https://www.traditionrolex.com/18 La Gauche Cactus http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/ fr SPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP) TUNISIE : UNE CHRONIQUE DE YOUSSEF SEDDIK http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1426 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1426 2012-03-01T17:10:31Z text/html fr Youssef Seddik Propos ouverts à « Si » Rached Ghannouchi : « Il faut l'égorger !... » La phrase, cet appel au meurtre, a fusé au milieu d'un énorme brouhaha quand j'ai quitté le Tribunal de première instance où s'est ouvert le procès de la chaîne Nessma et de son directeur. Je reconnais avoir entendu des voix plus timides : « Laissez-le passer, ne le touchez pas… ». Mais je n'ai pas fait trois pas qu'une véritable chorale a entonné mes prénom et nom sciemment (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique52" rel="directory">Tunisie</a> <div class='rss_texte'><p>Propos ouverts à « Si » Rached Ghannouchi : « Il faut l'égorger !... » La phrase, cet appel au meurtre, a fusé au milieu d'un énorme brouhaha quand j'ai quitté le Tribunal de première instance où s'est ouvert le procès de la chaîne Nessma et de son directeur. Je reconnais avoir entendu des voix plus timides : « Laissez-le passer, ne le touchez pas… ». Mais je n'ai pas fait trois pas qu'une véritable chorale a entonné mes prénom et nom sciemment déformés pour « la cause » : « Youssef Sandiq !... » Youssef Sandiq (Sandiq : littéralement zoroastrien, dénomination générique à l'âge arabe classique pour désigner tous les penseurs, hommes de lettres ou simples sujets du Califat qui ne suivent pas l'idéologie dominante de l'Islam officiel). Et c'est là où j'ai été encerclé par des jeunes qui me bombardant de questions, qui n'attendant nulle réponse, qui exprimant son étonnement de n'avoir devant lui que cette personne âgée qui n'affiche aucune espèce d'agressivité. J'ai décidé d'affronter la meute, malgré les injonctions de mon jeune accompagnateur qui me pressait de quitter le cercle et de m'éloigner.</p> <p>Ignorant les multiples voix qui me sermonnaient, me demandaient de retourner à Dieu et de me repentir, qui me conseillaient d'aller rendre visite au Cheikh Rached Ghannouchi pour chercher auprès de lui « le chèque de la repentance » (çakkat-tawba) et j'ai empoigné de l'épaule celui qui m'a posé enfin un reproche précis et a semblé attendre une réponse : « Comment, vous n'avez pas peur de la tourmente de l'au-delà (Adhâb al-âkhirâ) en comparant l'Envoyé de Dieu à Shakespeare ? » J'ai commencé à m'expliquer avec cette patience, cette passion dont seuls les vieux enseignants connaissent encore les secrets : « Je n'ai jamais dit ça, et je ne peux l'avoir dit ! J'ai tout simplement dit que Dieu inspire à tous et à tout, ce qu'il est et ce qu'il produit ; il inspire son comportement à la fourmi, le séisme au sol, le miel à l'abeille, la parole devenant pour nous divine à ses Envoyés. Le poète génial tel que Shakespeare est parmi ces innombrables cas de l'inspiration divine généralisée qui est le monde. L'Envoyé porteur d'une parole que tel ou tel peuple considère comme divine construit une religion et accumule des adeptes et n'a plus rien à voir de ce fait avec le poète qui ne prétend à rien de semblable… ». Le jeune homme semblait s'attendrir et même s'adoucir, ma main lui serrait toujours l'épaule. Mais un autre énergumène, craignant que ce compagnon succombe à la netteté de l'exposé, intervient : « Ne l'écoute pas, ce n'est qu'une bûche de l'enfer… » Je ne renonçais pas à échanger seulement de tactique, abandonnant l'exposé théorique pour l'information que je considérais massue : « Vous n'avez pas honte de traiter ainsi un homme de l'âge de vos grands-pères qui, plus et, a traduit les Hadiths du Prophète Muhammad et le Mûatta de l'Imam Malek ? » Et c'est là que j'ai perdu définitivement, désespérément, mon jeune interlocuteur. Celui-ci, totalement récupéré par les siens m'a décidé à jeter l'éponge, à ne plus rien essayer, et à répondre enfin aux pressions de mon accompagnateur pour quitter les lieux et assurer ma sécurité. Car, à la citation de ces deux points de ma bibliographie, il m'a laissé coi en me lançant : « Comment osez-vous traduire les propos du prophète et l'Imam Malek alors que vous êtes imberbe (Halîq) ! ».</p> <p>Voilà, « Si » Rached, la description exacte, les propos fidèlement traduits, style reportage vécu, d'une scène comme s'en reproduisent depuis des mois partout dans les quartiers et les villes de notre pays. J'ai prévenu depuis longtemps, du grave péril qu'on court en Tunisie de tels phénomènes qui sont essentiellement dus à ceux qui se croient ou se disent à tort ou à raison vos adeptes et les adeptes du mouvement que vous avez fondé. Votre silence et celui de vos collaborateurs et élites de votre mouvement ont rarement pris l'initiative de dénoncer fermement, clairement, pédagogiquement et abondamment de tels agissements, pseudo-pensées et fausses dévotions. Avant les élections du 23 octobre qui vous ont donné une part prépondérante du pouvoir, et pratiquement la totalité du pouvoir exécutif, j'avais mis vos tergiversations, vos silences sur le compte d'une tactique électorale qui ne pouvait se permettre de perdre des voix même quand elles sont « pourries ».</p> <p>Aujourd'hui, quand vous et votre mouvement tenez la barre d'un bateau ivre, vous n'avez pas le droit de le laisser chavirer et sombrer par le fait que ces groupes qui ne connaissent de l'Islam que la vocifération et la haine. Montez sur le pont, si vous aimez la Tunisie comme vous le dites et comme je vous crois, montez de vos cales feutrées où on vous voit échanger avec les seuls Youssef Karadhaoui et grands « popes » de l'Islam dogmatique, et débarrassez-vous, débarrassez-nous de ce cancer qui risque non seulement de « métastaser » la nation, ses institutions et la paix civile mais aussi l'Islam dont vous dîtes être le rénovateur en ces temps de confusion, de violence et d'irrationalité entretenue.</p></div> TUNISIE : INTERNET, LE MOTEUR DE LA REVOLUTION http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1213 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1213 2011-02-07T13:41:00Z text/html fr Olivier Cabanel Sans oublier une seule seconde le rôle décisif qu'a joué Mohamed Bouazizi, lequel en s'immolant par le feu a été le déclencheur de la révolution tunisienne, on ne peut passer sous silence le travail souterrain et intelligent des blogueurs tunisiens. Mohamed Bouazizi avait 26 ans, son bac, et un stand ambulant de fruits et légumes, avec lequel il faisait vivre sa famille. Le 17 décembre 2010 une femme flic, au sein d'un groupe de policiers, tente de lui extorquer un peu (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique52" rel="directory">Tunisie</a> <div class='rss_texte'><p>Sans oublier une seule seconde le rôle décisif qu'a joué Mohamed Bouazizi, lequel en s'immolant par le feu a été le déclencheur de la révolution tunisienne, on ne peut passer sous silence le travail souterrain et intelligent des blogueurs tunisiens. Mohamed Bouazizi avait 26 ans, son bac, et un stand ambulant de fruits et légumes, avec lequel il faisait vivre sa famille. Le 17 décembre 2010 une femme flic, au sein d'un groupe de policiers, tente de lui extorquer un peu d'argent, chantage coutumier du temps de Ben Ali, afin de permettre à Mohamed de continuer d'exercer son métier d'épicier ambulant. Mohamed refuse, se prend une baffe de la part de cette femme et son étal de forain lui est confisqué. Il se rend donc à la Préfecture pour récupérer son outil de travail, mais les bureaucrates de l'administration refusent de le recevoir, malgré les menaces de celui-ci d'attenter à ses jours. Quelques minutes plus tard, il s'immole par le feu devant la Préfecture. Ben Ali va même avoir le culot de s'inviter au chevet de Mohamed agonisant, menaçant « le terrorisme », qui d'après lui est le responsable de cette situation. Son agonie durera 18 jours. Cette tragique immolation va mettre le feu à tout un pays qui va réussir en quelques jours à chasser le dictateur du pays.</p> <p>Ce n'est pas une raison pour oublier les sacrifices qui ont suivi celui de Mohamed Bouazizi, tel celui d'Allaa Hidouri qui se donne la mort en se jetant sur un câble à haute tension, ou d'Ayoub Amdi, d'Ayem Namiri, qui vont chacun s'immoler par le feu. Les 78 morts sous les balles de la police de Ben Ali vont s'ajouter à ces sacrifices et mener la révolte à son paroxysme, multipliant les manifestations, les barrages, jusqu'au jour décisif ou malgré les gestes d'apaisement du dictateur, utilisant le célèbre « je vous ai compris », le peuple continuera a résister, et qu'un général, Rachid Amar, refusera de faire tirer sur la foule en colère. C'est ce geste ultime qui provoquera la fuite honteuse du dictateur déchu.</p> <p>Au-delà de ce drame décisif pour la victoire, c'est aussi tout le réseau de la toile qui, via FaceBook, Twitter, et tous les relais numériques possibles vont permettre aux citoyens de se débarrasser en 29 jours du despote. Voila par exemple un échange d'infos entre internautes : « Tu viens de dire que notre situation est chaotique. Mais alors pas du tout. Il ne faut pas suivre les infos toutes crétines de F2 ou TF1. Vraiment jusqu'ici, il y a un « sans faute » très clair pour continuer à tracer les chemins de la révolution de jasmin. Le danger de la milice de Ben Ali n'est plus qu'un souvenir. Les destructions et pillages n'ont touché que les maisons et les boites des mafiosos. Quand aux débats sur nos 4 chaînes de télé depuis l'abolition totale de la censure, ils sont d'un niveau ahurissant pour le tunisien moyen. Jamais il n'a entendu des analyses aussi profondes et des vérités très vérifiables… » Les internautes tunisiens ont très habilement réussi à contourner les « erreurs 404 » symptômes habituels de censure, et ont appris, entre autres, à surfer anonymement. Un groupe d'internautes anonymes appelé fort judicieusement « Anonymous » estime avec raison avoir joué un rôle prépondérant dans la chute de Ben Ali.</p> <p>Ils se mobilisent maintenant pour faire tomber les régimes contestés d'Egypte, Arabie saoudite, Algérie, Libye, Syrie, Jordanie, et Maroc. Ils ont mené des attaques informatiques, appelées « DDos » contre de nombreux sites gouvernementaux, en rendant inaccessible par exemple celui du premier ministre. Ils savent aussi manier l'humour caustique. Dans un texte rédigé collectivement les Anonymous appellent à poursuivre leur mouvement en faveur de la liberté d'expression et affirment que la peur a changé de camp. Ils élargissent maintenant leurs attaques contre tous les autres dictateurs d'Afrique du Nord. Le blogueur Slim Amamou, qui après avoir quitté les geôles tunisiennes est devenu ministre, affirme que le rôle des Anonymous, dont il était membre, a été déterminant, et que sans eux, la révolte n'aurait pas eu autant de répercussion internationale. Il était accusé d'avoir participé à l'opération internationale de hacking des sites gouvernementaux tunisiens lancé par les Anonymous. Ceux-ci viennent de refaire parler d'eux en piratant le site de la bourse d'Alger.</p> <p>Wikileaks a aussi son importance dans ces luttes. Après avoir ridiculisé les services secrets algériens en faisant savoir que les américains les qualifiaient « incompétents, sclérosés, paranoïaques », ils nous ont appris que les services secrets algériens avaient accepté de coopérer avec les services secrets américains, et que les algériens ne voulaient surtout pas que çà se sache et qu'on puisse le prouver un jour.</p> <p>La révolution de jasmin va-t-elle faire tache d'encre dans toute l'Afrique du Nord ? En tout cas, en Algérie, la contestation continue, et le 22 janvier, malgré l'interdiction du gouvernement, une marche de la dignité devait dérouler avec des mots d'ordre très clairs : « Ne pas répondre aux provocations, empêcher violence et pillage, filmer tout au long de la marche, identifier les infiltrés et les filmer, dire aux policiers et aux militaires qu'ils sont des nôtres, marcher fièrement convaincus que personne n'a le droit de s'accaparer notre rue, dire que nous avons des alliés à travers le monde, ne pas se laisser intimider, refuser la violence, concluant : nous n'avons pas peur, la peur à changé de camp ». Le pouvoir a envoyé 3000 policiers pour bloquer le rassemblement en blessant 42 manifestants sur les quelques 500 qui étaient parvenus malgré tout à se retrouver. Le groupe APCA (action pour le changement en Algérie) est l'un des moteurs des actions menées actuellement. Rappelons qu'en Algérie, Il y a eu entre le 6 et le 9 janvier des émeutes qui ont fait déjà au moins 5 morts et plus de 800 blessés.</p> <p>Il y a aussi la crainte des « infiltrations ». Quand on voit de quelle manière les « infiltrés » peuvent agir en toute impunité lors des manifestations, ils ont raison de s'inquiéter. Au Maroc, les manifestations sont régulièrement interdites. La dernière en date a été sévèrement réprimée. Interrogé par Médiapart sur la situation, Elias Sanbar, représentant la Palestine au sein de l'Unesco, tire les leçons de la révolution tunisienne : « Il est intéressant de constater à ce propos la vitesse supersonique à laquelle l'admiration de certains pour Ben Ali a cédé la place à un appui sans bornes au peuple tunisien et à son amour de la liberté » déclare-t-il et il ajoute « la liberté ne relève pas de l'import-export et doit se penser plus profondément. Il est cependant de la plus haute importance de se rendre compte que, plutôt que de « contagion », il s'agit surtout d'un spectacle exemplaire, une scène qui montre à des millions d'Arabes que la liberté est possible, qu'il est possible d'être dans la modernité sans forcement se renier ». En Europe, on sent le gène de quelques dirigeants, dont celle du gouvernement français, suite à l'énorme gaffe d'Alliot-Marie, qui proposait « généreusement » l'aide de « nos forces de sécurité françaises » pour ramener l'ordre en Tunisie. Les liens d'amitié connus qui unissaient Sarkozy et Ben Ali n'ont rien arrangé sur la popularité de notre gouvernement de l'autre coté de la Méditerranée. N'avait-il pas récemment félicité Ben Ali des « progrès de la démocratie en Tunisie » ? Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, on assiste a un virage à 180° de Sarkozy. Comme l'a fait fort justement remarquer « arrêt sur image », le site de l'ambassade de Tunisie a rapidement fait disparaître une photo d'accolade entre l'ancien dictateur et Sarkozy. Un vent de révolte se lève donc au Sud, et pourrait bien relancer la contestation en Europe, qui au fond, n'est guère mieux lotie que nos voisins d'outre méditerranée. Car comme dit souvent mon vieil ami africain : « Quand un chien aboie, il faut être prudent avant de lui retirer son os ».</p> <p><i>Article également paru sur Agoravox</i></p></div> Night in Tunisia http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article17 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article17 2005-02-22T14:48:08Z text/html fr Florence Bray NIGHT IN TUNISIA « A l'approche du 11 septembre », comme on dit dans les media, tout le monde a en tête les menaces terroristes, voire musulmanes, et pourquoi pas arabes, qui ont pesé sur notre année notamment à Djerba, Tunisie ; avantage collatéral, c'est que c'est pas cher, l'hôtellerie, dans un pays qui a licencié 7 000 salariés directs du tourisme, et qui tourne au vingtième de sa capacité dans ce secteur. C'est pas très cher, et c'est calme, nulle (...) - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique52" rel="directory">Tunisie</a> <div class='rss_texte'><p><strong>NIGHT IN TUNISIA</strong></p> <p>« A l'approche du 11 septembre », comme on dit dans les media, tout le monde a en tête les menaces terroristes, voire musulmanes, et pourquoi pas arabes, qui ont pesé sur notre année notamment à Djerba, Tunisie ; avantage collatéral, c'est que c'est pas cher, l'hôtellerie, dans un pays qui a licencié 7 000 salariés directs du tourisme, et qui tourne au vingtième de sa capacité dans ce secteur.</p> <p>C'est pas très cher, et c'est calme, nulle conversation enflammée, nulle vaine polémique, grâce à ces 30% de la population chargés de surveiller les autres, police en habit ou en civil qui vous tient compagnie à la terrasse des cafés, chez vous, au concert, afin que vous ne soyez pas dérangés par quelque quémandeur ou quelque gréviste de la faim qui trouve qu'être emprisonné parce qu'on est communiste n'a pas de sens. Tunisie, terre authentique et paisible donc, qui, jalouse de son patrimoine et de sa culture, veille à ne pas laisser la toxique mondialisation uniformiser les esprits : périodiquement, les routeurs internet sont empruntés par qui de droit et rendus purgés de tout accès à des parasites pseudo-culturels, les futilités tendance, même le journal Libération, restent aux frontières, et les messageries sont laissées opérationnelles un jour sur trois, garantie de ne pas sombrer dans l'autisme post-moderne de la conversation avec son écran. D'où sans doute le silence respectueux dont nos responsables gratifient ce régime ordonné. Logique, la nation veut garder ses compétences, et l'obtention d'un visa pour la France, mettons, n'a aucun caractère exagérément séducteur.</p> <p>Mais je m'égare ! Le dossier qui demande notamment des conditions de ressources égales à quatre smics locaux et un emploi stable depuis cinq ans vient du génie français, non des autorités tunisiennes ! Dans sa grande clairvoyance, il précise même que la liste des pièces dûment répertoriées n'est pas limitative, et que « toute autre » pourra être réclamée ; et suprême sagesse, il est écrit encore sur le formulaire du consulat que l'obtention d'un visa est une condition nécessaire mais non suffisante pour entrer sur le territoire français.</p> <p>Résultat immédiat : palpable rancœur envers le partenaire habituel, et belle croissance du rêve américain via des demandes de visas pour le Canada, pays francophone ET ouvert, et des départs vers l'Allemagne, qui a entrevu que la progression démographique plaidait en faveur d'une nouvelle immigration économique, et qui préfère peut-être accueillir ouvertement une potentielle main-d'œuvre très motivée, facilement corvéable si non qualifiée, plutôt que de gérer des préfabriqués Sangatte.</p> <p>Oui, mais les Tunisiens ne parlent pas allemand ? Certes, mais ils reçoivent des cours de langue, quasi obligatoires et gratuits pour les migrants. Comme en Suisse, en Suède, en Angleterre, pays qui imaginent sans doute que l'intégration est liée à ce que les gens comprennent de ce qui se passe autour d'eux, et à ce qu'ils peuvent échanger de propos avec les autochtones.</p> <p>En France, grâce au rayonnement pluri-séculaire, à l'alliance entre François Ier et Beyrouth, à l'obélisque de la Concorde, à la profonde connaissance des peuples de nos anciens départements et mandats, à la coopération pétrolière en Algérie, on sait qu'en chaque nord-africain ou moyen-oriental incube notre belle langue, qui saura reconnaître sa terre dès le premier jour et jaillira d'elle même . Et on ignore que les pays du Maghreb ont arabisé leur enseignement, et que la moitié de la population est quasi analphabète de toutes façons, notamment les femmes. Donc pas de cours à ceux qui viennent chez nous. Imaginez ce que ça coûterait, une centaine d'heures par tête de pipe ! D'abord, comme le rappellent périodiquement les spécialistes autorisés en Illettrie, ne pas savoir lire ni écrire la langue nationale n'est pas à ce point un handicap, car on peut toujours trouver un réseau de solidarité ; autrement appelé repli communautaire, ou ghetto, dont chacun sait que c'est très bon marché pour le corps social.</p> <p>Ensuite, les enfants « issus de », ils parlent français, et peuvent même faciliter l'intégration des aînés. Non. Ils parlent la langue qui leur permet de communiquer avec leurs parents ou leurs grands-parents, à la maison, et le rap, avec leurs copains, et le français scolaire, à l'école, langage descriptif et spécialisé qui n'a rien à voir avec celui de la vie. Non, les jeunes « beurs » ne parlent pas le français dynamique et abstrait de la conversation, des études, des métiers qualifiés et de la littérature vivante. Avec une seule classe de FLE pour lycéens sur l'académie de Versailles, et un concept de « langue seconde » encore vierge de toute exploration en France, c'est étonnant. Et pas besoin enfin d'interprètes médicaux ou juridiques, professionnels qui ont déjà eu le temps d'être assez nombreux pour se mettre en grève aux Pays Bas, et dont la Grande Bretagne est en train d'affiner les statuts ; le tribunal et l'hôpital fonctionnent aussi clairement pour des immigrés que pour vous et moi !</p> <p>Résumons nous : j'ai grandi dans un pays où partie des miens a été égorgée, ou tuée de diverses manières, ou violée, ou torturée, où les histoires de grands-parents sont celles d'une guerre, disons en Algérie. Ou dans un pays voisin qui me réduit au silence à chaque instant sous peine de harcèlements ou d'emprisonnement arbitrés par le seul Président. Ou près de la plage de Casablanca, ses sacs de colle, ses petites bonnes. Cette brutalité du quotidien m'a fait taire ; je n'en ai jamais discuté en famille, car ce n'est pas l'usage, chez les Arabes, de raconter sa vie ; je parle une langue hybride faite d'arabe, de dialecte et de français, qui ne s'exporte nulle part et ne s'écrit pas ; je n'ai aucune référence à ce qui se dit dans le monde. Au mieux, je peux chanter des chansons d'Oum Kalthoum toute la journée, pour le reste, je suis muet.</p> <p>J'arrive en France, et là, on me donne tout, sauf encore le moyen de sortir du silence. Or sans maîtrise de la langue, donc de l'histoire et des valeurs du pays qui m'accueille, comment puis-je m'y inscrire ? Comment puis-je questionner ou répondre pour qu'on se comprenne ? Et sans une écoute de la violence qui m'a poussé à venir et qui m'habite, quand les « cellules psychologiques » prolifèrent par ailleurs, comment puis-je occuper le nouvel espace d'expression libre que l'on m'offre, autrement que par des passages à l'acte nés de frustrations fort antérieures à mon arrivée, et dont il faudrait bien dire un mot ? J'ai des allocations, du confort, des centres commerciaux, des films du monde entier sans coupures, mais ce n'est pas d'une liberté passive dont je manquais, c'est de la liberté de formuler des projets, de pouvoir les travailler, en bref d'avoir un avenir, pour enfin faire ma vie. Comme je ne sais pas parler et qu'on ne me le demande pas, je cogne au lieu d'expliquer, et la haine suit son cours, irrationnelle ou tournée par habitude contre toute autorité, - et franchement, je n'éprouve qu'un sentiment de dérision devant la répression d'ici, messieurs les sécuritaires. Et comme je n'arrive pas à me trouver une place d'individu, je regagne ma communauté où je me fabrique une dignité avec ce que je connais : je voile ma fille à Montreuil , alors qu'au pays de Bourguiba elle se baladerait en décolleté ; ainsi, quand la qualité d'homme capable d'œuvrer parmi la nation m'est déniée par indifférence, au moins devant Dieu et les voisins, je suis quelqu'un : un « religieux », et je vous opposerai cette identité. Pour peu enfin que la structure se présente, je me laisse ramener aux textes sacrés, croyant y trouver de l'intégrité pour éclaircir ma confusion, et emprunte à nouveau un discours fabriqué par d'autres : « intégriste » faute d'intégration ?</p> <p>Zinedine Zidane et Jean Pierre Chevènement sont les deux Français dont on entend la louange au Maghreb, dont l'un demanda des mosquées en France, des représentants visibles de l'Islam, une coopération euro-méditerranéenne soutenue, une prise en considération du conflit israélo-arabe, le renforcement de la francophonie et du français en classe, se rendit au Maghreb, travailla avec le Haut Conseil à l'Intégration, et refusa de s'inscrire dans une logique de guerre impérialiste dont on a vu, le 11 septembre, la brillante efficacité. Pourvu que sa cuisse guérisse vite !</p></div> https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18