La Gauche Cactus
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frSPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP)Deux rapports sinon rien
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article29202023-11-05T00:32:00Ztext/htmlfrYann Fiévet<p>Yann Fiévet analyse deux rapports, l'un d'origine associative (Secours catholique et Aequitaz) sur les rapports au travail, l'autre d'un collectif de chercheurs, hauts fonctionnaires, agents de l'Etat sur les besoins en services publics, et explique en quoi ces rapports balaientbien des préjugés sur ces questions et, surprise, dézinguent les orientations gouvernementales.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique32" rel="directory">Social</a>
<div class='rss_texte'><p>Il y a quand même une rentrée sociale ! Au moins sur le plan de la réflexion. Ce mois de septembre les observateurs soucieux de l'état réel du corps social de notre pays ont pu saluer la publication de deux rapports on ne peut plus important. Ils n'émanent pas des « autorités compétentes » et n'ont pas été non plus commandités par elles. Cela en fait tout le poids. Le premier rapport, rendu public le 13 septembre par le Secours catholique et Aequitaz, une association prônant sans la moindre équivoque la « justice sociale », s'Intitule « Un boulot de dingue – Reconnaître les contributions vitales à la société ». Il se veut être « un antidote au poison des préjugés » en matière d'emploi. Le second rapport, diffusé le 14 septembre, émane du Collectif « Nos services publics », fondé en 2021, avec la contribution d'une centaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires et d'agents publics. Il propose de changer notre regard en comparant scrupuleusement l'évolution des besoins de la population avec l'investissement dans lesdits services publics. Ces deux rapports prennent tellement à contre-pied les idées reçues entretenues depuis su longtemps qu'ils n'ébranleront très probablement que fort peu la détermination de nos actuels gouvernants.</p> <p>« « Un boulot de dingue » met en pleine lumière « le travail invisible et non rémunéré » de nombre de personnes « hors emploi ». Que ce soit dans le champ personnel, en aidant un proche ou via des engagements dans la vie d'un quartier, le voisinage ou au sein d'associations. Ces contributions sont « vitales et utiles à la société » mais ne sont jamais reconnues. Un long inventaire – fruit de recherches étalées sur deux ans, permet de définir précisément ce travail invisible. Il est essentiellement tourné vers « le prendre-soin »et caractérise « une forme de protection sociale de proximité ». Le rapport est un plaidoyer pour « sécuriser ces activités essentielles » et espère être un remède contre « le poison de l'éternel cliché de l'assisté ayant besoin d'être sans cesse remobilisé ». Nombre d'associations en témoignent : les personnes rencontrées sont bel et bien actives, « n'en déplaise à̀ la statistique », qui les range parmi les « inactifs ». Ce cliché sur les « assistés » va sans aucun doute abondamment alimenter les débats du projet de loi pour le plein-emploi, qui sera examiné en octobre par les députés. Le texte doit ouvrir la voie au réseau France Travail, à l'inscription automatique des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et à de possibles heures d'activité obligatoires, en contrepartie de ce revenu. Pour le Secours catholique et Aequitaz voient là « un contexte politique inquiétant ». Ils rappellent leur ferme opposition « à toute forme de contrepartie au minimum vital qu'est le RSA ». Enfin, le rapport se veut aussi le porte-voix de « celles et ceux que l'on montre du doigt sans jamais prendre le temps de les entendre ». Les personnes qui ont participé aux travaux y relatent leur douleur d'être régulièrement stigmatisées : « « Personne ne survit émotionnellement à l'inactivité doublée de la solitude qu'elle engendre », affirme l'une d'elles. En entrant dans les histoires de vie des personnes qui ont participé à la recherche, on découvre un monde d'entraide et de solidarité. Des valeurs que les politiques publiques d'aujourd'hui sacrifient petit-à-petit sur l'autel de l'ultralibéralisme.</p> <p>Le Collectif « Nos services publics », quant à lui, nous livre un diagnostic sans appel : alors que les besoins de la population ont évolué, l'Etat n'a pas su s'adapter : des services d'urgence hospitaliers dangereusement fermés certaines nuits, des enseignants qui manquent à l'appel malgré les déclarations officielles lénifiantes, des magistrats qui alertent sur leurs conditions déplorables de travail, etc. Comment expliquer que les services publics « craquent » alors que la dépense publique augmente ? Pour les rapporteurs, « débattre de l'évolution des services publics n'a de sens qu'au regard des évolutions sociales auxquelles ils répondent ». Or, ils constatent que « A l'arrivée, dans tous les domaines, on retrouve une courbe des besoins qui augmente et une courbe des dépenses qui progresse beaucoup moins vite ». Dans sa démarche le collectif a cumulé des indicateurs de nature très variables : les dynamiques démographiques (comme le vieillissement de la population ou la hausse de l'accès aux études supérieures), les progrès sociaux (dont la lutte contre les violences faites aux femmes) et les transformations des modes de vie. Ces paramètres « modifient les attentes de la population et le niveau de référence de prise en charge de ces attentes. Ils permettent de constater une attrition de la dépense publique en regard des besoins, alors même qu'elle a augmenté de manière quasi continue depuis quarante ans – elle représentait moins de 50 % du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1980 et 58 % en 2022 – et que le nombre d'agents publics est passé de 4,8 millions à 5,4 millions en vingt ans.</p> <p>Le chapitre consacré à la santé étudie l'évolution des affections longue durée (ALD), des maladies « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et coûteux ». D'après les données de l'Assurance-maladie, le nombre de patients en ALD est passé d'environ 9 millions à 12 millions entre 2010 et 2020, soit une augmentation de 34 %. Or le financement du système de soins est de moins en moins adapté à ces pathologies : l'hôpital public, sur lequel repose en grande partie la prise en charge des maladies chroniques, souffre de la « tarification à l'activité », qui ne rémunère pas les tâches de coordination entre l'hôpital et la médecine de ville. Dans le domaine scolaire les besoins ont également fortement évolué. Depuis les années 1980, le taux de bacheliers pour une génération a été multiplié par quatre, et l'école accueille depuis 2005 les enfants en situation de handicap – leur nombre a été multiplié par trois en quinze ans, soit 400 000 élèves. De fait, l'école peine à s'adapter à un public plus hétérogène. Si 80 % d'une classe d'âge parvient au baccalauréat, c'est au prix d'une stratification sociale très forte au sein des filières du lycée, les enfants d'ouvrier composant 34 % des bacheliers professionnels, contre 8 % pour les enfants de cadres supérieurs. Ainsi, du fait de l'inadaptation du système, des inégalités criantes persistent.</p> <p>Ce qui nous frappe à la lecture conjointe de ces deux rapports c'est le cruel défaut de l'attention portée par les pouvoirs publics à la réalité sociale et à la nécessité de répondre vraiment aux attentes légitimes de la population. Nous le savions depuis longtemps, plus ou moins intuitivement ou par bribes, mais là nous en avons une démonstration implacable. Pourtant, une fois de plus on va sur ces questions cruciales probablement lancer « un grand débat », créer un nouveau Conseil de la « Reconstruction », demander des études complémentaires, etc. Bref, on va encore renvoyer l'urgence d'agir aux calendes grecques !</p></div>
Le combat pour l'eau
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article29092023-10-28T21:59:00Ztext/htmlfrPatrice Perron<p>On connaissait les passions écologistes de Patrice Perron (de Guidel, ne l'oublions pas), son goût de l'humour, et nous découvrons ici ses talents poétiques, avec des paroles engagés sur des problèmes les plus graves qui menacent l'humanité : celui de l'eau.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique60" rel="directory">Environnement, Ecologie, Agriculture</a>
<div class='rss_texte'><p>Le combat pour l'eau</p> <p>Le combat pour l'eau sera terrible.
Sauvons l'eau de la vie, l'eau de notre planète.
Bien commun de l'humanité,
Essentielle à la vie.
Là où il restera de l'eau,
Les humains viendront de partout
Des littoraux, des campagnes, Des déserts, des montagnes Et même des villes, surtout des villes.</p> <p>Ils viendront des zones et régions
Où l'eau aura presque disparu,
L'eau de la vie, l'eau de notre planète,
Bien commun de l'humanité
Indispensable à la vie.</p> <p>Le combat pour l'eau sera terrible,
Sur chaque continent, dans chaque pays.
Les survivants se battront jusqu'au sang
Pour obtenir la dernière goutte,
Puis ce sera l'exode mortifère
Vers d'hypothétiques horizons,
Où l'eau coulerait peut-être encore.</p> <p>Les migrations climatiques pour la survie,
Dont personne ne semble prendre la mesure,
Seront inévitables et à organiser.
Sauvons l'eau de la vie, l'eau de notre planète.
Son accès sera rendu difficile,
Peut-être même monnayé par des vampires
Et des profiteurs qui mourront aussi ensuite.</p> <p>Sauvons l'eau de la vie, l'eau de notre planète,
Bien commun de l'humanité, Indispensable à la vie.
Pour la survie du plus grand nombre,
Sans critères de richesse ou de pouvoir,
Sauvons l'eau de la vie, l'eau de notre planète.
Le combat pour l'eau sera terrible. Terrible.</p> <p><i>Texte : Patrice Perron. Musique : Patrick Le Houëdec</i></p></div>
Une rentrée rabougrie
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article29022023-08-26T22:48:00Ztext/htmlfrYann Fiévet<p>Yann Fiévet accueille à sa façon, donc assaisonne, le nouveau ministre de l'éducation nationale. Faire régner l'ordre, y compris moral, voilà le programme. Surtout pas d'éveil à l'esprit critique. Et gare aux vacances des enseignants, parce que ça indispose le Président.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique34" rel="directory">Education et Recherche</a>
<div class='rss_texte'><p>La rentrée des classes 2023 en France est marquée du sceau d'un inquiétant rabougrissement. Plusieurs évènements attestent de ce phénomène surgissant dans un moment de grandes tensions au sein du corps social, tensions face auxquelles le pouvoir politique en place manque singulièrement de sérénité. La portée de ces évènements dépasse de très loin le cadre de l'Ecole et sont tout sauf anecdotiques. L'Ecole étant le lieu privilégié de l'accueil de la jeunesse du pays il conviendrait, paraît-t-il, de la reprendre en main. D'une main ferme évidemment accompagnée parfois d'une bonne dose de pudibonderie. Nous allons retrouver ici quelques figures du macronisme le plus pur auquel peuvent venir s'adjoindre sporadiquement, pour pouvoir exister un peu, quelques satellites issus de la sphère politique la plus réactionnaire. Nous nommons, dans l'ordre de leur entrée en scène, Gabriel Attal, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin et… Jupiter soi-même.</p> <p>En juillet dernier, après que la « communauté scolaire » nationale fut entièrement partie en congés d'été, le monarque décida de remplacer le ministre idoine. Ainsi, Gabriel Attal, jeune loup aux dents longues et pourtant déjà presque vieux en politique, succède à Pap Ndiaye qui en une année seulement ne pouvait avoir fait oublier le calamiteux quinquennat de Jean-Michel Blanquer. Contrairement à Pap Ndiaye qui est universitaire Gabriel Attal n'a jamais occupé la moindre fonction au sein de « l'appareil éducatif ». Passé par la prestigieuse Ecole Alsacienne de Paris il est le pur produit de la mérito-aristocratie et va ainsi pouvoir donner des gages de sincérité à tous ceux qui craignaient que l'on tente de remettre en cause un tant soit peu les privilèges de l'enseignement privé. C'est précisément là que Pap Ndiaye se mit à dos le plus d'ennemis, et pas seulement au sein de la droite extrême. Partisan de la mise en œuvre de moyens destinés à promouvoir une « mixité sociale » digne de ce nom il entendait y inclure la sphère privée de l'éducation. De fait, l'Elysée n'avait pas même besoin du tollé de la Droite pour ne pas supporter l'outrecuidance d'un ministre osant s'être levé du strapontin qui lui avait complaisamment été offert. L'Ecole doit rester à deux vitesses. On ne va tout de même pas rallumer la guerre scolaire, proclama le Président du Sénat. Il peut enfin dormir de nouveau sur ses deux oreilles : ce n'est pas Gaby le Magnifique qui songera à déterrer la hache de guerre. En revanche, on va le voir beaucoup sur le terrain en cette rentrée, histoire de poursuivre l'esbroufe macronienne entamée voilà plus de six années. Du reste il a commencé en août par la rentrée à la Réunion. Consolons-nous : à cette première occasion il a déjà trouvé le moyen de se prendre les pieds dans le tapis de… « l'immigration en provenance de Mayotte ». Assurément, il compte sur le dos de l'Ecole pour continuer de se faire les dents. La jeunesse doit savoir se tenir. Gabriel Attal va s'atteler à cette tâche indissociable, selon les tenants de l'Ordre établi, de la « bonne marche » du système éducatif. Il pourra compter en la matière sur le soutien inconditionnel de Valérie Pécresse qui préside aux destinées de la Région Ile-de-France. En juillet dernier, elle déclara que « notre devoir est de faire aimer la France à notre jeunesse ». En même temps, elle décida de débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis (93). En proposant, à la place, le nom de Rosa Parks. Elle se justifie en ces termes : « Personnellement, vous l'avez compris, je préfère la révolution civique de Martin Luther King à la lutte armée violente des Black Panthers ». Elle alimente ainsi l'artificielle opposition entre les activistes noirs : d'un côté, les sages, les modérés, bref, les respectables. De l'autre, les violents, les radicaux, les extrémistes. La réalité est pourtant bien différente : Rosa Parks n'était pas seulement « une petite dame gentille assise dans le bus avec son petit sac ; elle était aussi une militante proche des mouvements communistes. D'autre part, considérer qu'Angela Davis était violente est totalement faux – par conséquent raciste - et consiste à effacer purement et simplement – c'est probablement le but ultime de cette entreprise idéologique de démolition – le fait que les nombreux ouvrages de la sociologue américaine sont lus et analysés dans le monde entier. Valérie Pécresse affiche là la suffisance éhontée des insuffisants. Il conviendrait au contraire d'étudier dans les lycées la pensée d'Angela Davis qui, toute sa vie, a forgé des outils de réflexion contre toutes les formes d'injustices. Alors, la France deviendrait vraiment pleinement aimable aux yeux des jeunes, en particulier dans « les quartiers » si malmenés en maints endroits du pays. Les lycéens de Seine-Saint-Denis – et leurs professeurs – seront-ils muets à la rentrée face à l'insulte qui vient d'être commise, en leur nom, à l'encontre de la figure incontestable de l'antiracisme qu'est Angela Davis ? Un autre livre ne figure évidemment pas au chevet de Valérie Pécresse : celui, remarqué, que l'historien Pap Ndiaye a consacré à « la condition noire ». La boucle est ainsi bouclée !</p> <p>Il est donc grand temps que notre jeunesse soit édifiée par les bonnes valeurs morales qui lui permettront d'évoluer docilement demain dans une société enfin apaisée. C'est là que Gérald Darmanin intervient. Il abandonne à l'occasion son costume de père fouettard en chef pour endosser celui de nouveau « père la pudeur », costume que porta fièrement autrefois l'un de ses ascendants idéologiques. Il est des filiations qui ne se renient pas. Les débordements de la jeunesse ne se déroulent pas uniquement sur la voie publique. Ils peuvent aussi avoir lieu dans la sphère privée, dans l'intimité des relations interpersonnelles, en principe à l'abri des regards. Il ne faut pourtant pas s'interdire d'agir là-dessus aussi. Le 18 juillet dernier, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur au pouvoir très étendu, a fait interdire la vente aux mineurs d'un roman jeunesse dont certaines scènes ont été jugées pornographiques. Voilà un grand moment de puritanisme imbécile et pour le moins opportuniste. La sexualité de l'adolescence dérange encore et toujours certains esprits qui soit ont raté ce moment initiatique, soit l'ont étonnamment oublié. C'est le moment de la découverte de son propre corps, « la construction de sa capacité à désirer le désirable, etc. Thierry Magnier, éditeur du livre censuré, voulait « montrer comment la littérature, à un âge donné, accompagne cette découverte-là ». Et tant pis si, parfois, les récits abandonnent la littérature en route, pour ne plus raconter que l'été et les corps. » Mais, cela est intolérable aux yeux de ce qui pourrait devenir une nouvelle police des mœurs.</p> <p>On en conviendra : il se cache derrière ces divers évènements, tous intervenus en juillet quand le citoyen a la tête ailleurs, un manque caractérisé de sérénité. Pour faire bonne mesure, il fallait bien que Jupiter apporte sa pierre à cette fébrilité estivale. Il le fit depuis son lieu de vacances aoutien. Un œil sur le lointain Niger, l'autre sur les banlieues toutes aussi lointaines pour lui, il a prévenu qu'aucun débordement dans les quartiers populaires ne sera toléré à la rentrée. Les mauvaises langues, dont nous ne sommes pas, diront que le monarque verse là de l'huile sur le feu ! En fait, il sait pertinemment que les motifs d'un possible embrasement sont de plus en plus criants. Il y répondra, le cas échéant, avec ses plus fidèles lieutenants, par de nouvelles manifestations du rabougrissement en marche.</p></div>
« Prends-moi un Yop » : l'absurde au cœur des émeutes
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28962023-08-21T21:54:00Ztext/htmlfrRomain Huët <p>Sociologue et universitaire distingué Romain Huët jette un regard original sur les révoltes de juillet : certes il y eut colère, justifiée, violences, déprédations, pillages, mais aussi solidarités, dévouements et puis, là réside l'originalité de l'auteur, des comportements, des gestes apparemment absurdes, sans oublier le côté « Robin des bois » (pillons ceux qui nous pillent, puis faisons, nous, ruisseler) Il y a un côté festif, certes fugace, dans la révolte, et Romain Huët en tire les leçons.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique67" rel="directory">Banlieues</a>
<div class='rss_texte'><p>« Wala, ça a ouvert le Franprix. Hey, prends-moi un Yop, prends-moi un Yop ». Ailleurs, dans une autre ville de France, au beau milieu des affrontements, un homme mange tranquillement son sandwich, l'air de rien. À Romainville, dans la nuit du 29 juin, j'assiste au pillage d'un bureau de tabac. Un gars ressort les bras chargés de sucettes qu'il balance en l'air tel un brave au bon cœur. Toujours à Romainville, cette même nuit-là, des émeutiers tentent de brûler la laverie automatique. « Tout'e façon, elle n'a jamais marché » relativise un passant. À Nanterre, dans la nuit du 27 au 28 juin, j'observe un gamin s'obstiner à jeter un cocktail Molotov dans un feu de poubelle déjà bien garni. Ailleurs encore, une vidéo montre une femme bien à son aise qui profite d'un feu de poubelle pour faire cuire quelques grillades. Sur un autre snap (réseau social Snapchat), un type cagoulé court avec en mains une guitare électrique tout juste volée. Ailleurs encore, un magasin alimentaire se fait piller. La « dame, elle a pris du coton, mdr (NDLR : mort de rire) ». Au cours d'un autre pillage, on entend crier « prends du mascarpone ». À Sarcelles, un homme déguisé en Spiderman a été aperçu dans les rues. À Rennes, un joyeux luron, un brin détraqué, est aux commandes d'un engin de chantier. Il s'amuse à fracasser un lampadaire.</p> <p>Les révoltes de juin 2023 sont en train de faire l'histoire, une histoire supplémentaire de rupture avec les pouvoirs. Elles frappent par leur intensité, la rapidité de leur propagation, l'ampleur des destructions, et chose nouvelle par rapport à 2005, celle des pillages. La circulation des vidéos sur les réseaux sociaux ajoute à la stupéfaction. Ces émeutes sont des révoltes politiques quand bien même elles ne se traduisent pas, dans le présent de la situation, par des slogans ou des revendications. Ce qui domine dans l'émeute, ce n'est pas la parole mais plutôt l'acte. Elle confronte la société dans ce qu'elle sait déjà mais qu'elle dénie ou qu'elle se refuse d'affronter sérieusement depuis des décennies autrement que par une gestion technique du « maintien de l'ordre public ». Ces vies écrasées et méprisées se redressent et débordent. Elles font effraction dans ce qui leur est habituellement soustrait : la parole et l'audition politiques.</p> <p><strong> « Dingueries »</strong></p> <p>Au côté de la gravité de la situation et de ses déterminations politiques, une chose étonne : au milieu des affrontements, entre les tirs de mortiers, de feu d'artifice, des dizaines de vidéos montrent aussi des émeutiers hilares, amusés de leurs propres gestes et narquois. Ils donnent le sentiment de jouir du moment présent. Ils développent un sens évident de la mise en absurdité de leurs propres gestes. On y croise des « fous » qui font toute sorte de « dingueries » c'est-à-dire des êtres qui osent des gestes transgressifs que le commun s'interdit d'accomplir par crainte ou par honte. Le temps d'un instant, au cours d'une nuit ou d'une marche blanche, certains en oublient les sentiments tristes qui les ont conduits dans la rue.</p> <p>C'est un fait assez commun aux émeutes : elles sont un condensé d'affects et de sensations hétérogènes et souvent contradictoires. L'absurde côtoie la colère. L'humour se confond avec la violence des gestes. La joie se mêle aux larmes de la famille endeuillée de Nahel. Les gestes nihilistes de saccage se mélangent aux plaintes dirigées sans équivocité à l'endroit des forces de l'ordre et de l'état. Rationalités politiques et gestes absurdes sont le propre des pratiques émeutières.</p> <p>L'ivresse s'unit aux idées de vengeance. L'attaque de la maison de Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses, en est le témoignage concret. Mais au-delà des faits de violence directe, il y a une atmosphère propre aux émeutes qu'il convient de saisir. Quiconque n'a jamais participé à une manifestation émeutière pourrait être surpris sinon scandalisé par le caractère souvent joyeux et festif des émeutes. Au lieu de susciter de la répulsion chez les témoins ou les participants, ces violences sont à l'origine d'amusement, d'enthousiasme collectif, de vertige jusqu'à des formes d'ivresse qui produisent en chacun un profond sentiment d'irréalité. Faut-il encore se demander d'où provient cette joie là où l'on devrait a priori ressentir de la peine et de l'effroi.</p> <p><strong>Puissances retrouvées</strong></p> <p>La première raison est éminemment politique. Elle réside dans le fait que les émeutiers retrouvent une puissance collective. Ces corps assemblés tiennent la rue, non loin de là où ils vivent. Ils ont le sentiment d'occuper l'espace contre la volonté des ordres policiers. Cela produit l'effet grisant de la conquête d'une puissance qui échappe au travail de répression et d'encadrement par les forces policières. L'émeutier ne subit plus. Il inverse même les registres de la puissance puisqu'il oblige les symboles du pouvoir à fermer, à se barricader (institutions), à reculer et à se protéger (forces de police).</p> <p>C'est le vertige tout à fait momentané d'une puissance retrouvée devant la mise en échec des pouvoirs, des ordres et des formes qui empêchent habituellement la vie quotidienne. L'espace physique de la rue est occupé tout comme l'espace médiatique. Aux invisibilisations politiques habituelles les révoltés font effraction dans le débat public. Les dénonciations sont limpides.</p> <p><strong>Un renversement momentané de l'ordre</strong></p> <p>La seconde raison suit la logique du spectacle. L'émeute emprunte particulièrement au registre carnavalesque. Certes, dans ces émeutes, les déguisements sont rares mais, ces derniers jours, on voit de nombreuses mises en scène : un goût prononcé pour le feu (feux de poubelles, cocktails Molotov), un usage abondant des feux d'artifice (mortiers) et de pétards. La circulation affolante des images sur Snapchat et TikTok ajoute à la mise en spectacle. Le geste n'existe pas seulement dans le présent de la situation. Il est vu, capté en vidéo et est promis à circuler voire à « percer » sur les réseaux. Des classements des villes les plus « chaudes » circulent sur quelques comptes Twitter. À cet égard, l'entrée de la ville de Marseille dans les émeutes a été fortement commentée. Il n'y a de spectacle que pour être donné à voir. Le renversement momentané de l'ordre a quelque chose de plaisant car parodique. Le pouvoir quitte son raffinement habituel et est obligé à se déployer de manière grotesque : courir après les manifestants, les frapper parfois indistinctement, se cacher pour surprendre ses proies. Les rires éclatent là où les forces de police apparaissent empruntées, maladroites et débordées.</p> <p>La troisième raison qui explique la joie émeutière réside dans le retournement du rapport avec les forces de l'ordre. Au respect qu'il leur est attaché dans la vie ordinaire, l'émeute ouvre une scène où il est possible de les insulter, de les rabaisser et de les humilier par le langage. Les forces de police peuvent aussi être attaquées et donc atteintes dans leurs corps. L'émeute s'alimente de ces ambivalences. Elle devient un temps symbolique de suspension des formes et offre un défi tantôt narquois, tantôt rageur aux forces de l'ordre. L'émeute inspire les passions et le chaos en réponse à la rigidité, l'ordre, le sérieux et à la froideur de l'État. Il y a donc un charme de l'émeute en tant qu'elle fait rupture avec les expériences ordinaires.</p> <p><strong>Le risque de la fétichisation</strong></p> <p>C'est une sensation qui appartient au voir ; un paysage désorganisé, des rues occupées, des forces de police désorientées, un espace urbain chaotique, c'est-à-dire autant de situations perceptibles qui semblent faire balbutier les structures du monde. Le réel n'est pas anéanti : il est marqué, scarifié et abîmé. La colère trouve le sentiment de son bon droit dans le redressement des corps et leur charge contre le pouvoir. C'est une épreuve corporelle du politique. Les joies souvent absurdes ne doivent pas conduire à une fétichisation ou à une esthétisation des émeutes comme si elles étaient la manifestation la plus évidente d'une révolte authentique. Elles sont le signe d'une détresse politique. Car si l'émeute déborde parfois le pouvoir et le met ponctuellement en échec, elle demeure le signe d'une impuissance à intervenir dans le monde pour faire entendre et reconnaître ses plaintes. Mais elle rappelle aussi l'impatience qu'ont les émeutiers à faire droit à leurs colères. L'émeutier regarde le monde. Il le parcourt, l'engrange et le brûle.</p> <p><i>Romain Huët est Maitre de conférences en sciences de la communication, chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2. Texte paru dans The Conversation France <newsletter@theconversation.fr></i></p></div>
L'ONU et la question du « droit à l'eau ».
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2879
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28792023-07-17T09:34:00Ztext/htmlfrChloé Maurel<p>Historienne spécialisée dans les politiques de l'ONU et collaboratrice de la revue Recherches internationales, Chloé Maurel propose un article sur un problème majeur qui, engendré par le réchauffement climatique et les surconsommations pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l'humanité et une source de multiples conflits : celui de l'eau. A l'ONU, elle décrit les difficultés à passer des « bonnes intentions » aux actions concrètes.</p>
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<div class='rss_texte'><p><strong>Des proclamations et des programmes humanistes lancés par l'ONU</strong></p> <p>La résolution de l'Assemblée générale de l'ONU adoptée le 28 juillet 2010, reconnaît pour la première fois « le droit à l'eau potable et à l'assainissement sûrs et propres comme un droit de l'homme essentiel à la pleine jouissance de la vie et du droit à l'exercice de tous les droits de l'homme ». En effet, l'eau, ressource présente naturellement sur Terre, n'est pas une marchandise comme une autre, même si elle doit souvent être assainie par des dispositifs mis en place par des entreprises, publiques ou privées, d'autant plus qu'elle est d'importance vitale pour les humains, donc il apparaît justifié qu'elle soit considéré comme un bien public mondial, autrement dit un bien commun.</p> <p>À l'heure du réchauffement climatique, cette ressource vitale qu'est « l'or bleu » se révèle particulièrement cruciale. Quelques chiffres illustrent son caractère primordial, et mettent en évidence les conséquences dramatiques du manque d'eau : 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à des services d'eau potable gérés de manière sûre, et sont contraints de boire de l'eau contaminée. Plus de moitié de la population mondiale, soit 4,2 milliards de personnes, manquent de services d'assainissement gérés de manière sûre. 297 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année de maladies diarrhéiques causées par l'insalubrité de l'eau. Près de 90 % des catastrophes naturelles sont liées à l'eau (inondations, cyclones, tornades, sécheresses…) 80 % des eaux usées dans le monde sont rejetées dans l'environnement sans traitement. L'ONU prend la mesure de la situation actuelle, déplorable, comptabilisant que, au total, chaque année, plus de 842 000 personnes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire meurent à cause du manque d'eau. Corollairement, concernant cette fois l'eau de mer, la pollution affecte dramatiquement l'eau sur Terre : un « continent de plastique » flotte sur le Pacifique, et, fin juin 2023, le Japon annonce qu'il va rejeter les eaux contaminées dues à la catastrophe de Fukushima dans la mer.</p> <p>Cette résolution onusienne de 2010, qui affirme le droit à l'eau de tous les droits humains, est donc particulièrement importante Ce texte chiffre ce droit à entre 50 et 100 litres d'eau par personne et par jour, pour un coût qui doit être abordable, soit inférieur à 3 % du revenu de la famille. Il précise aussi que chaque famille doit pouvoir trouver une source d'eau à moins d'un km de chez elle et le temps de collecte de cette eau ne doit pas dépasser 30 minutes. Cinq ans plus tard, parmi les 17 « Objectifs de développement durable » (ODD) proclamés par l'ONU en 2015, l'objectif n°6 vise à garantir l'accès de tous à l'eau et à l'assainissement et à assurer une gestion durable des ressources en eau.</p> <p>Historiquement, l'action de l'ONU et de ses agences sur la question de l'eau avait déjà commencé dans les années 1970, période de l'émergence des préoccupations écologistes et environnementales, avec la Conférence des Nations unies sur l'eau en 1977, suivie par la Décennie internationale sur l'eau et l'environnement, lancée en 1992, l'année du Sommet de la Terre à Rio.</p> <p>L'action de l'ONU passe aussi par une sensibilisation de la population mondiale à ces questions, à travers la « Journée mondiale de l'eau », chaque 22 mars, et la « Décennie internationale d'action de l'ONU sur l'eau » (2018-2028).</p> <p><strong>Le secteur privé à la manœuvre pour défendre ses intérêts financiers, avec pour résultat une marchandisation croissante de l'eau :</strong></p> <p>Cependant, derrière ces belles paroles, se cache une pénétration croissante de l'ONU par les intérêts du secteur privé. En effet, l'eau attise les convoitises des grandes entreprises multinationales. Comme l'analyse l'économiste hétérodoxe Sylvain Leder, en réalité, « en 1992, lors de la Conférence des Nations unies sur l'eau à Dublin, […] pour la première fois cette ressource a été officiellement reconnue internationalement comme un bien économique ». Ainsi, s'est alors mise en place une véritable « oligarchie mondiale de l'eau », selon les termes de l'économiste et politiste Riccardo Petrella, une oligarchie qui, comme l'explique S. Leder, a « à sa tête la Banque mondiale, à l'origine de la création en 1996 du Conseil mondial de l'eau, dirigé à l'époque par de hauts cadres de multinationales comme Suez et Vivendi (devenu Veolia) et dont le siège est installé à Marseille. Ce Conseil a pour mission de définir une vision mondiale de cette ressource dans un cadre libéral. La dimension opérationnelle est assurée par le Partenariat mondial de l'eau, créé la même année pour favoriser les partenariats public-privé ». Ainsi, les grandes multinationales ont créé des lobbies qui interviennent au sein de l'ONU pour défendre leurs intérêts dans un esprit néo-libéral et prédateur.</p> <p><strong>Bientôt des « guerres de l'eau » ?</strong></p> <p>Comme l'analyse Akram Belkaïd dans le Monde Diplomatique de juin 2023,la planète est aujourd'hui en proie à des tensions liées à l'enjeu de la mainmise sur l'eau, qui pourraient mener à des « guerres de l'eau ». Par exemple, l'Égypte envisage « l'usage de la force, notamment aérienne, contre le grand barrage de la Renaissance que construit l'Ethiopie sur le cours du Nil bleu ». Au sein des États aussi, l'eau donne lieu à des conflits et tensions qui se soldent parfois par des affrontements violents, de la Colombie à l'Afrique du Sud, en passant par la France, où, le 25 mars 2023, plus de 200 personnes ont été blessés dans les affrontements avec les forces de l'ordre lors des manifestations contre les méga-bassines à Saint-Soline.</p> <p><strong>Mettre fin aux lobbies du secteur privé qui gangrènent l'ONU</strong></p> <p>En mars 2023, l'ONU a organisé une nouvelle conférence mondiale sur l'eau, centrée sur l'eau douce. Réunissant les représentants de 150 États ainsi que des ONG, cette conférence est importante, car, comme l'affirme Akram Belkaïd, « contrairement aux océans, qui font l'objet d'un accord mondial de protection, adopté aussi en mars, l'eau douce (…) ne bénéficie d'aucun texte majeur encadrant la fois son usage, son partage et sa préservation ». Mais les multinationales de l'eau, de Suez à Veolia en passant par American Water, Thames Water, Sabesp, ou encore Nestlé, sont à la manœuvre à l'ONU, pour influencer les discussions et l'orientation des textes adoptés. En effet, ces multinationales pénètrent tous les rouages de l'ONU par leurs lobbies très actifs, en contrôlant des pseudos-ONG qui y ont droit de cité et de parole. C'est depuis les années 2000, sous le mandat du Ghanéen Kofi Annan, que date cette fâcheuse pénétration du secteur privé dans les arcanes de l'ONU. Ce Secrétaire général avait en effet fait en sorte d'associer les multinationales aux débats des Nations unies, à travers le « Pacte mondial » (Global Compact) qu'il avait mis en place.</p> <p>En fin de compte, l'eau douce, qui représente un marché de plus de 600 milliards d'euros, est au cœur des enjeux économiques du XXIe siècle, et au sein de l'organisation internationale, on observe un tiraillement entre les impératifs humanistes du « droit à l'eau », et la logique du profit prédateur et de la marchandisation de toutes les ressources naturelles.
Il incombe donc à l'ONU de se libérer des intérêts du secteur privé, et d'affirmer haut et fort la logique du droit à l'eau, dans l'esprit des « droits économiques et sociaux », qui avaient été proclamés dès 1966 en son sein.</p> <p><i>Chloé Maurel est historienne, spécialiste des Nations unies Article publié dans Recherches internationales
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Total irrespect
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2876
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28762023-06-23T16:54:00Ztext/htmlfrYann Fiévet<p>Le président Macron essaie d'endosser le costume de sauveur de la planète face aux aléas climatiques. Yann Fiévet en montre, implacablement, l'inanité et s'en irrite même un brin. Et nous ajouterons, entant qu'arbitres des élégances bien connus, que ce costume ne lui va pas du tout.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique60" rel="directory">Environnement, Ecologie, Agriculture</a>
<div class='rss_texte'><p>A la veille d'un nouvel été difficile la stupeur nous saisit. Le macronisme vient de battre piteusement en retraite sur le front du combat écologique. Les esprits grincheux diront qu'il n'avait jamais vraiment entamé ce combat pourtant impératif. On peut difficilement leur donner tort. Le mois de mai était depuis des lustres le mois du renouveau, celui qui annonçait des jours meilleurs, ceux de l'éclosion générale, des jours attendus avec entrain partout et par tous, petits et grands, pauvres ou riches. Tout cela est bien fini. Le mois de mai est désormais en France le mois de la fin définitive des illusions face à la crise climatique aux ravages indiscutablement grandissants. En cette matière qui ne devrait souffrir aucune défaillance, Jupiter, en dieu impuissant, et son ministre chargé de la « transition écologique » ont, à quelques jours d'intervalle, sonné le glas de nos maigres espérances. Deux hommes passifs pour deux évènements calamiteux. L'irrespect affiché pour la planète est alors à son comble. Et, le pétrolier en chef de s'en délecter en coulisses.</p> <p>Le premier de ces évènements fut la déclaration péremptoire du Président de la République française à une heure de grande écoute télévisuelle, déclaration par laquelle il exprimait sans ambages son souhait qu'une pause soit prononcée dans la règlementation environnementale européenne. A quelques jours de la réception annuelle des « plus grands patrons du monde entier » au château de Versailles, Emmanuel Macron s'attaquait à rien moins que le green new deal, certes diversement appréhendé par les partenaires de la France, qu'il conviendrait de muscler eu égard au péril climatique et non de l'affaiblir. Du reste, le monarque qui se veut absolu déclencha la stupéfaction européenne en la circonstance. Bien sûr il n'en a cure : son urgence à lui est de rassurer les magnats de la finance et de l'industrie planétaire afin que dans la bonne marche des affaires la France reste pleinement une terre d'accueil ! On se souvient ici de la déclaration énervée de Nicolas Sarkozy en 2011, au Salon de l'agriculture, trois petites années après le « Grenelle de l'environnement » qu'il avait pourtant abondamment promotionné : « l'environnement, ça commence à bien faire ». Mais, douze années plus tard… Ces hommes sont très forts dans l'esbroufe communicationnelle et éminemment discrets dans la mises en œuvre tangible de leurs annonces tonitruantes. C'est que le réalisme économico-financier du capitalisme omnipotent revient toujours à la charge porté par de vigilants gardiens du temple.</p> <p>On doit le second évènement de ce printemps à Christophe Béchu qui porte fièrement la casquette ministérielle de la transition écologique. Il a officiellement lancé le 22 mai dernier le processus de « l'adaptation » au réchauffement climatique. Jusqu'à la fin de l'été les Français sont consultés afin qu'ils disent les efforts qu'ils sont prêts à consentir pour adapter leurs comportements de consommation dans l'optique d'un réchauffement de 4° à la fin de ce siècle. Rappelons que la COP 21 tenue à Paris en décembre 2015 déclarait qu'il ne faudrait surtout pas dépasser 1,5° pour éviter « l'emballement ». On entérine donc en haut-lieu que l'objjectif est irréaliste et qu'il faut donc se préparer au pire. Les Français pourraient en retour demander ce que les vrais décideurs sont prêts à consentir comme efforts d'adaptation pour changer de manière tangible la prégnance mortifère du capitalisme sur la nature et nos vies. Va-t-on annuler les nombreux projets autoroutiers lancés dans l'hexagone ? Va-t-on enfin décider de transformer radicalement « notre modèle agricole ? Va-t-on un jour prochain contraindre Total à changer profondément sa stratégie de production d'énergie ? Non, rien de tout cela ne reçoit le début du commencement d'une inflexion. Non, c'est aux Français de faire des efforts individuels. Le tandem Macron-Béchu en est resté à ce que Aurélien Bernier avait appelé voilà quinze ans l'écologie du brossage de dents. Désespérant !</p> <p>Pire, on continue d'envoyer de mauvais signaux à de notoires responsables de la crise écologique. Ainsi, le ministre français de l'agriculture a demandé récemment aux préfets de ne pas verbaliser les agriculteurs contrevenant à l'interdiction de plusieurs pesticides décidée au niveau européen. À l'initiative des sénateurs Les Républicains, une proposition de loi, autorisant le recours à des drones pour l'épandage de pesticides, a été adoptée en première lecture le 23 mai au Sénat.</p> <p>Cette mesure est présentée comme un « choc de compétitivité pour la ferme "France" ». L'article 8 de cette proposition de loi envisage d'expérimenter durant 5 ans le recours à des drones dans le cadre d'une « agriculture de précision » sur des surfaces présentées comme « restreintes » sans pour autant que soient fixées des limites. L'Europe pers déjà vingt millions d'oiseaux chaque année. Alors, la biodiversité peut bien attendre encore son hypothétique renouveau ! La vraie raison de l'immobilisme ou de la fuite en avant est que l'on se refuse à financer sérieusement l'énorme facture de la transition écologique. Pour cela il faudrait faire payer les plus riches de nos congénères. On pourrait, par exemple, taxer de 5% à cet effet les 10% des contribuables les plus fortunés. Bruno Lemaire, ministre de l'économie gardien scrupuleux de l'orthodoxie fiscale, se refuse farouchement à augmenter les impôts tout en récitant la fable éternelle selon laquelle « la France a déjà la fiscalité la plus élevée d'Europe ». Répondons-lui que les revenus des 37 contribuables français les plus riches sont taxés à… 0,26%. Un record du monde, probablement ! Total irrespect disions-nous.</p></div>
Retour à la parole sauvage : un art subtil et radical de la guerre
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2873
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28732023-06-18T16:27:00Ztext/htmlfrMireille Pierre-Louis<p>Mireille Pierre-Louis fut la première femme guyanaise ingénieure agronome. Elle est aussi une poétesse appréciée dans la Caraïbe française, et nous propose ici une analyse du dernier ouvrage du poète et essayiste martiniquais Monchoachi. Dans Retour à la parole sauvage, celui-ci entremêle moments de poésie, analyse acérées sur la puissance de la parole et la , dans nos vies, et, dans la lignée de Frantz Fanon, des considérations sur les dominations coloniales. Comme l'écrit Mireille Pierre-Louis : « Un livre à avaler d'un seul coup vloup, comme un sèk, ou à déguster à petites gorgées, tel un feu qui vous vivifie ... »</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a>
<div class='rss_texte'><p>Retour à la parole sauvage, c'est d'abord un beau livre, une beauté épurée, presque une page blanche en guise de couverture, avec quelques très petites lettres, vertes, d'un vert sauvage, entre deux lignes, vertes, elles aussi, Retour à la parole sauvage, c'est un recueil d'essais d'une beauté profonde, plus immédiatement accessible que les poèmes de Monchoachi qui, eux, ont besoin d'obscurité pour s'épanouir, dialoguer avec l'Invisible, et dans Retour à la parole sauvage, la poésie volant la vedette à la pensée s'impose d'emblée, pure, effilée, transparente, même si le poète aurait désavoué ce mot, lui qui aime tant frayer avec l'ombre, pour in fine débusquer ce qui ne se montre pas, ne se nomme pas, ici, à la faveur d'un recueil d'essais voulu par les Editions Lundimatin, c'est encore la poésie qui apparaît, qui semble vouloir tenir la pensée en bride, Retour à la parole sauvage, c'est un retour de Monchoachi vers la prose, avec des textes inédits ou rares qui se mêlent à des textes plus connus, comme le superbe La case où se tient la lune qui, positionné à la suite du subversif Dans la glace du Temps présent, apparaît sous un jour nouveau, paré de nouveaux atours, l'agencement des textes, pour indépendants qu'ils soient, nécessite que le lecteur les lise dans l'ordre pour profiter de l'enchantement du poème, un poème c'est la rencontre d'un mot à côté d'un autre mot, là, c'est l'entremêlement des textes qui apporte à l'ouvrage cette impression de grandeur, la sélection des textes a été un travail de longue haleine, un assemblage proprement poétique, et le résultat foisonnant est étourdissant, vous me permettrez, une fois n'est pas coutume, de faire l'éloge de la pensée-poésie de Monchoachi, car, une fois n'est pas coutume, je suis sûre de l'avoir bien comprise, saisie, et là, il ne s'agit pas d'une posture, où l'on se dit "c'est beau", parce que "la grande poésie, c'est forcément beau", là, c'est beau comme une mer violette de glycérias par un temps de carême, Monchoachi écrit sans même la nommer (ou si peu) sa terre natale, son attachement indéfectible à sa terre natale où il a assuré son retour, sa terre natale qui avec l'Assimilation ("action de réduire en pâtée", nous rappelle le poète) a supporté la perversité la plus cruelle que l'Occident n'a jamais expérimentée, jamais tentée sur l'Humain et qui en fait, de ce fait, un laboratoire de la déchéance promise à l'Homme, sous le vocable de Progrès, un Progrès dont la visée ultime, mise à nue par Fanon, dans la magistrale conclusion des Damnés de la terre, est l'Homme, en finir avec l'Homme, le massacrer par tous les moyens, et à cette aune l'Humanisme, comme avatar du Progrès, imposé à la Terre entière par l'Occident, ne trouverait, en réalité, sa justification que dans le seul impératif de tenir un discours "lénifiant et enjôleur" face à la barbarie qu'instaurent les Temps-Modernes, une Modernité inaugurée avec faste par le massacre des Indiens d'Amérique, le pillage de tout un continent, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, y compris les îsles "nées d'une discorde entre l'eau et le feu » débaptisées, rebaptisées, décimées, repeuplées (et...recolonisées par le peuplement jusqu'en en plein XXIème siècle !) pour bâtir sur ces cendres rouges le Nouveau-Monde, d'où va émerger l'homme-Nouveau et son emblème la Liberté, la liberté de la chasse à l'Homme (Lèsprit-Corps) dans tous les recoins de la Terre, sous les bons auspices d'un Dieu/Science Unique, mais "Ce ne peut être que la fin du monde en avançant", prévenait déjà Rimbaud, d'où l'urgence, face à une "langue machine", abrasante et destructrice, et "le totalitarisme technologique planétaire" qu'elle induit, d'un Retour à la parole sauvage, et la Parole ce ne sont pas des mots, se payer de mots ("pawol nan bouch pa chaj"), la parole sauvage "parle dans toutes paroles, dans tous gestes et actes qui, traversant de part en part le dispositif de mainmise de l'Occident, le criblent, le taraudent, le lardent, et, le démaillant de haut en bas et de bas en haut, le met à nu ..."
Retour à la parole sauvage, une parenthèse dans l'œuvre monumentale entreprise par le poète, à travers le chantier Lémistè qui à terme, et en six volumes, embrassera tous les recoins de la Terre, pour y débusquer les richesses voilées par le regard de l'Occident et menacées par son appétit insatiable. Retour à la parole sauvage, le pendant en prose de Lémistè, une lãnmanière "petits poèmes proses" qui nous éclaire sur le rôle de la poésie comme ultime rempart à la barbarie, à une époque où l'on n'aura jamais autant désespéré de l'entreprise humaine :</p> <p>Le bélier rit, il marie sa fille.</p> <p>Le cœur d'un vautour a été cuit.</p> <p>Le devin rêve de choses lointaines :</p> <p>Si elles PAS arrivent cette année</p> <p> riveront l'année prochaine.</p> <p>Qu'ont-ils donc converti la tablette des oracles en table de calcul le réel</p> <p>en certitude En CLARTÉ ?</p> <p>(Lémistè 2)</p></div>
La sécheresse, phénomène naturel ou événement culturel ?
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2871
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28712023-06-14T16:18:00Ztext/htmlfrSaûl Karsz<p>Une des choses qu'on aime bien chez Saül Karsz, c'est son art du contre-pied créatif, qui lui permet d'aller où nous n'allons pas forcément. Ainsi de la sécheresse, phénomène naturel par essence. Peut-être, mais pas que : société, croyance, économie, politique s'en mêlent. Démonstration brillante, Karz est un élaireur</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique60" rel="directory">Environnement, Ecologie, Agriculture</a>
<div class='rss_texte'><p>Rareté des pluies, absence de réserves conséquentes, cours d'eau en voie d'assèchement accéléré contribuent sans doute à une situation de pénurie que l'été, en Europe, aux Etats-Unis, en Australie, va très probablement amplifier. La sècheresse, dernière en date des catastrophes planétaires, présente ainsi tous les signes d'un phénomène naturel, causé par de lourds facteurs écologiques et météorologiques. On sait cependant que la surexploitation domestique, commerciale et industrielle de cette ressource précieuse qu'est l'eau joue un rôle déterminant dans la pénurie actuelle. On sait également que cette pénurie n'en est pas forcément une pour toutes les classes sociales. Le manque d'eau génère des profits pharamineux, n'empêche nullement le renouvellement régulier des piscines, accroit la consommation d'eaux en bouteilles. D'après Internet, il y a sécheresse dite absolue en France au bout de 15 jours consécutifs sans pluie ; aux Etats-Unis, au bout de 21 jours et 30% de précipitations en moins ; en Australie, avec moins de 10% de la moyenne annuelle ; en Inde, avec des précipitations annuelles inférieures de 75% aux normales saisonnières. Autant de démarcations socio-culturelles à propos d'un événement qui, réputé naturel, identique partout, est cependant loin d'entrainer les mêmes effets, les mêmes dégâts, les mêmes bénéfices.</p> <p>L'appellation « phénomène naturel » a de quoi susciter quelques bémols. Ni son usage ni sa portée ne vont de soi. Idem pour le contraire, d'ailleurs. Il ne s'agit pas d'un phénomène exclusivement naturel ni uniquement socio-culturel non plus. Mais comment identifier la part de chacune de ces deux dimensions, toutes deux également incontournables ? S'agit-il de parts, de morceaux, de parcelles, en fait ? Question décisive dont dépend le diagnostic qu'on peut proposer et les éventuels palliatifs qu'on peut envisager. Au-delà de l'eau, d'autres phénomènes induisent des interrogations semblables…</p> <p>Risquons une explication à ce propos. Explication obligatoirement dialectique car, à défaut, on se laisse abuser par la recherche de la Cause Première, celle qui – complètement omni-naturelle ou radicalement omni-culturelle – serait à l'origine passablement mystique de tout, sans pour autant rien expliquer précisément.
Première ponctuation : existent bien des rythmes, des contraintes, des facilités, des phénomènes naturels. Mais la nature n'est pas la même selon les terrains, les espèces végétales et animales, ni non plus sans les ressources (notamment techniques) disponibles, les conditions d'utilisation, l'aménagement des territoires, la répartition des bénéfices et des contraintes. D'emblée, les phénomènes naturels se trouvent inclus dans des agencements socio-historiques qui tantôt les provoquent, tantôt subissent ses manifestations, tantôt pallient certains de leurs effets. C'est pourquoi l'assèchement des voies d'eau a des causes naturelles et des traitements technico-socio-politiques.</p> <p><strong> <i>La surdétermination est de mise.</i> </strong> Il faut tenir compte des figures multiples, des combinaisons contrastées. Il n'y a pas une modalité seule et unique des rapports nature-culture.</p> <p>Il n'y en a pas non plus en sens inverse. La dimension socio-historique et culturelle, si elle peut aller très loin dans ses inventions au point de faire reculer des limites imposées par la nature, bute néanmoins, inlassablement, sur de nouvelles contraintes, sur des émergences et des disparitions inespérées, sur des phénomènes naturels dont il lui faut tenir compte. Les rapports culture-nature sont permanents, surdéterminés, autant que leurs désajustements, l'impossible coïncidence de leurs logiques respectives. Comme l'écrivait l'anthropologue Claude Meillassoux, « la parturition est un phénomène naturel, l'accouchement est une réalité culturelle ». Il n'y a pas lieu de choisir l'un ou l'autre – il faut et il suffit de dire de quoi on traite précisément.</p> <p><strong> <i>C'est cette dialectique qu'il convient de diagnostiquer. Ce sont les disparités « nature et/ou culture », la prédominance relative de l'une ou de l'autre qu'il faut considérer. Ce sont ces épisodes surdéterminés qu'il faut traiter.</i> </strong> Eviter à tout prix d'isoler ces deux paramètres – non pas deux mondes mais juste deux registres – finalement inséparables.</p> <p><i> <strong>Seconde ponctuation :</p>
</h3>
<p> ce serait probablement moins équivoque de se référer, non pas aux phénomènes naturels, mais aux données naturelles. Données incontournables, indépendantes de toute construction culturelle mais, pour devenir des événements, pour installer un avant et un après, encore faut-il qu'elles s'inscrivent dans une culture, marquent une civilisation, soient apprivoisées dans une société, taraudent inégalement des individus et des collectifs selon leurs positions sociales, recours financiers, capital culturel…</p> <p>La nature existe sans la culture mais pas sans les significations et la portée que celle-ci lui accorde. La culture n'a pas besoin de la nature pour créer, inventer, imaginer, mais en dépend absolument pour asseoir ses créations et matérialiser ses inventions.</p> <p>Certes, cette dialectique est bien loin de clore le problème, les problèmes. Mais elle permet de ne pas substantialiser La Nature et La Culture, de ne pas les imaginer comme des entités compactes et sans hiatus. Quelques mythologies pourraient ainsi être dépassées.</p> <p><i>Texte paru dans Le pas de côté (<a href="http://www.pratiques-sociales.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.pratiques-sociales.org</a>)</i></p></div>
Le sexe, la viande et Sandrine Rousseau : quelques déboires du féminisme petit-bourgeois
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2844
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28442023-04-03T13:16:00Ztext/htmlfrSalomé B.<p>Le sexe, la viande et Sandrine Rousseau : quelques déboires du féminisme petit-bourgeois. Autre souvenir récent, le « buzz » créé par l'élue écolo Sandrine Rousseau, qui voulait qu'« une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ». Ce qui inspira une réponse calibrée et équilibrée de Salomé B que nous partageons et reproduisons</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique16" rel="directory">Féminismes et Genres</a>
<div class='rss_texte'><p>Il aura été difficile d'échapper au brillant débat d'idées qui secoue la rentrée. Lors d'une table ronde organisée aux universités d'été d'Europe Écologie les Verts, Sandrine Rousseau, tête de file de la branche gauchiste de son parti, déclare : « Il faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ».</p> <p>Polémique, tollé : la sentence est reprise sur les pages internet de tous les grands médias français. Julien Bayou, chef d'EELV, se fend d'une déclaration pour soutenir la députée, Clémentine Autain (LFI) renchérit sur la nécessité de s'attaquer au virilisme pour « changer les mentalités ». Sur les réseaux sociaux, le camp réactionnaire se délecte : de la droite extrême à l'extrême droite, les mots doux s'enchainent contre le spectre d'un féministe « extrémiste » et « grotesque ».</p> <p>Alors même que la rentrée sociale annonce d'ores et déjà son lot de misère et de difficulté, il est difficile de ne pas soupirer face à la superficialité de tels échanges. Encore une fois le règne du fait divers écarte du débat public la concrétude du froid et du manque qui s'apprête à toucher une population toujours plus large. Aux étudiants qui campent dans les campings municipaux faute de logement, aux familles qui ne pourront assumer le triplement de leur facture d'électricité, aux lycéens privés de professeur, l'espace médiatique n'a encore une fois rien d'autre à offrir que la diversion.</p> <p><strong>Une réelle division genrée du travail</strong></p> <p>Pourtant, Sandrine Rousseau ne fantasme pas une situation imaginaire. La réalité étudiée sous le prisme de la statistique nous montre que les femmes consomment moins de viande que les hommes et qu'elles sont plus nombreuses à faire le choix du végétarisme.</p> <p>L'analyse du partage du travail domestique pointe que si les femmes leur consacrent une partie infiniment supérieure de leur temps que les hommes, les tâches que ces derniers effectuent sont également conditionnées à des critères de sexe. Il est facile d'imaginer la signification de ces données tant elles appartiennent à l'expérience vécue : aux hommes le bricolage, aux femmes la vaisselle.</p> <p>Nous pouvons complexifier l'analyse en expliquant que le monde social ne produit pas des tâches exclusivement réservées aux femmes ou aux hommes, mais plutôt des rapports sociaux spécifiques qui divisent le travail selon le sexe. L'exemple de la cuisine est particulièrement parlant : dans un cadre familial les femmes sont beaucoup plus nombreuses à assurer les repas quotidiens, pourtant elles sont très rares dans les cuisines des restaurants étoilés.</p> <p>Les femmes exercent les tâches dévalorisées et peu reconnues dans l'espace social tandis que leurs pendants sont majoritairement pris en charge par les hommes. Ainsi, ils auront plus tendance à cuisiner dans un cadre domestique à l'occasion d'un dîner organisé ou d'une fête. Le barbecue appartient à cet univers masculin de tâches domestiques épisodiquement « effectuables ». De l'autre côté de la division genrée du travail, les femmes cuisinent les légumes, mettent la table, lavent la vaisselle, accueillent les invités, s'assurent du bon déroulé du repas.</p> <p><strong>Ne passons pas à côté du problème</strong></p> <p>Alors, Sandrine Rousseau a-t-elle raison ? Oui et non. Le fait que les hommes soient plus nombreux derrière un barbecue qu'un aspirateur est indiscutable. Mais son analyse politique passe à côté du véritable problème. Dans la droite lignée de ses récentes propositions en matière de lutte contre le patriarcat, elle se concentre sur un « imaginaire » qu'il faudrait « déviriliser ». Il s'agirait alors de déconstruire les têtes façonnées par des siècles de patriarcat, en faisant du barbecue un symbole dégenré. Le lien avec la réalité quotidienne et la pratique politique est ici bien distendu. Lorsqu'on prétend s'attaquer à des symboles et des abstractions supposées agir sur le monde, on finit rapidement par brasser du vent. Lutter pour l'émancipation totale des femmes dans l'espace domestique exige de détourner sa lance des moulins. Attaquons-nous à la place des femmes dans le monde du travail, au sein de l'emploi capitaliste, mais également au foyer. Seule une action sur la vie concrète des femmes pourra transformer leurs existences dans l'espace domestique et abolir la division genrée du travail. Il s'agit de revendiquer la fin de l'orientation subie, une plus grande mobilisation contre les discriminations et les violences au travail, une véritable égalité des salaires et la fin des emplois précaires, une lutte systématique contre toutes les formes de violences sexistes. Cette lutte est plus ardue, car elle s'ancre dans un quotidien qui souvent nous échappe. Mais c'est justement cette réalité qui la rend opérante et transformatrice. Ces combats participeront peut-être à inventer une manière de manger durable saine et festive accessible à toutes et tous. Nous pourrons alors ranger nos torchons pour nous écharper, nous aussi, autour du barbecue (« utiliser un brûleur, c'est de la triche ! »). D'ici là, espérons ne pas avoir à le ressortir pour nous réchauffer cet hiver… <i>Article publié dans Avant-Gard, journal du Mouvement des jeunes communistes ( <a href="https://www.lavantgarde.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://www.lavantgarde.fr</a>) </i></p></div>
Comment l'affaire de l'Ocean Viking révèle l'ambiguïté des « zones d'attente »
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28222022-12-25T14:29:31Ztext/htmlfrFlorian Aumond<p>L'arrivée du navire Ocean Viking, transportant 234 réfugiés, en port de Toulon n'a pas suscité, c'est peu dire, un immense enthousiasme. Dans un article de The conversation que nous reprenons ici, l'universitaire Florian Aumond y voit un exemple significatif des multiples ambiguïtés de la politique française d'accueil des réfigiés et plus généralement des migrants. De quoi réfléchir.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique26" rel="directory">Immigration, Racisme</a>
<div class='rss_texte'><p>Vendredi 11 novembre, les 234 migrantes et migrants secourus par le navire Ocean Viking ont pu rejoindre la base navale de Toulon, après trois semaines d'errance en mer. Ultime épisode du drame de la migration qui se joue en Méditerranée et dont le déroulement puis le dénouement peuvent donner lieu à plusieurs clés de lecture. Au niveau de la politique et de l'intégration européennes, le bras de fer entre Paris et Rome, rejouant le duel ayant opposé en 2018 Emmanuel Macron avec l'alors Président du Conseil des ministres italien et actuel Vice-Président Matteo Salvini, a souligné les obstacles à l'affirmation de la solidarité européenne sur la question. Au niveau de la politique interne, ensuite, l'on a vu combien la situation de l'Ocean Viking a accusé les clivages entre « humanistes » et partisans de la fermeté.</p> <p>Rappelons d'ailleurs que les propos ayant valu l'exclusion pour deux semaines du député du Rassemblement national Grégoire de Fournas ont précisément été tenus à l'occasion de l'allocution d'un député de la France insoumise dénonçant le sort réservé aux passagers du navire humanitaire. Le dernier épisode en date dans l'épopée de l'Ocean Viking est également et entre autres justiciable d'une analyse juridique.</p> <p><strong>Les limites du droit international de la mer</strong></p> <p>Pendant son errance, les difficultés à trouver un lieu de débarquement ont de nouveau souligné les limites d'un droit de la mer peinant à imposer à un État clairement défini d'ouvrir ses ports pour accueillir les rescapés. La décision de laisser les passagers de l'Ocean Viking débarquer à Toulon est également significative. Elle signe certes leur prise en charge temporaire par la France, mais n'emporte pas, du moins dans un premier temps, leur admission sur le territoire français (au sens juridique). Ce dont le ministre de l'Intérieur ne s'est d'ailleurs fait faute de souligner). Cette situation permet alors de mettre en exergue l'une des singularités de la conception juridique du territoire, notamment en ce qui concerne la situation des étrangers. Les zones d'attente en sont une claire illustration.</p> <p><strong>La « fiction juridique »</strong></p> <p>La « fiction juridique » que constituent les zones d'attente s'étend désormais entre autres aux gares ferroviaires ouvertes au trafic international, aux ports ou à proximité du lieu de débarquement (CESEDA, article L.341-1). Ces « enclaves » au sein du territoire, autour d'une centaine actuellement, peuvent par ailleurs inclure, y compris « à proximité de la gare, du port ou de l'aéroport ou à proximité du lieu de débarquement, un ou plusieurs lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier » (CESEDA, article L.341-6).</p> <p>Tel est le cas de la zone d'attente créée par le préfet du Var par le biais d'un arrêté, à la suite de l'accueil de l'Ocean Viking « pour la période du 11 novembre au 6 décembre 2022 inclus, une zone d'attente temporaire d'attente sur l'emprise de la base navale de Toulon et sur celle du Village Vacances CCAS EDF 1654, avenue des Arbanais 83400 Hyères (Giens) ». Accueillis dans ce Village Vacances dont les « prestations de type hôtelier » ne semblent aucunement correspondre à la caricature opportunément dépeinte par certains, les rescapés demeurent, juridiquement, aux frontières de la France.</p> <p><strong>Aux portes du territoire français</strong></p> <p>Ils ne se situent pas pour autant, de ce fait, dans une zone de non-droit : placés sous le contrôle des autorités françaises, ils doivent se voir garantir par elles le respect de leurs droits humains. Aux portes du territoire français, les migrantes et migrants secourus par l'Ocean Viking n'en relèvent pas moins de la « juridiction » française comme le rappelle la Cour européenne des droits de l'Homme. La France est ainsi tenue d'observer ses obligations, notamment au regard des conditions de leur maintien contraint au sein de la zone.</p> <p>Une partie des rescapés recouvreront leur liberté en étant admis à entrer juridiquement sur le territoire de la France. Tel est le cas des mineurs non accompagnés, dont il est annoncé qu'ils seront pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance.</p> <p>Tel est également le cas de ceux qui auront été autorisés à déposer une demande d'asile sur le territoire français et se seront vus, à cette fin, délivrer un visa de régularisation de huit jours. Parmi eux, la plupart (175) devraient être acheminés vers des États européens qui se seraient engagés à les accueillir, vraisemblablement afin que soient examinées leurs demandes de protection internationale. Expression d'une solidarité européenne a minima dont il faudra cependant voir cependant les suites.
Pour tous les autres enfin, ceux à qui un refus d'entrer sur le territoire français aura été notifié et qui ne seront pris en charge par aucun autre État, le ministre de l'Intérieur précise qu'ils seront contraints de quitter la zone d'attente vers une destination qui demeure cependant encore pour le moins incertaine. Ceux-là auront alors été accueillis (très) temporairement par la France mais seront considérés comme n'ayant jamais pénétré sur le territoire français.</p> <p><i>Florian Aumond est Maître de conférences en droit public, Université de Poitiers. Article paru dans theconversation.com</i></p></div>