas principalement par l'attachement des pays à leur souveraineté nationale, mais par leur soutien indéfectible à l'OTAN. Un soutien qui tend à faire de l'OTAN la garantie ultime de la sécurité.</p> <p><strong>De vaines tentatives de structurer une véritable défense européenne</strong></p> <p>Un document intitulé « une Europe sure pour un monde meilleur » fut adopté en 2003 par les chefs d'état et de gouvernement de l'Union européenne. La politique étrangère de sécurité et de défense (PESD) qui s'y rattache s'est dotée d'objectifs capacitaires et d'outils militaires, comme une force d'intervention rapide, mais pouvant s'intégrer sans difficulté à l'OTAN. La PESD a aussi enclenché des opérations militaires, mais n'engageant qu'une partie des états européens, pour des ambitions limitées, centrées sur la gestion des crises, des missions dites de Petersberg, lesquelles ne relevaient pas de la sécurité collective toujours assignée à l'OTAN. Il reste que la PESD est un chantier, inabouti. Des contradictions notables sont à la base de cet échec. Des positions extrêmes se sont manifestées, telles celles de la France se positionnant pour une Europe influente, voire puissante, celle du Royaume-Uni, militant pour un statut subordonné à l'OTAN. Comme on peut s'en douter les Etats-Unis n'ont pas manqué d'exercer leur pression, en invoquant, notamment à l'appui, une « duplication inutile des forces armées ». Les sommets de l'Union européenne, ont, il est vrai, évoqué la PESD, mais dans des formules le plus souvent alambiquées, d'autant que la position britannique gagnait du terrain, et que les nouveaux venus, au sein de l'Union, étaient hostiles à tout découplage avec les Etats-Unis. En résumé, une grande majorité de pays, ne voyaient pas l'intérêt de promouvoir une structure supplémentaire à celle, dont il convient de le rappeler 21 d'entre eux sont membres, accroissant leur contribution dans le domaine militaire. Au plus, on trouvait l'idée, au demeurant utopique, d'un rééquilibrage euro-américain dans la direction Atlantique. Ainsi si la défense européenne était évoquée, c'était pour la placer sous « couverture atlantique ». Cette situation perdure, et l'on peut penser que le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN, sera interprété par les autres pays comme un recul sur ses positions initiales. Elle rejoint le peloton.</p> <p><strong>Après le sommet de l'OTAN à Chicago en 2012</strong></p> <p>Le concept stratégique, adopté par le sommet de Chicago, vise à renforcer encore l'intégration des états européens dans l'Otan. Comme le souligne fort justement Régis Debray dans sa lettre, « c'est le leader qui intègre » à savoir les États-Unis. Comment cela est- il ressenti par les Européens ? La conférence de Munich sur la sécurité, des 2 et 3 février 2013, peut laisser penser à un certain alignement. En effet comment interpréter le silence des représentants européens lors de l'intervention musclé du vice-président américain, Joseph Briden, qui a tenu à évoquer la volonté américaine d'être une puissance mondiale, susceptible d'intervenir militairement dans des régions géo-stratégiquement importantes du monde ». Une démarche a-t-il indiqué qui requiert une « approche globale comportant une gamme complète d'outils, dont des moyens militaires ». à ce sujet, il a précisé « l'OTAN aide à faire des Etats-Unis cette puissance ».</p> <p>Les 21 et 22 février 2013, s'est tenue à Bruxelles une réunion des ministres de la défense des pays de l'OTAN. Ces derniers étaient invités à progresser dans l'amélioration des capacités alliées et dans leur interopérabilité. Le concept stratégique détermine, dans les grandes lignes, la nature et le volume des capacités attendues de l'Alliance et fixe les priorités, donnant ainsi les orientations qui présideront à l'acquisition d'armements et à la planification de défense. La smart defence (défense intelligente) », consiste à concevoir une nouvelle manière d'aborder la création de capacités pour une « défense moderne, dont l'Alliance aura besoin ces prochaines années ». Cela englobe une vaste gamme d'activités, dans lesquelles les pays sont invités à contribuer « en partenariat ». Ainsi lors de leur discussion les 29 ministres de la défense des pays de l'OTAN ont approuvé des objectifs visant des entraînements et des exercices plus ambitieux, afin de développer encore l'interopérabilité au sein de l'Alliance. Dans cet esprit est projeté pour 2015 un exercice réel de grande ampleur et un programme complet d'entraînement et d'exercices pour la période 2015- 2020. Il a été précisé que la force de réaction de l'OTAN devrait être au cœur de cette initiative. En résumé chacun des pays est invité à apporter sa contribution à l'effort commun, fournir des supplétifs requis sur des théâtres choisis par d'autres, supprimer les duplications dans les programmes d'équipements, afin de les conformer à un standard établi. Un vaste programme retenu, dont le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, dans ses conclusions s'est félicité. Comment les 21 ministres de la défense des pays de l'Union européenne ont-ils apprécié ces dispositions ? Aucune information n'a filtré. Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, ne s'est pas publiquement exprimé. Comment interpréter la création d'un axe, associant, Paris, Berlin, Varsovie, Budapest, Prague, Bratislava, annoncé par François Hollande, le 6 mars 2013, à Varsovie ? Ces capitales expriment la volonté d'avancer sur un dossier institutionnel, comme un état-major permanent et sur la mise en commun des moyens militaires. Est-ce une relance de la défense européenne ? Et en tel cas quels seraient ses liens avec l'OTAN ?</p> <p><strong>OTAN un obstacle à lever</strong></p> <p>Du bilan actuel, rapidement esquissé on peine à envisager la construction d'une défense européenne autonome, respectueuse des spécificités nationales ? L'organisation atlantique apparaît clairement comme un obstacle incontournable. Il convient de le lever, dans l'intérêt de la France, des Européens, du monde en général. à ce sujet lors des travaux d'un colloque de la Fondation Respublica en 2009, Gabriel Robin, ambassadeur de France, représentant auprès de l'OTAN de 1987 à 1993 déclarait « l'OTAN pollue le paysage international dans toutes les dimensions. Elle complique la construction de l'Europe. Elle complique les rapports avec l'OSCE. Elle complique les rapports avec la Russie. Elle complique même le fonctionnement du système international… L'OTAN ne se conforme pas au droit international », pour conclure « je ne vois pas très bien ce qu'un pays comme la France peut espérer de cette organisation, car elle est inutile et nuisible, sinon la voir disparaître ». C'est un constat d'expert. Donc, convient-il de remettre en cause l'appartenance de la France dans l'OTAN, certes elle serait isolée des autres pays européens pour lesquels la démarche semblera aventuriste. Donc ce ne sera pas une revendication commune au niveau des états, bien que comme les sondages le montrent, elle existe au niveau des opinions. Néanmoins, la France doit s'y engager. En décembre 2013 se tiendra un sommet spécial des chefs d'état et de gouvernement des pays de l'Union européenne, pour déterminer indique-t-on les ambitions des 27 dans le domaine de la politique de sécurité et de défense. C'est une occasion pour les opinions d'influer sur le débat.</p> <p><i>Jacques Le Dauphin est directeur de l'Institut de documentation et de recherche sur la paix. Ce texte est paru dans la revue Recherches Internationales, (<a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a>)</i></p></div> https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18