https://www.traditionrolex.com/18 La Gauche Cactus http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/ fr SPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP) Retour à la parole sauvage : un art subtil et radical de la guerre http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2873 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2873 2023-06-18T16:27:00Z text/html fr Mireille Pierre-Louis <p>Mireille Pierre-Louis fut la première femme guyanaise ingénieure agronome. Elle est aussi une poétesse appréciée dans la Caraïbe française, et nous propose ici une analyse du dernier ouvrage du poète et essayiste martiniquais Monchoachi. Dans Retour à la parole sauvage, celui-ci entremêle moments de poésie, analyse acérées sur la puissance de la parole et la , dans nos vies, et, dans la lignée de Frantz Fanon, des considérations sur les dominations coloniales. Comme l'écrit Mireille Pierre-Louis : « Un livre à avaler d'un seul coup vloup, comme un sèk, ou à déguster à petites gorgées, tel un feu qui vous vivifie ... »</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>Retour à la parole sauvage, c'est d'abord un beau livre, une beauté épurée, presque une page blanche en guise de couverture, avec quelques très petites lettres, vertes, d'un vert sauvage, entre deux lignes, vertes, elles aussi, Retour à la parole sauvage, c'est un recueil d'essais d'une beauté profonde, plus immédiatement accessible que les poèmes de Monchoachi qui, eux, ont besoin d'obscurité pour s'épanouir, dialoguer avec l'Invisible, et dans Retour à la parole sauvage, la poésie volant la vedette à la pensée s'impose d'emblée, pure, effilée, transparente, même si le poète aurait désavoué ce mot, lui qui aime tant frayer avec l'ombre, pour in fine débusquer ce qui ne se montre pas, ne se nomme pas, ici, à la faveur d'un recueil d'essais voulu par les Editions Lundimatin, c'est encore la poésie qui apparaît, qui semble vouloir tenir la pensée en bride, Retour à la parole sauvage, c'est un retour de Monchoachi vers la prose, avec des textes inédits ou rares qui se mêlent à des textes plus connus, comme le superbe La case où se tient la lune qui, positionné à la suite du subversif Dans la glace du Temps présent, apparaît sous un jour nouveau, paré de nouveaux atours, l'agencement des textes, pour indépendants qu'ils soient, nécessite que le lecteur les lise dans l'ordre pour profiter de l'enchantement du poème, un poème c'est la rencontre d'un mot à côté d'un autre mot, là, c'est l'entremêlement des textes qui apporte à l'ouvrage cette impression de grandeur, la sélection des textes a été un travail de longue haleine, un assemblage proprement poétique, et le résultat foisonnant est étourdissant, vous me permettrez, une fois n'est pas coutume, de faire l'éloge de la pensée-poésie de Monchoachi, car, une fois n'est pas coutume, je suis sûre de l'avoir bien comprise, saisie, et là, il ne s'agit pas d'une posture, où l'on se dit "c'est beau", parce que "la grande poésie, c'est forcément beau", là, c'est beau comme une mer violette de glycérias par un temps de carême, Monchoachi écrit sans même la nommer (ou si peu) sa terre natale, son attachement indéfectible à sa terre natale où il a assuré son retour, sa terre natale qui avec l'Assimilation ("action de réduire en pâtée", nous rappelle le poète) a supporté la perversité la plus cruelle que l'Occident n'a jamais expérimentée, jamais tentée sur l'Humain et qui en fait, de ce fait, un laboratoire de la déchéance promise à l'Homme, sous le vocable de Progrès, un Progrès dont la visée ultime, mise à nue par Fanon, dans la magistrale conclusion des Damnés de la terre, est l'Homme, en finir avec l'Homme, le massacrer par tous les moyens, et à cette aune l'Humanisme, comme avatar du Progrès, imposé à la Terre entière par l'Occident, ne trouverait, en réalité, sa justification que dans le seul impératif de tenir un discours "lénifiant et enjôleur" face à la barbarie qu'instaurent les Temps-Modernes, une Modernité inaugurée avec faste par le massacre des Indiens d'Amérique, le pillage de tout un continent, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, y compris les îsles "nées d'une discorde entre l'eau et le feu » débaptisées, rebaptisées, décimées, repeuplées (et...recolonisées par le peuplement jusqu'en en plein XXIème siècle !) pour bâtir sur ces cendres rouges le Nouveau-Monde, d'où va émerger l'homme-Nouveau et son emblème la Liberté, la liberté de la chasse à l'Homme (Lèsprit-Corps) dans tous les recoins de la Terre, sous les bons auspices d'un Dieu/Science Unique, mais "Ce ne peut être que la fin du monde en avançant", prévenait déjà Rimbaud, d'où l'urgence, face à une "langue machine", abrasante et destructrice, et "le totalitarisme technologique planétaire" qu'elle induit, d'un Retour à la parole sauvage, et la Parole ce ne sont pas des mots, se payer de mots ("pawol nan bouch pa chaj"), la parole sauvage "parle dans toutes paroles, dans tous gestes et actes qui, traversant de part en part le dispositif de mainmise de l'Occident, le criblent, le taraudent, le lardent, et, le démaillant de haut en bas et de bas en haut, le met à nu ..." Retour à la parole sauvage, une parenthèse dans l'œuvre monumentale entreprise par le poète, à travers le chantier Lémistè qui à terme, et en six volumes, embrassera tous les recoins de la Terre, pour y débusquer les richesses voilées par le regard de l'Occident et menacées par son appétit insatiable. Retour à la parole sauvage, le pendant en prose de Lémistè, une lãnmanière "petits poèmes proses" qui nous éclaire sur le rôle de la poésie comme ultime rempart à la barbarie, à une époque où l'on n'aura jamais autant désespéré de l'entreprise humaine :</p> <p>Le bélier rit, il marie sa fille.</p> <p>Le cœur d'un vautour a été cuit.</p> <p>Le devin rêve de choses lointaines :</p> <p>Si elles PAS arrivent cette année</p> <p> riveront l'année prochaine.</p> <p>Qu'ont-ils donc converti la tablette des oracles en table de calcul le réel</p> <p>en certitude En CLARTÉ ?</p> <p>(Lémistè 2)</p></div> Un poème drôlatique http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2819 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2819 2022-12-25T14:07:57Z text/html fr Fernando Pessoa <p>A la Gauche Cactus, nous aimons la littérature. Notre amie Anabela Cesar, fine lettrée, a déniché une (excellente) traduction française d'un délicieux poème de Fernando Pessoa, sans doute le plus grand poète portugais du siècle dernier. A déguster !</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> Ode à la veuve http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2765 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2765 2022-05-15T16:52:00Z text/html fr Mireille Jean-Gilles <p>La Gauche Cactus aime les facéties mais aussi la littérature et la poésie. Mireille Jean-Gilles nous offre cette Ode à la veuve, qui est aussi, surtout, une ode à la vie, illustrée par l'autrice</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique72" rel="directory">Nouvelles, poèmes etc</a> « Esquisse » http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2692 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2692 2021-10-14T13:24:00Z text/html fr José Vala <p>Poète, parolier, écrivain, chanteur à l'occasion, José Vala a ciselé, avec les armes de la poésie, un poème-portrait, cruel, pétri de rage rentrée d'un être qui ressemble beaucoup à un président de la République en activité.</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique72" rel="directory">Nouvelles, poèmes etc</a> <div class='rss_texte'><p>Viralité du discours Un virilisme guindé L'intimation au détour D'une contre-vérité</p> <p>Catalepsie du regard Une âcreté pour décor Le rictus en traquenard Du souverain matador</p> <p>Épidémie sous vide Intubation des idées Monologue suicide D'une guerre mal armée</p> <p>Un pas de deux infatué L'esquive sous-entendue Un rictus férocité A la santé des reclus</p> <p>L'homélie abrasive Le geste manichéen Une main en dérive Mutile du plébéien...</p> <p>Un pas de deux ambigu L'avidité en miroir Un obscur malentendu Aux allures d'aigle noir</p> <p>Le verbe tentacule Un grincement doctoral Le sabre et la férule Tranchent l'arbre social...</p> <p>Il se murmure que l'âme De l'in-animé Pandore Suceur de sang, pyromane Brûle les yeux de l'aurore...</p></div> Lettre à Dieu http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2687 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2687 2021-09-16T20:49:00Z text/html fr Misia <p>Au Cactus, nous aimons la littérature et la musique, et nous n'avona pas résisté au plaisir de vous faire partager ce texte tout en sensibilité et en humour de la grande fadiste, et poète à ses heures, Misia, qui nous est parvenu via sa page facebook. Traduction du portugais par João Silverinho.</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>Cher Dieu, Je ne sais pas si tu te souviens de moi et d'un épisode qui s'est passé il y a très longtemps au Collège Liverpool à Porto. A treize ans, après avoir lu Pourquoi je ne suis pas chrétien (tu sais qui est l'auteur) (1), et de la façon frontale que je conserve jusqu'à aujourd'hui je fus tout droit frapper à la porte du bureau de la Mère Directrice pour l'informer personnellement qu'à ce jour je ne croyais plus en toi. Ensuite, je me débarrassai de ma collection d'images pieuses que j'aimais tant, avec leurs nuages transpercés par des faisceaux de lumière céleste.</p> <p>Interne depuis mes six ans, je demeurai plus seule partir de ce jour-là. Une solitude cosmique, sans aucune lumière au fond du couloir. Je me visualisais comme une astronaute accrochée au cordon de la capsule spatiale, avec le noir infini de l'espace comme éternel édredon. Trois ans plus tard, je lus Le mythe de Sisyphe et c'est alors que tout fut gâché entre nous. Je perçois aujourd'hui que la fonction de l'idée de Toi aurait pu être une consolation pour le vide affectif de ces années et des suivantes. Mais à cette époque je n'étais pas encore en possession de la sagesse nécessaire pour accepter que la vérité n'est pas ce qui est le plus intéressant, et que l'idée de Toi n'a pas une valeur intangible.</p> <p>Je ne savais pas que ta mort peut être un énorme vide, surtout pour une agnostique comme moi. Je suis aujourd'hui une agnostique non pratiquante. Je paie des vœux, dans l'île japonaise d'Enoshima, à BentenSan – jalouse déesse des geishas, des artistes et des joueurs – et emporte toujours avec moi un minuscule Saint Antoine (version homéopathique) qui fait tout ce que lui demande : uniquement des miracles minuscules et toujours possibles.</p> <p>De fait, je ne me remis jamais du deuil de Toi. C'est pourquoi la voix de cette lettre est encore celle de cette élève qui ne voulut pas mentir pas omission. C'est pourquoi elle est une lettre intime, seulement entre toi et moi, un petit texte sans grandeur ou ombre littéraire, sans prétentions déontologiques. Rien de Heidegger, Lévinas, Nietzsche ou Coleridege</p> <p>Cher Dieu, j'ai tant de questions à te poser ! Certaines depuis mes treize ans, d'autres depuis hier. Est-il vrai qu'après avoir créé le monde, tu es parti vite fait sans ainsi voir que tu avais fait ? Tu n'as jamais vu les tsunamis qui nous avalent, les feux qui nous saisissent, les vents qui nous fracassent contre des choses dures et les rayons qui nous fendent ? Ni les enfants en phase terminale dans les hôpitaux, qui meurent lentement, les yeux fébriles comme des lacs scintillants ? Pourquoi as-tu eu tant d'imagination pour les cellules malades et les virus mutants ? Tu ne sais rien du manque du manque de compassion de l'humanité, de la torture, des abus, de la cruauté entre nous ? De notre souffrance physique et morale ? « Heavy furniture », cher Dieu</p> <p>Mes questions te paraissent peut-être impertinemment ingénues, mais - telle Lilith - je suis restée pour toujours cristallisée dans ce stade intangiblement primaire que me provoqua et me provoque le type de lieu dans lequel tu nous a mis. Tu diras que je ne parle de que grandes catastrophes et de la barbarie la plus extrême. Que les fleurs sont belles, que les joaquinhas da horta (2) ont un design sixties, que les petits oiseaux chantent et que les enfants sourient sans raison. Oui, ce sont d'excellents arguments auxquels je suis sensible, mais ils ne suffisent pas à calmer mille doutes (certains assez quotidiens), accumulés depuis le Collège Liverpool.</p> <p>Tu es capable de regarder un documentaire du National Geographic sans te boucher les yeux quand le bébé antilope le plus fragile, dont les pattes commencent à tressaillir intensément juste quand il va être mangé ? Et la chaussée portugaise, tu ne pouvais pas faire en sorte qu'elle demeure « siii bêêêlle » mais moins létale de façon à ne pas envoyer en traumatologie les vieux atteints d'ostéoporose ? Et dès maintenant qu'on puisse marcher avec des talons sans risquer de se casser la figure ? Tu ne trouves pas qu'enlever la deuxième partie de Bambi serait une bonne opération de marketing pour ton image ? S'il te plait, Dieu, dis que oui ! Tu ne pourrais pas inventer un nom plus poétique pour Ranholas (3) ? Nous avons aussi le cas de la statue de Fernando Pessoa au Chiado (4) – lui si peu sociable – dans une exposition livrée sans défense aux touristes de Badajoz. Tu trouves qu'il méritait un truc comme ça ? Et pour Ta Sainte Santé, pourrais-tu conseiller à João Braga (5) de décider une fois pour toutes dans quel ton il veut chanter ?</p> <p>Excuse l'impertinence et la provocation de quelques questions mais comme tu le sais fort bien, tu m'as faite irrésistiblement imparfaite. Je pourrais continuer à t'importuner avec ma curiosité, mais à quoi bon demander ad aeternam ? Je ne sais pas si un jour, ni de quelle manière, tu me répondras… Ni si je souhaite encore tes réponses. C'était en fait plus facile jusqu'à mes treize ans quand tu étais à l'intérieur de moi et que je n'avais pas besoin de t'écrire. Lente génuflexion Mísia</p> <p>PS : Ah, j'oubliais ! Merci pour les pingouins, chiens saucisses, petits poissons du jardin et lupins. Pour la merveilleuse Celeste Rodrigues, Yoshitomo Nara et Mahler. Merci pour les mots « cogumelo » et « borboleta » (6) (enlevez fronha (7), please). Merci pour le miracle des cerisiers en fleur et pour les petits bateaux de papier. Ten points pour Venise ! Yess ! Remerciements sincères et éternels pour mon fantastique chat Virgula !</p> <p><i>Notes : (1) Bertrand Russel (2) Joaquinhas da horta : beignets de haricots verts ayant la forme d'un petit poisson (3) Village de la commune de Sintra. Ranho, en portugais, signifie morve (4) Artère chic et touristique du centre de Lisbonne (5) Chanteur de fado très connu (6) Champignon et papillon en français (7) Fronha : taie d'oreiller. En argot : sale gueule.</i></p></div> Moment de tendresse dans un monde de brutes http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2644 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2644 2021-06-13T20:29:00Z text/html fr <p>Un dessin touchant glané sur le net par Lenina Pereira Machadinha</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> Syntaxe et délires associés... (ou exercice de rien) http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2572 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2572 2020-12-23T02:45:00Z text/html fr José Vala <p>Poète, auteur, compositeur, musicien, José Vala se méfie des pièges de la « Sainte axe », qu'il déjoue dans ce texte sarcastique pour notre plus grand bonheur.</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>Je m'adresse aujourd'hui aux admirateurs dévoués de la syntaxe, l'académique conformiste qui, du haut de sa normalité scolaire t'explose la tête chaque fois que, distrait, tu alignes les mots dans un désordre que les bibliothécaires de la langue française qualifient dédaigneusement de capharnaüm linguistique ou délire syntaxique. Toi, ta langue, française ou autre, elle est plus vivante que jamais et elle a bien l'intention de le rester en sortant des sentiers battus avec des expressions tantôt bien léchées (et c'est peu dire quand on parle de langue) tantôt taillées à la serpe.</p> <p>Toi, tu es un charpentier de la sémantique. Avec tes gros doigts, armés de ciseaux à tailler ce bois noble dont sont faits les mots, tu les malaxes, les tritures (jusqu'à ce que ça te cause), tu les berces de tes envolées sans élan, tes descentes sans filet, tu les captures pour mieux les laisser libres de dire les images. La sainte Axe, comme disait l'autre, toi, tu t'en b… parce que l'académie des zarts et de l'être n'est pas ta tasse de thé vu que ta boisson favorite à toi est l'expresso réduit à sa plus simple expression... Et la plus simple expression, c'est ce que tu vises droit dans les yeux de ta rhétorique... Tu cherches le mot, l'indivisible mot, qui résume, à lui seul, la vie.</p> <p>Tu t'éclates, tel un décorateur de la "page blanche", à agencer les léxèmes selon ton inspiration instantanée. Tu manies le Polaroïd de ta saint Taxe... tu actionnes la poulie du saint axe, là où coulissent les maux, les mots qui marnent pour, quelquefois, prendre le non sens que tu leur donnes... Toi, ta syntaxe, c'est le désordre, c'est placer les mots devant un miroir et les forcer à aller voir de l'autre côté,... c'est leur parler à mi-voix pour déverrouiller leurs sens, prendre leurs syllabes pour leur donner le seing, les nourrir à des perceptions aussi multiples que le mouvement,... Tu les emmènes en voyage sans bouger d'un pas et, cheveux au vent, ils te décoiffent les acquis, te rendent au centuple ce que tu leurs prends.</p> <p>La syntaxe, toi, tu t'assois sur sa branche linguistique, tu lui apprends à parler ton latin à toi dans des combinaisons, tantôt sexy, tantôt brut sorties de ta distillerie où brûle, en permanence, le feu de la terminologie anarchique. La syntaxe, vue de ton hublot, c'est un ultralibéral qui, des sommets de son académie, voudrait t'obliger à passer par l'épée tous les déclamateurs dissidents de la théorie sémantique castratrice. Toi, on te donne une image et tu en fais un puzzle de mots, on te donne un mot et tu en fais une image composée par les syllabes plus ou moins onomatopéiques… de tes pensées.</p> <p>La sainte Axe, elle, est une sacrée farceuse. Elle voudrait que tu la suives pour mieux t'enrouler dans son filet de règles établies. Et tu sais ce que je pense des règles établies pour contrôler les mouvements… Ne te laisse pas prendre au jeu des règles trop bien polies pour être droites… Et si un beau parleur vient te discourir de stylistique (styly stick, ça existe aussi), de pronom explétif, de phénomènes de rection et autres termes obscurs destinés aux hyper spécialistes, érecte-toi, prends les jambes de tes mots à ton cou et éloigne-toi de ce "aie confiance" qui essaie de t'endormir la pupille perceptive de sensations verbales parce que, toi, le formalisme académique t'ennuie comme t'ont, toute ta vie, ennuyé les bacs à sables délimités par des barrières.</p> <p>La linguistique est un grand terrain vague que des sapients ont balisé de leurs principes pour délimiter ta capacité à dépasser les bornes. Or, toi, l'antirouille de ta vie est la désobéissance et transgresser l'héritage des latino-hellénistes forcenés, dieux ou pas, est un de tes jeux favoris. On s'amuse comme on peut. Tu joues avec moi ?...</p> <p><i>Note : écrit sans additifs… Toutes les images, au propre ou au figuré, sont la propriété de l'auteur des ce "torchon" propre à essuyer les fesses des idées reçues… idées reçues, oui et parfois en pleine poire, je te l'accorde.</i></p></div> Le livre n'est pas essentiel http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2564 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2564 2020-11-16T23:36:12Z text/html fr Jean-Luc Gonneau <p>Le livre n'est pas essentiel. « Ils » ne l'ont pas dit, ni écrit, mais « ils » l'ont décidé. Qui, « ils » ? Emmanuel Macron, son majordome Castex et toute leur clique. Et ils ont tort. Illustration glanée sur le net par Loulou</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>« Ils » ne l'ont pas dit, ni écrit. Mais « ils » l'ont décidé. Qui « ils » ? Vous l'avez deviné : le président Macron, son majordome Castex, bergers de leur troupeau gouvernemental. Dans lequel la ministre de la culture regrette bien sûr que les librairies soient confinées, prétend avoir plaidé pour le maintien de leur activité, mais, bien évidemment « assume », donc reste en place. Précisons qu'en langue macron, j'assume signifie : je ne fiche de ce que vous pensez. Et ajoutons que la ministre estime « d'une certaine façon » logique ces fermetures puisque, dans les librairies, « on flâne, on feuillette les livres ». Ce que bien entendu personne ne fait en parcourant les rayons des grandes surfaces : on n'y flâne pas, on ne tâte pas les fruits et légumes, on ne lit pas les notices des produits. Stop, Roselyne, avec tes arguments à deux balles. Avec vraiment mauvais esprit, un internaute se demandait si, tous les établissements culturels étant fermés, le poste de ministre de la culture ne devenait pas un emploi fictif. Mauvais esprit car il n'est pas interdit de se demander s'il ne l'est pas depuis longtemps (ah, ce Sarkozy qui aimait tant La princesse de Clèves, dont on peut douter qu'il l'ait lu ; ce Hollande qui se vanta jadis de ne pas lire de romans), tant la culture est devenue la dernière roue du carrosse de nos gouvernants, plus titillés par les power points.</p> <p>Les librairies et les bibliothèques sont donc fermées. Il semblerait donc qu'elles constituent un lieu majeur de contamination, où des foules avides se pressent en jouant des coudes, bave aux lèvres, tandis que d'autres, massés sur les trottoirs entretiennent de furieuses disputes entre partisans de Patrick Modiano et JMG Le Clézio, susceptibles, qui sait, de dériver en violences entraînant alors l'intervention de notre comme chacun sait si paisible et retenue police de « leur » république. Soyons justes et ne nous confinons pas au seul champ culturel : le même risque existe, par exemple, pour les coiffeurs, autres innocentes victimes du confinement, où les crêpages de chignons sont inhérents à la profession et où les relations haineuses entre partisans et adversaires de la laque et de la lotion sont légendaires. Ajoutons, concernant les coiffeurs, le risque politique du retour de l'idéologie 1968 avec ses cheveux longs, conséquence naturelle de la confiscation des ciseaux, et pire cauchemar de la droite, qui constitue le terreau de « leur » gouvernement.</p> <p>Mais revenons au livre. Lors d'un entretien télévisé, l'écrivain Serge Joncour, récent lauréat du prix Fémina, trouvait étonnant que le livre soit privé de diffusion alors que le rouge à lèvres ne l'était pas. Promptement, le défenseur de service de « leur » république, Patrick Cohen en l'occurrence, fit valoir que, la veille, le gouvernement, sans doute préoccupé en urgence de cette anomalie, avait ajouté les produits de maquillage à la liste des produits « non essentiels ». Presque aussi promptement, nous nous précipitâmes le lendemain dès potron minet au plus proche Monoprix, afin de constater si, un, le papier toilette demeurait essentiel (réponse oui) et, deux, si le rouge à lèvres ne l'était plus (réponse non). Dix jours plus tard, le rouge à lèvres est toujours accessible, le livre, non. Joncour 1, Cohen 0.</p> <p>Le livre pas « essentiel » ? Pas le temps ici de rouvrir le débat pour savoir si l'essence prime ou pas l'existence. Mais la phrase de Péguy, pour qui « le pain et le livre » étaient les seuls biens essentiels nous convient assez bien. Il est vrai que, du temps de Péguy, les GAFA n'existaient pas, ni leurs systèmes d'espionnage généralisé du plus intime de nos vies, ni les tablettes et autres ebooks qui, eux, ne sont pas confinés, ni l'empire Amazon, qui déversent les livres et autres produits à foison, menaçant de mort la librairie indépendante et d'autres commerces de proximité, tout en acquittant une fiscalité plus que « friendly », quelles que soient les rodomontades périodiques et jamais suivies d'effet du ministre Lemaire.</p> <p>Oui, le livre est essentiel. Comme le sont le cinéma et le spectacle vivant, qui, l'un et l'autre avaient mis au point, et appliqué, des procédures de barrière face à la pandémie approuvées par les pouvoirs publics. Il en va aussi de même, quant aux procédures, pour la restauration. Sans doute, il y eut des abus, qui doivent être sanctionnés. Toute la population doit-elle en subir la conséquence ? Cela signifierait que l'Etat serait incapable de faire respecter ses propres initiatives ?</p> <p>La justification donnée par le majordome Castex de la fermeture des commerces de proximité serait qu'il convient de limiter le baguenaudage de la population. Malgré le télétravail qui ne peut toucher qu'une petite partie des salariés, la grande majorité de celles et ceux doté.es d'un emploi se déplacent et de plus « baguenaudent » pour faire leurs courses « essentielles ». Nos écoliers, collégiens, lycéens vont et viennent entre domiciles et établissements scolaires. Beaucoup de nos plus anciens, hélas, n'ont plus l'énergie pour baguenauder davantage que l'heure qui leur est assignée, et moins encore pour se ruer au cinéma, au théâtre ou au concert. Au bas mot, c'est probablement au moins 80% de la population qui se déplace quotidiennement, appliquant en grande majorité les gestes barrières. Cela justifie-t-il un confinement aussi rigoureux ? Nous en doutons fortement. Cela est-il un avatar du « surveiller et punir » si finement analysé par Michel Foucault ? Ça en a l'air.</p> <p>A ce jour, la politique de « leur » gouvernement, a produit un bilan général peu reluisant quant à ses résultats dans la lutte contre la pandémie si on la compare aux autres nations à peu près comparables, très en dessous de la moyenne sauf pour ce qui concerne l'hôpital public, celui-là même que « leur » gouvernement (et, soyons, comme à notre habitude, impartiaux, les précédents aussi) n'a cessé d'affaiblir, et continue de le faire puisque des suppressions de lits sont en cours et d'autres programmées. Le majordome Castex a une fois de plus « tenu » à rendre hommage à ses personnels. Il oublie que toute peine mérite salaire et que ses hommages risquent fort d'être perçus par les récipiendaires comme autant de coups de pieds au séant (notez l'effort de politesse et de contention de la colère, qui, c'est bien connu, est mauvaise conseillère ; ce qui n'est pas le cas du dégoût).</p> <p>Dans le domaine de la culture, on s'approche d'une tentative d'assassinat. Nos constations depuis longtemps la dégénérescence culturelle de nos prétendues « élites » politiques. La « start up nation » lève le voile, et le spectacle est hideux.</p></div> Culture ? Encore un effort… http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2537 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2537 2020-09-17T16:58:00Z text/html fr Jean-Jacques Fouché <p>Ancien ancien directeur de maison de la culture et ex inspecteur général ministère, qu'il quitta « pour faire autre chose » : musées, création et direction du Centre de la mémoire d'Oradour, Jean-Jacques Fouché est un témoin majeur de la politique culturelle en France depuis les années 1960. Il nous propose ici une synthèse de cette période et une fine analyse des (lourdes) difficultés que traverse l'activité culturelle dans ce pays. Illustration glanée sur le net par Benoist Magnat</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>L'orateur approche de sa conclusion, la voici : « la culture doit être tôt ou tard gratuite comme l'est l'instruction. (…). Le grand combat de notre siècle a commencé (…) la culture est devenue l'autodéfense de la collectivité, la base de la création et l'héritage de la noblesse du monde. » C'était le 3 février 1968 à Grenoble, l'écrivain ministre d‘État des Affaires culturelles André Malraux prononce un discours d'inauguration de la maison de la culture. Il énonce dans son style grandiose la définition de sa politique culturelle. Trois thèmes forts manifestent la volonté de l'agir culturel : la défense de la collectivité par elle même, la possibilité de la création et un universel héritage artistique et intellectuel. Deux moyens de la culture sont cités : l'instruction et la gratuité.</p> <p> Les Universités populaires, celles du Mouvement social tel qu'il s'est exprimé de la fin du XIX° au début du XX° siècle, ont mis à portée de la population, culture et création. Avec bibliothèques et théâtres, les universités populaires ont créé des moyens d'une instruction militante destinée à des femmes et des hommes qui en étaient privés. Colette a su rendre compte (en février 1914) des qualités des propositions de l'Université populaire à Paris (Belleville) et de l'attention de son public :« C'est le meilleur théâtre de Paris, le plus riche et le plus varié. (…) Il y a des chiens savants, des jongleurs ; c'est le seul endroit où les mimes prennent la parole et où l'on voit, comme dimanche soir, des chansonniers débuter dans la pantomime« Et que parlez-vous de « troupes homogènes » ? L'interprétation de l'École des femmes rassemblait des comédiens de l'Odéon, de Fémina, de l'Athénée, autour d'une surprenante Agnès, (…). La bonne volonté ébauche, à l'Université populaire, des miracles que le public parachève. Car le « meilleur théâtre de Paris » s'emplit du « meilleur public ». Il n'y en n'a pas de plus avide de plus sensible. (…) il attend et reçoit la parole de l'orateur ou du comédien comme une chose précieuse et tangible ; certains visages tendus ont l'air, sur les bancs les plus proches de la scène, de vouloir happer un fruit. « C'est véritablement l'élite intelligente d'un peuple qui se rassemble ici, respectueuse des textes qu'on lui lit, courtois au point de se retenir, jusqu'au baisser du rideau, la toux et les applaudissements. Presque tous ceux qui viennent passer ici la soirée sacrifient quelques heures de leur sommeil. Ils portent encore sur eux, hommes et femmes, des brins de fil, des paillettes de métal fondu, de taches de vernis ou d'acide. La plupart des femmes et des jeunes filles appartiennent à la fine race de Paris, qui a des petites mains et des yeux vifs. Dimanche soir, parmi la foule qui s'écrasait dans la salle et montait le long des murs comme une eau refoulée, il n'y avait pas un seul homme qui eût « un verre de trop ». Et il faut bien que l'Université populaire soit un lieu unique, où le zèle des camarades machinistes, des camarades figurants, des camarades metteurs en scène est si contagieux qu'on pouvait, ce même dimanche, sous l'apparence un peu poudreuse d'un accessoiriste improvisé qui portait bravement une échelle, reconnaître M. Simyan, ancien ministre » (…). Les universités populaires, les maisons du peuple, les théâtres du peuple, sont à l'origine de rencontres entre le mouvement social et des artistes, des comédiens, écrivains dont la présence militante est au cœur de l'aventure culturelle.</p> <p>Malraux vient après « La Grande Guerre » ; la tueuse d'hommes qui entraine la disparition des universités populaires. Il connut l'organisation des maisons de la culture. Il a participé dans les années du Front populaire à ce nouveau mouvement militant, alors porté par le parti communiste. Écrivain engagé contre le fascisme pour la République en Espagne puis dans la Résistance, commandant d'un régiment des Forces françaises libres, admirateur fidèle du Général et « verbe » du gaullisme, devenu ministre (serviteur ?) d'État des Affaires culturelles, Malraux conçoit l'action culturelle de son administration dans la suite de ses publications sur l'art, les musées, la photographie. L'art transcende le temps et les lieux, il est « mondial » et « intemporel » ; telle sera la vocation de maisons, guidant le peuple vers la culture intemporelle et sans frontières.</p> <p>Le « ministère Malraux » proposait (1959) une politique résumée en une phrase au Journal officiel : « (…) rendre accessible les œuvres capitales de l'humanité et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience au patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ». Ce ministère, issu des Beaux Arts et séparé de l'Éducation nationale, a donné aux maisons de la culture un financement paritaire, investissement et fonctionnement, État – Collectivités locales et un statut d'association afin d'assurer la liberté de l'action culturelle. C'était, à l'époque, une avancée pour décider, financer et extraire les pratiques artistiques des milieux bourgeois et des pressions des élus. Les communistes approuvèrent, les socialistes restèrent indifférents, les « gaullistes » furent embarrassés, la droite tonna contre. Une maison de la culture Malraux – ne pas confondre avec les Maisons des jeunes et de la culture -, c'est une architecture se voulant exemplaire pour abriter des salles de spectacles, d'expositions, de réunions et de débats, des ateliers, des services pour accueillir, divertir et instruire non seulement des publics mais bien des populations dans leurs diversités. Il y eut ainsi une quinzaine de maisons de la culture dotées d'un bâtiment original . En dépit de l'aura de Malraux, son ministère n'eut pas les moyens de sa politique. Il négociait avec des collectivités locales la construction de centres d'animation (ou d'action ?) culturelle ; la nouveauté était dans une modification du partage de la charge financière du fonctionnement : un tiers État et deux tiers Collectivités locales. C'était accorder aux élus locaux ce qu'ils revendiquaient : le contrôle des programmes et de l'exécution des budgets. Cette tendance fut accentuée durant le mandat du ministre Jacques Duhamel, lui même élu local. Les « événements » de mai 68 ayant bousculés les pratiques culturelles, les élus locaux demandaient moins d'aventures et plus de certitudes.</p> <p>Le ministère Lang eut, brièvement en 1982, des moyens financiers plus importants que ses prédécesseurs. Il opta pour une politique de l'offre approuvée par les artistes et agents culturels qui en avaient besoin. Vint rapidement le temps de la rigueur et les moyens stagnèrent avant de diminuer. On entra dans une phase de « crise de la culture » provoquant des revendications. On réclama plus de moyens pour financer les productions artistiques du spectacle vivant. Un choc statutaire fut imposé aux maisons de la culture : sous l'appellation « scènes nationales » elles deviennent des Établissement public culturels des collectivités locales (EPCCL). Principal soutien financier, les Collectivités locales y exercent désormais le pouvoir ; un maire ou un autre élu préside un conseil d'administration où siègent un représentant du ministère de la culture et des « personnalités qualifiées » sélectionnées par le maire. Des institutions (théâtres nationaux, centres dramatiques, centres chorégraphiques, centres d'art, Fonds régionaux d'art contemporain, musées nationaux et classés) sont des établissements financés et contrôlés par les services de l'État, le plus souvent avec des participations de Collectivités locales. Celles-ci assurent l'essentiel des formations artistiques, écoles d'arts, de danses, de musiques qui sont contrôlées par l'administration de la culture. Les formations artistiques d'exceptions sont « nationales ». Sommets de l'édifice culturel national, Opéra de Paris, Musée du Louvre, « Beaubourg » Centre Georges Pompidou, Philharmonie de Paris sont des marques pour le tourisme et à l'export.</p> <p><strong>Siècle Vingt et un ? Grand vide ! </strong></p> <p>Nul enthousiasme ne caractérise les deux premières décennies de notre 21° siècle. Les choses de la culture s'en vont, tenues par les volontés et les compétences des acteurs et agents culturels ; l'indifférence des pouvoirs administratifs et politiques est notoire. Les élus locaux veulent chacun son festival des « arts de la rue », ou de cirque, ou de musique classique, ou de jazz ou de rock, ou de théâtre ou de n'importe quoi… Un festival fait la promotion d'une ville ou d'une région (et de ses élus). Ils se multiplient. Et ça fonctionne plus ou moins bien. Les publics des champs (des territoires) sont heureux d'avoir « enfin quelque chose chez eux ». Les publics des villes sont bien heureux de trouver quelque chose de nouveau à proximité de leurs lieux de villégiature. Les intermittents du spectacle sont contents de travailler et d'engranger contrats et services, des points pour le « chômage ». C'est la saison d'été, ça tourne ? Après la rentrée des classes, on trouve un autre rythme. Les centres d'arts, chorégraphiques, dramatiques, les Fonds régionaux d'art contemporain, les cirques et toujours les spectacles de rues ouvrent la nouvelle saison. Dans ce paysage culturel, les scènes nationales coproduisent et diffusent des spectacles (théâtres et danses) à la satisfaction de la classe moyenne cultivée / éduquée qui constitue l'essentiel de leur public.</p> <p>« C'est important la culture (pour tous) » disent les élus. C'est une image de « Notre Ville », de « Notre territoire ». « Nous, les élus, nous protégeons la culture et ses emplois ». Est-ce que le financement de l'offre constitue une politique culturelle ? Ne serait-ce pas (en l'absence de l'éducation des enfants et adolescents, de la formation des adultes, de l'instruction civique) un lambeau sur la plaie ouverte que sont les inégalités sociales ? Depuis qu'il est aux affaires en 2017, le président et ses gouvernements n'ont pas produit d'analyse de la situation culturelle telle qu'ils l'ont trouvée. Le pouvoir hésite, tergiverse sur de nombreuses questions posées par la société. L'absence de dialogue, d'écoute des associations, des élus locaux, des syndicats et une volonté d'imposer des réformes de la constitution, des retraites, du chômage, de l'enseignement et du baccalauréat, des hôpitaux, (ce n'est qu'un échantillon !), sont à l'origine de troubles, de mouvements de protestation, de violences physiques et verbales qu'aucun débat sur des cultures communes ne permet actuellement de rationaliser et de valoriser. La politique de l'offre, le soutien aux institutions et aux producteurs d'arts et de récits, est fondatrice d'un avenir. L'offre artistique et culturelle est la marque et l'essentiel d'une politique nationale, mais elle ne suffit plus.</p> <p><strong>Pourquoi est-ce que ça ne fonctionne plus ?</strong></p> <p>D'abord parce que l'Instruction (autrefois) publique, devenue Éducation nationale, reproduit les inégalités sociales, économiques et culturelles plus largement qu'elle ne les analyse, les déjoue et les combat. Le changement d'appellation, intervenu en 1932, n'a pas modifié l'organisation de l'enseignement conçue sur la modèle de l'église catholique pour s'y opposer. La « massification » (depuis les années 1980) de l'enseignement, s'il permet des sauvetages culturels, provoque déceptions et ressentiments d'élèves et étudiants qui soit abandonnent le cursus scolaire, soit ne trouve pas d'emplois en rapport avec leurs diplômes. L'enseignement n'instruit plus, et, bons résultats obligent, privilégie les enfants des familles cultivées. Disparu l'instituteur devenu professeur des écoles n'institue plus. Ce constat d'une défaillance éducative prive le discours culturel, le spectacle vivant, les œuvres artistiques, de leur socle égalitaire. L'accès à l'art par l'école pourrait-il remplir l'espace social déserté ? N'est-ce pas une illusion ?</p> <p>Les inégalités culturelles, économiques et sociales brisent les familles, les groupes et les classes. Les inégalités se sont aggravées depuis les années soixante entre des populations qui n'ont plus de vies communes selon l'emploi, le chômage, l'habitat, les transports, les loisirs… Une partie majoritaire de ces populations se sait exclue. Elle reçoit peu et ne bénéficie pas (ou mal ?) des services éducatifs. Elle ne participe pas (ou ne participe plus, voir l'abstention aux élections) à la gestion des collectivités. Ces populations ont-elles la possibilité matérielle de s'intéresser aux propositions des scènes nationales ou des centres dramatiques ? Sans la transmission, et la réception, des clés et des codes de compréhension des œuvres proposées, une majorité de la population est de fait exclue. L'exclusion domine toutes les tentatives de politiques de régulation culturelle ; elle créé ce que Francis Jeanson a nommé le « non public » .</p> <p>La culture a changé. Depuis les années soixante du XX° siècle, le monde scientifique a beaucoup et rapidement évolué. De l'astronomie aux mathématiques des savoirs nouveaux apparaissent. Les apports des sciences humaines et sociales ont modifié les définitions de la culture. L'anthropologie, l'archéologie, l'ethnologie, la linguistique, la muséologie, la psychanalyse… devenues disciplines universitaires ont poursuivis recherches et formulations dans la continuité des voies ouvertes par l'histoire, la philosophie, la sociologie ... Les tableaux du Titien, de Véronèse, de Cézanne, de Picasso… restaurés conservent une identité en dépit des restaurations. Mais le regard des spectateurs n'est plus celui de l'époque de leur production. La langue évolue, et cette évolution modifie la lecture des auteurs classiques (Corneille, Molière, Racine...). L'étude et l'interprétation des textes provoquent de nouvelles compréhensions souvent en contradiction avec la tradition . La culture est un chantier permanent. « Attention travaux », une situation nouvelle que les équipements « scènes nationales » n'ont pas les moyens (intellectuels ?) d'aborder. Ces équipements à vocation culturelle sont confinés (mot devenu commun !) dans une conception obsolète de l'action culturelle. Il faudrait qu'y soit imaginé du « nouveau », est-ce possible compte tenu de leur statut ?</p> <p>Ce n'est pas le premier souci du pouvoir dans sa configuration issue des élections de 2017. Le ministère de la culture a tenté d'agir sur la demande culturelle de la population jeune par une dotation incitant à la consommation de produits culturels. Ayant oublié le formatage des pratiques culturelles des adolescents et post ados, cette initiative imbécile (soit sans soutien critique) ne pouvait qu'échouer. L'imagination n'est pas au pouvoir et ceux qui lui parlent à l'oreille sont propriétaires de théâtres ou animateurs de radios et télévisions. Le président gouverne et se met en scène dans de « Grands débats » avec des élus locaux, des intellectuels ; il croit pouvoir s'adresser directement au peuple des artistes mais, accumulant des maladresses, ne fait qu'aggraver incompréhensions et rejets.</p> <p>Une réflexion collective qui permettrait de dégager une nouvelle pensée de la culture, de son organisation, de l'avenir de ses pratiques est de nouveau nécessaire. Elle est théoriquement possible et, de fait, impossible. D'abord parce qu'elle n'est pas pensable (imaginable ?) par ceux qui exercent des responsabilités artistiques et politiques. La discussion d'un tel projet susciterait des oppositions de forces qui souvent se contrarient : élus locaux, agents culturels et (parfois ?) artistes déplorant les insuffisances des politiques culturelles… Mais au moins un débat serait engagé. Alors que certains appellent à l'insoumission et d'autres à l'insurrection, voilà qu'en début d'année 2020 surgissait un malin virus !</p> <p><strong>2020 : Un effondrement ? </strong></p> <p>Un virus s'est faufilé parmi nous jusqu'à envahir l'espace d'une humanité en constants déplacements. Une pandémie virale venue d'un « Orient compliqué » provoque un grand embarras. Une déferlante de nuisances sanitaires, économiques, sociales, obstrue actuellement l'avenir des politiques artistiques et culturelles. Depuis le printemps, à l'été 2020, c'est le marasme dans la Culture. La pandémie a sauté à la figure des acteurs et agents de la vie culturelle. Les programmes de fin de saison, les salles de spectacles, d'expositions, de cinémas, les productions tout s'est éteint, tout a fermé « Coupez ! Les lumières ». Il n'y a plus rien à voir sans une distanciation physique (ou sociale ?) masquée ! Les projets sont tombés en cascades, les emplois se sont envolés, une énorme vague de disparitions. Une perspective de chômage, d'absence de recettes, un manque de revenus, le fric fuit. On ferme ! La « fermeture sanitaire » a des conséquences terribles pour les artistes, les auteurs, les chanteurs, les comédiens, les danseurs, musiciens, techniciens, constructeurs, régisseurs, machinistes ; les intermittents du spectacle (les contrats à temps partiels et à durées déterminées) n'ont plus d'employeurs ; avec quelles ressources vivre ?</p> <p>La « Grande fermeture » actuelle et factuelle aura une fin un jour indéterminé, c'est probable. On espère. Mais la reprise comment sera t'elle ? Si on pouvait éviter d'ajouter le gâchis au marasme ? Rien, entre les discours, les silences et les hésitations du pouvoir, comment imaginer l'année 2021, et après ? Une universitaire « économiste de la culture » propose de maintenir les équipements en état de marche et le soutien de l'offre culturelle . L'illusion peut durer quelques temps avant naufrage. Sans œuvres nouvelles, sans images ni récits, il sera difficile d'imaginer un avenir ; comment se faufiler vers des publics. Il faudrait retrouver les peuples, inventer, aujourd'hui - comme hier avec les universités populaires ou les maisons de la culture ? - une forme nouvelle et un état de la société où artistes et publics s'organiseraient en associations ou syndicats ; une situation (en même temps ?) où administrations et élus, qui leur donnent (parfois) commandes et moyens, aient le souci des artistes et des populations ; qu'ils les regardent et les écoutent.</p> <p>Une politique (artistique, culturelle, pédagogique) ne peut être imposée aux artistes producteurs d'images et de récits par un pouvoir (administratif, politique, religieux). C'est la fonction des institutions culturelles (universités populaires, maisons de la culture, associations) de prendre en charge la formation, la médiation, l'instruction non seulement des publics éduqués (lecteurs de presse et de livres, accédants aux lycées et universités, aux spectacles, concerts, expositions, films etc.) et plus particulièrement du « non public » indifférent aux images et aux récits hors ou lointains de la vie quotidienne matérielle. Les artistes peuvent trouver (c'est à eux de le faire pas aux élus politiques ou aux administrations de l'imposer), les formes nécessaires pour s'adresser, susciter l'attention et l'intérêt pour leurs œuvres. Ce n'est pas pour eux une obligation. Et dans ce processus d'attentions et d'écoutes, de dialogues et de pensées, d'échanges de récits, les institutions culturelles peuvent jouer un rôle en commandant, produisant et diffusant des œuvres, en organisant des rencontres entre des œuvres et des populations. Il faut faire confiance aux artistes et aux publics. C'est un rôle civique et d'action culturelle. L'accueil des récits et des images, l'attention aux autres et le civisme, sont aux fondements de la vie collective démocratique et de la préservation des « biens communs ».</p> <p><strong>Le plus grand manque aujourd'hui ? Une utopie ?</strong></p> <p>Il existe un maillage d'équipements et de lieux culturels gérés par l'État et les Collectivités locales. Ils sont adaptés aux pratiques culturelles de la partie cultivée de la population. Elle en constitue le public ; celui où la transmission culturelle se fait naturellement par le milieu et les relations familiales. Il manque des lieux ouverts, appropriables (aménageables ?) par la population, des espaces de rencontres, d‘apprentissages, de débats et de casse - croûte, d'attentions et d'écoutes, un lieu de travaux poétiques, d'écritures et de lectures, de danses et de musiques, d'images et de récits. Un espace pour les enfants, ils y seraient en sécurité au milieu d'images écoutant des récits. S'y donneraient à entendre, à voir, à sentir et à penser la réalité des humains, des langues et des nourritures du monde. À quoi un tel lieu pourrait-il ressembler ?</p> <p>Peut être à un « rond point » qui indique différentes directions, où il est possible de stationner, de s'asseoir et se restaurer, de souffler et de parler, de penser à soi, à d'autres. Peut être à une maison de la culture ? Sorte de rond point avec des équipements scéniques, d'expositions, de projections. On a voulu définir les maisons de la culture comme des « cathédrales » de notre temps ? On craindra le trop plein de respect, de recueillement et de silence, l'acceptation sans critique d'un sacré culturel. Hors il ya besoin d'un marché, de débats et de critiques. Alors, peut être – pourquoi pas ? - une basilique ? Un bâtiment assez vaste et neutre pour être un marché, lieu d'échanges divers et multiples où des productions d'œuvres de l'esprit et le commerce des arts seraient imaginables. La référence romaine d'un lieu où règne un esprit (un concept du monde ?) ; un lieu où tout serait envisageable, espaces et volumes adaptables, équipés pour des accueils les plus divers. Lieu d'utopies à inventer ? Un objet architectural qui ne soit pas figé en monument un jour classé et protégé, un abri où se ressent et se vérifie le provisoire, le modifiable ? S'y manifesteraient des « précurseurs » (poètes et artistes) qui devancent, décrivent, annoncent et proposent une vision du monde par et avec des images et des récits.</p> <p>Comment définir l'activité, le fonctionnement, à quoi servirait un tel lieu ? On ne le définira pas a priori, il serait à imaginer par ses promoteurs, usagers et utilisateurs y compris occasionnels. Pour engager un « questionnement », quelques lignes déjà anciennes (début des années soixante) à propos de l'art : « Ce qui serait à maintenir, ce n'est pas la tradition, mais la souvenance. Ce qui est décisif, ce n'est pas l'avant garde mais l'avant coureur. Ce qui se révèle important, ce n'est pas le progressisme mais l'annonciation. Ce qui devient essentiel, ce n'est pas l'homme moderne mais le précurseur » . Ce texte d'un philosophe grec du XX° siècle, daté des années soixante, comporte une vision de la position et de l'activité de l'artiste, du poète et du chercheur dans le monde. Ils sont considérés comme des « avant coureurs » (ceux qui précèdent un avènement ou un événement) ; des « annonceurs » et des « précurseurs ».</p> <p>Il arrive, et nous le vivons actuellement, que l'annonce soit désagréable. C'est les cas avec, pire que la pandémie virale du Covid19, la crise climatique dont sont responsables des pratiques humaines. Ces pratiques mortifères (épuisement des ressources, des eaux et des terres, industrialisation des activités économiques - de l'agriculture au tourisme) sont des composantes culturelles. Ni les migrations, ni les famines, ni la pauvreté, ni l'errance d'enfants mortellement errants… ne sont des phénomènes naturels. Dans ce qui reste notre monde, il y a besoin d'avant coureurs, de précurseurs ayant, par des images et des récits, une capacité d'annonciation.</p></div> Perspectives IX : « Garantie économique générale et production culturelle » http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2536 http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2536 2020-09-17T16:52:00Z text/html fr Frédéric Lordon <p>Quelles conséquences une garantie économique générale pour la population, évoquée par Frédéric Lordon, dans son blog La Pompe à phynances (le Monde Diplomatique), dont nous avons repris tous les épisodes sur notre site peuvent-elles entraîner pour la culture ? Que du bien, nous démontre le fringant économiste et philosophe</p> - <a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique36" rel="directory">Culture</a> <div class='rss_texte'><p>Il y a dans le capitalisme contemporain deux manières de dépendre matériellement, donc de connaître l'angoisse de l'incertitude : la dépendance directe au marché et à l'emploi ; la dépendance à l'administration subventionnaire de l'État néolibéral. La première concerne les petits entrepreneurs et les salariés, la seconde les mondes de la production culturelle (on pourrait y ajouter tout le milieu associatif). Si cette dernière forme de dépendance transite par l'État, il ne faut pas s'y tromper : par sa médiation interposée, c'est bien la logique économique néolibérale qui continue de produire ses effets. La recette fiscale à laquelle est adossée la subvention est indexée sur l'activité économique privée — donc sur la plus ou moins bonne tenue globale du « march ». Quant à la dépense elle-même, elle est sous la pression constante du discours hégémonique qui confond tout à dessein (« il faut réduire la dette publique » = « il faut réduire la dépense publique »), et de la surveillance par les marchés financiers (les créanciers de la dette publique) qui lui emboîtent le pas.</p> <p>Sans être directement branchés sur le marché et l'emploi, les bénéficiaires de la subvention d'État n'en connaissent donc pas moins l'incertitude et l'angoisse. La dépense culturelle, ce « supplément d'âme », entendre : fondamentalement « inutile », est constamment menacée, et vient tout en haut de la liste des candidats à la réduction en cas de crise fiscale : tout le monde a compris que celle du Covid s'annonce sanglante. Les producteurs culturels, quoique ne relevant pas immédiatement du système marché-emploi, n'en sont pas moins bien placés pour savoir que la précarité générale instituée par le néolibéralisme les concerne au premier chef. Eux aussi, comme les salariés, vont pouvoir se faire un sang d'encre car, fut-ce par la médiation de l'État de subvention, ils sont plongés comme les autres dans la grande instabilité du « marché » et soumis à son aléa de principe. Eux aussi, en ce moment, se tordent les doigts et se ravagent avec la question -la même que celle des salariés : « qu'est-ce qu'on va devenir ? » C'est cette logique de l'angoisse que la garantie économique générale vise à détruire. Découpler activité et moyens matériels d'existence, puisque c'est là le cœur de la proposition dite du « salaire à vie » de Friot, supprimer toute conséquence matérielle personnelle de la production individuelle, alias de la proposition privée, ne fait pas que soulager des incertitudes de la survie, dont les données sont définitivement stabilisées, mais libère des possibilités d'activité inédites.</p> <p><strong>Dépendance matérielle et créativité distordue</strong></p> <p>Constitués de tout petits bataillons, souvent d'un tel nombrilisme sociologique qu'ils en ignorent les gros (ceux du salariat, notamment ouvrier) et croient être les seuls à compter vraiment sur la scène sociale, les mondes de la production culturelle n'en offrent pas moins un accès aux enjeux centraux du salaire à vie, quoique celui-ci n'ait pas d'abord été pensé pour eux. Car, avec ses particularités, leur cas aide à cerner d'encore plus près le lieu du poison capitaliste : qui est dans l'accrochage des moyens de la survie individuelle à la validation sociale des propositions privées, à partir du moment où cette validation sociale prend la forme monétaire — et ceci que l'argent vienne du marché, de l'emploi ou de l'État capitaliste. Le propre du capitalisme, c'est de donner à la validation sociale la forme monétaire et, réciproquement, d'avoir fait de la forme monétaire le mode majoritaire de la validation sociale. Le capitalisme convertit la validation sociale en moyens matériels d'existence, et fait passer les moyens matériels d'existence par la validation sociale. Vous ne survivrez que si votre activité parvient à se convertir en argent, voilà le nomos du marché capitaliste. Et voilà le lieu d'origine de la précarité instituée.</p> <p>Cet accrochage de la survie à la validation monétaire a pour nom la concurrence. Le poison capitaliste, c'est de confondre l'émulation et la concurrence. L'émulation, jusqu'à la rivalité, est une passion humaine qu'on n'éradiquera pas par décret. Elle a ses bonnes propriétés, elle a ses pollutions. La concurrence, c'est l'émulation mais branchée sur des enjeux de survie matérielle. Donc sur des enjeux de survie tout court. Contrairement à ce que répand le discours libéral depuis des décennies, la concurrence, ainsi redéfinie, ne fait pas s'activer les gens « pour le meilleur » : elle les fait s'activer sauvagement — comme s'activent les humains lorsque leur survie est en jeu. La violence de l'enjeu pénètre aussitôt le comportement, se convertit aussitôt en violence du comportement. Ramenés par la concurrence à des enjeux vitaux, les agents s'activent en effet, luttent même, mais ils luttent comme des sauvages [1]. Leur obsession n'est pas de faire les choses bien, elle est de les faire valider – c'est-à-dire convertir en argent.</p> <p>De là par conséquent que, prêts à tout puisqu'il s'agit de survivre, ils sont notamment prêts à répondre à toutes les injonctions institutionnelles dont leur reproduction matérielle est dépendante en tant qu'elle est accrochée à la validation sociale, matérialisée en argent (subventions, droits d'auteur). En « littérature », par exemple, certains producteurs prennent directement, et ouvertement, le parti des marchés de masse, et par là s'assurent de la validation de l'institution éditoriale — dans le circuit des « best-sellers ». D'autres, peut-être pires, cultivent par habitus une distinction très ajustée à la « demande », productions qui se donnent les attributs de la-littérature, prennent des postures « critiques », voire « transgressives », mais sans jamais rien transgresser, ni rien déplacer, donc avec la certitude de se ménager un lectorat significatif, sans doute pas celui des marchés de masse, ostensiblement dédaignés, mais de la bourgeoisie lectrice, qui veut bien se donner le frisson de « la pensée non conforme » mais jusqu'à un certain point seulement, parfaitement identifié par les producteurs « ajustés », et ceci d'ailleurs - c'est là toute la puissance du concept bourdieusien d'habitus - sans que cet ajustement soit nécessairement le fruit d'une stratégie délibérée ou d'un calcul explicite. Combinant en apparence des injonctions contradictoires - porter le fer mais pas trop -, bref se donnant l'air de, ces positionnements sont par-là eux aussi assurés de conserver la validation de l'institution éditoriale, comme l'atteste d'ailleurs leur franche installation dans le système des prix littéraires, un indicateur très fiable de qui dérange quelque chose et qui ne dérange rien (bien sûr, il y a toujours des ratés, des distinctions qui vont à qui, normalement, n'aurait pas dû les avoir).</p> <p>Et puis il y a les autres producteurs, écrivains, artistes, qui aspirent à une production affranchie des canons de l'admissible, c'est-à-dire du comestible, par l'ordre social en ses institutions. Mais qui n'en ont pas moins à survivre matériellement, et doivent, souvent la mort dans l'âme, passer des compromis avec les institutions — parce que, comme toujours, à la fin il faut bien croûter. Eux sont les premier menacés par l'étranglement financier qui menace de suivre la crise économique. D'une manière générale, la pénurie déchaîne les luttes concurrentielles pour les ressources rares, et intensifie tous les effets de normalisation puisque, situées du « côté court », les institutions ont la main comme jamais, en tout cas sur leurs obligés.</p> <p><strong>Décrocher la reproduction matérielle de la validation sociale</strong></p> <p>La garantie économique générale ne fait alors pas que relever les producteurs culturels, comme tous les autres producteurs, de l'angoisse des lendemains : elle supprime toutes les distorsions qui tiennent aux enjeux vitaux de la reproduction matérielle, c'est-à-dire aux impératifs de la validation sociale dans les institutions privées-marchandes (édition) ou publiques-subventionnaires, et par-là rendent les producteurs culturels à leur nécessité créatrice. Elle a aussi pour effet de faire en partie exploser le personnage social du « créateur »/« auteur »/« artiste », qui n'existe comme tel que par l'onction de telle ou telle institution ad hoc, par l'insertion des individus dans leurs circuits, le succès répété à décrocher de la subvention, la présence identifiée dans les réseaux, etc. Par le découplage radical de l'activité et des moyens de l'existence matérielle qu'opère le « salaire à vie », n'importe qui retrouve, ou plutôt trouve tout court, la possibilité de formuler une proposition privée à caractère de création : formuler une proposition artistique ne requiert plus d'avoir préalablement acquis les attributs sociaux et institutionnels de l'« artiste ».</p> <p>À l'évidence, toute « contrainte » de validation sociale n'en est pas abolie. Sauf à écrire des poèmes pour ses tiroirs, une proposition privée, par son caractère même de « proposition », fait ipso facto le choix de s'exposer à l'épreuve de la réception publique. Mais ce qui change radicalement, dans le système de la garantie économique générale, est que le verdict de cette épreuve n'est plus d'aucune conséquence quant à la survie matérielle du proposant. Il y aura donc toujours des échecs de la réception, c'est-à-dire de la validation sociale – mais sans conséquence monétaire –, échecs soit du fait de la médiocrité de la proposition, soit du fait de son étrangeté, de sa nouveauté, et de son trop grand pouvoir de déconcertation, c'est-à-dire de son décalage en avance de la sensibilité contemporaine. Bref il y aura toujours des champs artistiques et leurs verdicts sociaux, mais rien de tout ça ne pourra plus condamner celui ou celle qui échoue, spécialement dans le second cas, à renoncer pour des raisons matérielles. Le fonctionnement social de ces univers que Bourdieu appelait des champs est déjà en soi suffisamment violent – avec tous ses effets d'orthodoxie, de réseaux, de faveurs, de sélectivités, parfois bien placées (en effet Marc Lévy n'est pas de la littérature), souvent mal (tel prix Goncourt n'en est pas davantage) — pour que cette violence ne se convertisse pas aussitôt en sanction matérielle.</p> <p>Contrairement au mythe, somme toute très capitaliste, de l'artiste maudit, ou plutôt de l'artiste dans la misère, dont la figure a été réenchantée comme « bohème », qui encourage celui qui ne veut pas subordonner sa création à la sanction monétaire du marché des œuvres à accepter la misère, à faire même de sa misère un élément constitutif, et pourquoi pas exaltant, de sa « vie d'artiste » (en gros : merci de nous débarrasser les circuits marchands avec vos trucs dont personne ne veut, mais persévérez bien néanmoins, et soyez assurés de notre considération dans la mouise), contrairement à ce mythe, donc, il y a beaucoup à douter que la précarité ait la moindre propriété avantageuse sur la créativité. Elle est une chienne (porca miseria, disent les Italiens) qui tourmente sans cesse, et détourne l'esprit de ce qu'il aurait de mieux à faire. Comme on sait, les transfigurations libérales ont fait de la précarité un « sain aiguillon », la « petite » stimulation sans laquelle nous nous laisserions tant aller (à l'oisiveté). Or c'est faux : la précarité agresse, dans le pire des cas voue les agressés à devenir des agresseurs à leur tour si leurs intérêts fondamentaux sont en jeu, dans le meilleur ne fait rien faire de bon. La créativité, à l'exact contraire du récit libéral de la « mise en tension », prospère bien davantage du temps libéré et de la tranquillité d'esprit.</p> <p>Un cas de destruction par « l'aiguillon de la concurrence » : la recherche</p> <p>Il est un univers de la production culturelle (étendue) où la chose est spécialement visible — et d'autant plus que ses conditions sont en train d'être en ce moment méthodiquement détruites —, c'est la recherche. Le CNRS en France a longtemps été une réalisation, sans doute approximative mais néanmoins exemplaire, du « salaire à vie » et de ses vertus : des individus, certes sélectionnés, mais payés quasiment sans contrepartie, à faire pour ainsi dire ce qu'ils veulent. Mais précisément, ce qu'ils veulent, ici, c'est faire de la recherche ! Alors, ils la font, sans compter leur temps, et au mieux de ce qu'ils peuvent, pour cette éternelle simple raison que c'est leur désir. Et dans ces conditions, la recherche est excellente. Mais que des gens soient ainsi laissés à très peu de contrainte, pas loin de leur libre-vouloir et, pire encore, hors-marché, c'est insupportable au néolibéralisme. Aussi, là où il n'y avait que peu de contrainte, le néomanagement appliqué à la recherche a-t-il décidé d'en mettre toujours plus, notamment des contraintes de surveillance (reporting) et d'évaluation. Mais, bien plus désastreusement, des contraintes de fragilisation générale des positions : par la concurrence. Concurrence pour les ressources nécessaires à la recherche (crédits d'équipement), concurrence pour l'accès aux postes statutaires. La déstabilisation n'est-elle pas une merveilleuse stimulation ?</p> <p>Eh bien non, elle est le pire des corrosifs. Sous son action toxique, les agents commencent à se battre — et les externalités positives d'une activité fondamentalement coopérative sont détruites. Mais surtout, ils cèdent à l'affolement dès lors que leurs conditions matérielles d'existence sont directement menacées, et commencent à chercher, dans la panique, à identifier les stratégies institutionnelles gagnantes. Le mimétisme, c'est-à-dire le conformisme, est malheureusement la seule solution rationnelle à ce problème. Malheureusement, en effet, car la créativité de la recherche n'y survit pas quand chacun ne cherche plus… qu'à se rallier aux courants dominants, rationnellement interprétés comme ceux qui bénéficient de la meilleure validation institutionnelle, donc des meilleures chances de salut matériel. L'innovation scientifique et intellectuelle suppose de faire ce qui ne se fait pas encore ; or tout le monde est déterminé par le nouvel agencement institutionnel concurrentiel à faire comme tout le monde ; fin de l'histoire. L'ethos de la science périt à coup sûr, et il périt même deux fois, d'abord d'être saisi par le conformisme, ensuite d'être saisi par un conformisme méchant, comme il est de règle quand tout le monde est porté à cran.</p> <p><strong>Le « risque » comme mensonge idéologique et comme fléau matériel</strong></p> <p>Décidément, il faut retourner tous les énoncés libéraux : la vraie prise de risque, ou disons la prise de risque pertinente (relativement à ce qu'il s'agit de faire), ici donc la prise de risque intellectuelle, suppose d'être relevé de tous les autres risques, en tout cas du risque matériel. Mais, de même que le capitalisme confond tous les désirs, et prend le désir marchand pour le désir tout court, de même confond-il toutes les sortes de risques, et rabat-il toutes les prises de risque sur la seule déstabilisation matérielle, malheureusement rédhibitoire à toutes les autres aventures. Si l'on veut jouer gros sur un certain front, le front de la création par exemple, il est préférable d'être un peu tranquille sur les autres. Bien sûr, et l'histoire l'atteste, on pourra toujours trouver des individus d'exception qui ont triomphé de tous les obstacles cumulés. Mais ces attestations ne font que reconduire le mythe capitaliste du « créateur qui a fait son choix » (celui de la misère) et, plus caractéristique encore, celui de l'individu héroïque. Plus encore, elles laissent dans l'ombre tout ce que les collectivités ont perdu d'avancées de toutes sortes du fait que ceux qui auraient pu les accomplir n'étaient pas complètement à la hauteur de cet héroïsme — mettre la création culturelle ou intellectuelle sous condition d'héroïsme est bien la plus libérale, et la plus débile des idées.</p> <p>La saine vertu du risque est peut-être le plus mensonger de tous les articles de l'idéologie libérale. On en a l'indice, pour ne pas dire la preuve, à ceci qu'aucun de ceux qui en tiennent le discours n'a jamais connu la précarité. Les zélateurs du risque se reconnaissent à ce qu'ils n'ont jamais connu de conséquences personnelles à leurs échecs, parfois colossaux (par exemple toute la trajectoire professionnelle d'Alain Minc n'est qu'un gigantesque champ de ruines, il va très bien merci), et à ce qu'ils sont cuirassés de leur fortune personnelle, de leurs réseaux sociaux, et de leur certitude du recasage, ils sont les apologistes du risque pour les autres. Chacun peut connaître l'envie de prendre des risques, de s'exposer à des risques, traverser un océan à la voile ou un désert à pied, produire une œuvre dont la vérité sera insupportable à ses contemporains, mais de son propre chef, et non contre son gré, sous la commande d'un donneur d'ordre. Les vrais noms du « risque » capitaliste, c'est-à-dire du risque-pour-autrui, sont la misère et la précarité. Ce risque-là n'a aucune vertu. Il tourmente, épuise, et n'incite qu'au mauvais, du simple conformisme jusqu'à la violence concurrentielle.</p> <p>En relever tous est le fond de la proposition communiste, non selon une « simple » exigence morale, mais sous la visée d'une augmentation des puissances individuelles et collectives si l'angoisse de survie est bien plus un frein qu'un moteur à l'accomplissement. Ici la garantie économique générale appliquée aux producteurs culturels trouve naturellement sa place dans l'idée d'un communisme luxueux. Elle libère de la peur et restitue à chacun la possibilité de s'adonner, voire, s'il le souhaite, de proposer : écriture, peinture, sculpture, musique, dessin, photo ou vidéo, tout ce qu'on veut... Il faut affirmer qu'une société qui s'organise pour permettre à ses membres de produire davantage de cela et moins de téléphones racés est une société meilleure. Et qu'ouvrages et œuvres ne sont jamais si réussis qu'accomplis selon un désir libre et tranquille : relevé des inquiétudes de la survie et tourné vers la vie. <i>Article paru dans le blog de Frédéric Lordon* La pompe à phynance dans Les blogs du « Diplo »</i></p> <p><i>[1] Un anthropologue critique noterait ici, et à raison, le pli de pensée passablement désastreux qui s'est trouvé inscrit dans une habitude de langage — « comme des sauvages ». Car, précisément, les sociétés sauvages, au sens de l'anthropologie, se distinguent des nôtres en cela que, si elles connaissent la rivalité, mais codifiée dans des règles symboliques très strictes, elles ignorent la concurrence qui jette les individus les uns contre les autres dans le plus grand désordre.</i></p></div> https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18