La Gauche Cactus
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frSPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP)Aides publiques et dividendes : les hypocrisies de l'Etat actionnaire
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article26292021-05-06T15:53:00Ztext/htmlfrOlivier Patitjean<p>A partir des cas d'EDF et de Thalès dans leurs politiques de distribution de dividendes, Olivier Petitjean montre comment l'Etat reprend d'une main ce qu'elle à donné de l'autre.</p>
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<div class='rss_texte'><p>Ce jeudi 6 mai 2021, EDF et Thales tiennent leurs assemblées générales annuelles. Ces assemblées devraient valider le versement de 653 et 384 millions d'euros de dividendes respectivement. Soit plus d'un milliard d'euros au total, dont une grande partie ira abonder... le trésor public. Ces deux groupes ont en effet le même actionnaire principal : l'État. Toutes deux ont reçu force aides publiques dans le cadre de la crise sanitaire. Thales - dont une partie de l'activité est liée au secteur aéronautique, fortement affecté par la pandémie - a bénéficié de la baisse des impôts de production, du chômage partiel, du plan de relance aérien, et des achats d'obligations de la Banque centrale européenne. EDF a également eu recours au chômage partiel, et a en outre bénéficé de l'enveloppe de 20 milliards d'euros confiée à l'Agence des participations de l'État pour protéger les firmes jugées « stratégiques ».</p> <p>Dividendes massifs en temps de crise sanitaire avec la bénédiction de l'État</p> <p>Certains diront qu'en touchant sa part de dividendes de Thales et EDF, l'État ne fait en un sens que reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre. En réalité, l'enjeu est ailleurs : en autorisant ces dividendes, le gouvernement acte publiquement et officiellement qu'il estime normal que des entreprises reversent chaque année la quasi totalité de leurs profits (ou plus) aux actionnaires, même en période de pandémie et de crise économique, et même lorsque lesdites entreprises ont bénéficié d'importantes aides publiques. Il y a un an, au printemps 2020, la ministre du Travail Muriel Pénicaud avait indiqué que l'État français demanderait « aux entreprises dont il est actionnaire de ne pas verser de dividendes par solidarité ». Cette « demande » a été très inégalement respectée, comme nous l'avions montré dans le premier rapport Allô Bercy ? d'octobre 2020 : l'instruction a été relativement suivie par les firmes dans lesquelles l'État détient une participation directe, comme Engie, mais beaucoup moins par celles détenues indirectement, via Bpifrance ou la Caisse des dépôts.</p> <p>Cette année, le gouvernement ne prend même plus la peine de demander un geste symbolique. Engie veut verser un dividende de 1,28 milliard d'euros en dépit de sa perte de 1,5 milliard en 2020 du fait de la crise. Orange va encore plus loin en proposant 2,4 milliards à ses actionnaires. Et ainsi de suite. Le gouvernement ne s'embarrasse pas trop non plus de conditions en matière d'emploi. Plusieurs groupes dont l'État est actionnaire ont engagé d'importants plans de suppressions d'emploi, alors même qu'ils figurent parmi les plus aidés par la puissance publique au cours de l'année écoulée. Renault, Airbus et Safran ont à elles trois supprimé 30 000 emplois en 2020, avec d'autres à suivre.</p> <p><strong>EDF et Thales, deux cas d'école</strong></p> <p>Thales illustre les impasses qui résultent de la passivité délibérée de l'État. Le groupe prévoit donc de verser 384 millions d'euros à ses actionnaires (principalement l'État et le groupe Dassault), soit 80% de ses bénéfices sur l'année 2020, bénéfices qu'il doit pourtant en partie au moins aux différentes aides financières apportées par les pouvoirs publics. Sans parler de l'aide indirecte que constitue le refus gouvernemental de mettre en oeuvre des politiques ambitieuses pour réduire le recours à l'avion et son impact climatique (comme celles proposées par la Convention citoyenne pour le climat). Dans le même temps, Thales a perdu 2,5% de son effectif en un an, et a annoncé un nouveau plan de suppression de 1000 emplois en France.</p> <p>Hors de l'indice CAC40, EDF reprend donc lui aussi ce printemps la distribution de dividendes (partiellement annulés l'année passée) avec 650 millions redistribués à ses actionnaires. C'est l'équivalent de la totalité des bénéfices générés par l'entreprise en 2020. 84% de ces 650 millions iront directement dans les poches de l'État. Un étrange tour de passe-passe alors que ce même État veut, à travers le « plan Hercule », franchir une nouvelle étape dans le démantèlement et la privatisation du groupe d'électricité en arguant du fait qu'EDF n'a pas assez d'argent pour faire face à ses besoins en investissement ! Comme si, en plus de contribuer à la sacralisation des dividendes, le gouvernement cherchait délibérément à priver les firmes dont il est l'actionnaire des ressources nécessaires pour affronter l'avenir.
Paru dans <a href="https://multinationales.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://multinationales.org</a>, le site de l'Observatoire des multinationales</p></div>
SCHUMPETER : DESTRUCTION CREATRICE OU CREATION DESTRUCTRICE
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article25032020-06-09T01:31:00Ztext/htmlfrJacques-Robert Simon<p>Jacques-Robert Simon montre en quoi Joseph Schumpeter, l'un des économistes préférés du patronat (mais qui n'était pas aussi libéral que ça) s'est planté</p>
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<div class='rss_texte'><p>Joseph Schumpeter (1883-1950) définit la destruction créatrice comme étant un « processus de mutation industrielle (…) qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ». On pourrait tout autant postuler que les éléments neufs conduisent à l'obsolescence des plus anciens, ce que l'on pourrait alors nommer une création destructrice. Il peut ainsi expliquer les cycles économiques (reprise, expansion, surchauffe, récession) comme étant le fruit des découvertes les plus importantes faites dans les domaines technique ou scientifique (la machine à vapeur, les chemins de fer…). À un moment du cycle, les entreprises « dépassées » doivent disparaître ce qui provoque une destruction d'emplois.</p> <p>Un exemple plus précis permet de se rendre compte si la création précède ou suit le processus destructif. Edwin Land (1909-1991), fils d'un ferrailleur, est né à Bridgeport de parents juifs d'Europe centrale. Il fréquente l'école Libre de Norwich puis étudie la chimie à l'Université d'Harvard. Il met au point après un film permettant de polariser la lumière, ce qui le conduit en 1932 à fonder une société, Poland Corp., rebaptisée Polaroid en 1937. Les lunettes de soleil firent usage de ce film. En 1947, il présente à une société savante un appareil photographique capable de produire une épreuve définitive en moins d'une minute. Le procédé, initialement monochrome, fut adapté à la couleur en 1963. Le dispositif est composé de trois doubles couches d'émulsion constituées par des grains d'halogénure d'argent et de colorants les rendant sensibles aux trois couleurs élémentaires. Les halogénures d'argent sont décomposés sous l'action de la lumière en halogènes et argent métal. Il y a ainsi formation d'argent colloïdal dans les zones éclairées. Le développement, après impression du film, commence lorsqu'on tire sur une languette. Un réactif alcalin est alors libéré qui déclenche le développement qui augmente l'étendue des îlots de cristaux d'argent métallique. En 1974, la société Polaroid estime à un milliard le nombre de photos réalisées avec l'appareil instantané et elle commence à concurrencer Kodak qui détient le marché des photographies classiques.</p> <p>Les appareils photographiques numériques fonctionnent d'une façon entièrement différente, la lumière est recueillie par un capteur électronique plutôt que par une pellicule sensible chimiquement. En 1975, un ingénieur travaillant chez Kodak, met au point le premier appareil photographique électronique. Sony, Nikon et Canon, en plus de Kodak, commercialiseront des appareils entre 1981 et 1990. En 1994, Apple sort le premier appareil photographique grand public couleur. À partir de 1994-1996 apparaissent des appareils photo numériques équipés d'un écran couleur à cristaux liquides. Le premier appareil numérique compact pour le grand public apparut en 1995. Les difficultés dues à la percée de la photographie numérique conduisent la firme Polaroid à se restructurer en 2001. La fabrication des appareils à développement instantané cesse en 2007.</p> <p>Les téléphones mobiles dont le capteur permet de prendre des photos numériques de haute résolution apparaissent vers 2010 concurrençant directement les appareils photographiques numériques. En 2017, Polaroid Corporation est racheté par l'un des actionnaires de l'Impossible Project, qui devient Polaroid Originals. Les techniques utilisées dans cette saga sont multiples : chimie et photochimie des sels d'argent, physico-chimie des colorants et des pigments, physique des cristaux liquides, cellules photo-électriques, informatique… À ce stade, les choses sont claires, une découverte scientifique, ou plus modestement une innovation technique, conduit à une réorganisation économique pour s'adapter à une nouvelle donne. Le ‘progrès' peut être discuté mais une certaine utilité sociale est indubitable et est d'ailleurs régulée par son acceptation par les consommateurs. Il semble donc bien que le terme qui convienne est bien ‘création destructrice'.</p> <p>Les cas sont plus suspicieux lorsque, plutôt que de nouveaux produits, ce sont de nouveaux marchés, de nouvelles méthodes de production ou de nouvelles façons de commercialisation qui sont mises en avant pour expliquer un phénomène de destruction créatrice. Uber développe ainsi des applications pour mobiles pour mettre en contact des utilisateurs et des conducteurs afin de réaliser des activités de transport. Uber fait l'objet de nombreuses polémiques car l'entreprise organise une activité commerciale régulière comme s'il s'agissait d'une activité occasionnelle. La notion de libre concurrence, derrière laquelle elle se réfugie, se heurte à des accusations de concurrence déloyale et de travail dissimulé. Airbnb est une plateforme communautaire payante de location et de réservation de logements de particuliers. La plateforme ‘emploie' une multitude de personnes comme ‘non salariés' ou ‘indépendants'. Cette façon de faire pose problème quant au droit du travail en faisant apparaître une zone grise entre travailleur salarié et travailleur indépendant. Amazon est une entreprise de commerce électronique ; elle est accusée de profiter de sa position dominante pour indiquer comme « non disponibles » des ouvrages dont l'éditeur s'est refusé à lui consentir la distribution.</p> <p>Les ‘nouvelles' entreprises, par un modèle de marketing para-légal, ont déplacé le centre de création de valeur, et transformé les salariés en auto-entrepreneurs, ce qui revient à transférer les risques de l'employeur au travailleur. Les notions de découvertes, d'innovations, de créations sont pour le moins diffuses pour ce qui les concerne et la notion de destruction créative sert plus leurs intérêts que la description d'une réalité.</p> <p>Les ‘innovations' commerciales n'ont rien de commun avec, par exemple, l'invention par T. Newkomen de la machine à vapeur auxquels se référent cependant les tenants de la destruction créative. La machine à vapeur permit maints progrès, les nouveautés commerciales, lourdement financées par des investisseurs, ne relèvent pas d'une même logique. Dans leur cas, il s'agit de détruire un tissu social et économique existant pour mettre à la place non pas quelque chose de plus satisfaisant, mais pour asseoir une domination. La destruction créatrice est appelée à la rescousse pour conquérir une société en diminuant considérablement les droits sociaux des travailleurs les plus modestes en leur promettant un futur radieux qu'ils n'auront jamais. Asservir un peu plus les misérables et libérer les nantis de toute contrainte peut être associé à un changement, pas à un progrès. La notion de destruction créatrice sert à abriter des desseins guerriers derrière des termes empruntés à un économiste brillant qui avait prédit que le capitalisme était voué à disparaître pour des raisons sociales et politiques.</p></div>
PUBLIC-PRIVÉ : LE NÉCESSAIRE ET LE SUPERFLU
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article24572020-03-16T01:05:00Ztext/htmlfrJacques-Robert Simon<p>EDF ou LVMH ? That is the question</p>
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<div class='rss_texte'><p>Les entreprises publiques, qui ont d'autres missions que les entreprises privées, sont-elles moins performantes que ces dernières ? EDF a été créé le 8 avril 1946 par le Général de Gaulle par la loi sur ‘la nationalisation de l'électricité et du gaz' présentée par le communiste Marcel Paul, alors ministre de la Production industrielle. La loi fut adoptée par 491 voix pour (PC, SFIO, MRP, Radicaux, UDSR*) et 59 contre (Parti républicain de la liberté, Républicains indépendants et divers droites). Les détenteurs de titres des 362 sociétés d'électricité qui existaient antérieurement ¬ soit de l'ordre de 1,5 million d'individus ¬ furent indemnisés en recevant des obligations. EDF va alors mettre en œuvre les moyens nécessaires à l'indépendance énergétique de la France, dans un premier temps par les centrales thermiques et les barrages hydroélectriques, puis, sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981), par la construction de centrales nucléaires. La commission pour la Production d'Électricité d'Origine Nucléaire avait été en charge dès les années 1960 d'évaluer la faisabilité de la filière nucléaire. EDF, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), devient une société anonyme (SA) en 2004. Il compte environ 70 000 salariés. Le 21 novembre 2005, l'entreprise introduit 15 % de son capital à la Bourse de Paris. Le cours de l'action EDF a connu de fortes fluctuations : après avoir flambée en 2007, elle est retombée au-dessous de son cours d'introduction en 2009 et y est depuis restée la plupart du temps. De nos jours, EDF est le premier producteur et le premier fournisseur d'électricité en Europe. Son chiffre d'affaire est de 70 milliards d'euros. Il était aussi le premier au niveau mondial en termes de puissance installée, avant la récente fusion des deux principaux producteurs chinois. EDF réalise environ 50% de son chiffre d'affaires hors de France mais n'exporte que 10% de sa production électrique. Le capital d'EDF est détenu à plus de 80 % par l'État, 10% par des institutions (dont 8% étrangères) et un peu moins de 2 % par les salariés de l'entreprise. L'endettement d'EDF est d'environ 34 milliards d'euros soit un peu moins de 50% du chiffre d'affaires du groupe (73 milliards). La notation de Moody's sur la santé financière des six plus grands électriciens européens place cependant EDF parmi les groupes les plus solides. Les agents EDF gagnent en moyenne 8% de plus que dans les groupes équivalents. Les agents bénéficient de "primes pour événements familiaux" (mariage ou équivalent) : un mois de salaire pour l'indemnité d'union, un mois et demi de salaire pour la naissance du premier enfant et un mois pour les naissances suivantes. Les agents travaillent environ 5% de moins que dans les autres entreprises du secteur électrique et gazier, soit de l'ordre de 32h par semaine. Les accords sur la durée du temps de travail sont discutés avec l'ensemble des syndicats représentatifs dont la CGT est le plus important. L'examen des rémunérations fait l'objet régulièrement de rapports de la Cour des comptes. Un conseil composé de 11 administrateurs détermine les orientations d'EDF. Il est présidé par Jean-Bernard Levy, Polytechnicien. Les autres sont centraliens, énarques, inspecteurs des mines, polytechniciens, normaliens… Jean-Bernard Lévy a touché une rémunération globale de 452 868 € en 2016. Bernard Arnault, lui même polytechnicien, fut le propriétaire de Férinel, à qui le gouvernement socialiste confia, en 1984, Boussac. Il achète rapidement Guerlain et l'horloger suisse TAG Heuer. Moët Hennessy et Louis Vuitton avaient annoncé dès 1987 la création de LVMH, par union de leurs groupes respectifs indépendamment de M. Arnault. Le nouveau groupe contient aussi les Parfums Christian Dior qui intéresse ce dernier. Jouant sur les divergences entre les deux fondateurs, Bernard Arnault présente une offre à Alain Chevalier patron de Moët Hennessy qui refuse. Il s'associe alors avec Henry Récamier patron de Louis Vuitton. Bernard Arnault se sépare par la suite des deux fondateurs de LVMH. Après maintes péripéties juridiques, Bernard Arnault devient officiellement le patron de LVMH en 1990. LVMH devint un leader mondial du luxe (vins, mode, parfums, montres, hôtellerie…) réalisant 50 milliards d'euros de ventes (un peu moins qu'EDF) avec un réseau international de près de 5 000 magasins. Le groupe compte plus de 140 000 employés. L'endettement net du groupe a dépassé la barre les sept milliards d'euros en 2017. Bernard Arnault affirme que le groupe paye plus d'un milliard d'euros sur les sociétés en France même si il détient maintes filiales dans des paradis fiscaux. Le temps de travail au sein du groupe est négociable mais il est en moyenne de 38 heures. Il existe un système de primes d'intéressement, de treizième mois, de plan épargne entreprise… Une complémentaire retraite est proposée qui est partiellement prise en charge par l'entreprise. Le conseil d'administration de LVMH est composé de Bernard Arnault, président-directeur général (École polytechnique), Pierre Godé, vice-président (Docteur en droit), Antonio Belloni, directeur général délégué (Université de Pavie), Antoine Arnault, fils de Bernard Arnault (HEC), Delphine Arnault, fille de Bernard Arnault (l'EDHEC Business School), Nicolas Bazire (ENA)… Le Comité exécutif est également présidé par Bernard Arnault avec une rémunération d'environ 7 000 000 €, 15 fois celle du PDG d'EDF. Les principaux actionnaires sont Christian Dior SE 40%, Arnault (famille) 6%, BNP Paribas Asset Management France 3%, Capital Research & Management (World Investors) 2%,The Vanguard Group 1,5%, Amundi Asset Management 1%... Les ventes de LVMH se font à 10% en France, 20% en Europe (hors France), le reste s'effectuant en Asie et aux Etats-Unis. Il est maintenant possible de cerner ce qu'est le nécessaire, ce qu'est le superflu ! EDF existe depuis maintenant près de trois quarts de siècle. L'entreprise est de type socialo-marxiste selon les propres dires de M. Arnault. Pourtant c'est elle qui a le plus souffert de mesures purement idéologiques pour se conformer aux directives sur la modernisation et au développement du service public de l'électricité par une succession de lois édictées entre 1999 et 2011. La concurrence libre et non faussée régulée par le marché devait se substituer à sa mission de service public. Les dirigeants d'EDF ont des formations techniques d'ingénieurs adaptées pour conduire une entreprise qui se donne pour but de fournir à tous une ressource irremplaçable, l'énergie électrique (l'électricité représente un quart de la consommation totale d'énergie). Le président d'EDF est nommé par le gouvernement en place ce qui introduit un coin idéologique au sein même de l'entreprise. Les problèmes qui se posent à l'entreprise ne devraient pas avoir grand-chose à voir avec les tumultes politiques omniprésents dans les médias, ce qui n'est pas le cas. Si EDF s'adresse à tous sans aucune distinction, ce n'est pas le cas du luxe. Le luxe contribue tout au contraire à traiter les consommateurs en confortant leur statut social : l'apport d'image d'un article de marque doit symboliquement hausser le consommateur au delà de sa condition sociale. L'onéreux, l'exclusif, le raffiné, le rare, l'ostentatoire permettent de séparer une certaine élite du commun des mortels. Bien entendu, le luxe c'est aussi la certitude d'une qualité irréprochable, la mise en valeur de l'artisanat, le maintien des traditions. LVMH est en charge de donner le sentiment de pouvoir posséder un produit unique, que les autres n'auront jamais, fait sur mesure, d'une beauté inégalable. Le luxe ne souhaite pas gommer les inégalités, il en vit. Il ne s'adresse qu'aux minorités fortunées du monde entier en rêvant de donner le la sur la planète entière. Le ‘haut de gamme' prend le relais du luxe pour les moins bien nantis qui aiment cependant manifester leur appartenance à des happy few. Les produits de série découlant du secteur luxe permettent aux plus modestes de rêver. Si on voit mal ce que ferait une entreprise comme LVMH dans le secteur public, on a la même difficulté à penser qu'EDF puisse survivre dans le secteur privé, l'une se préoccupe du nécessaire pour tous, l'autre du superflu pour quelques uns. Les préoccupations sont différentes, les cahiers des charges n'ont rien à voir, les obligations morales sont parfaitement disjointes. Inclure plutôt qu'exclure, c'est ce qui sépare le nécessaire du superflu, impérativement, sans compromis possible. Que se passe-t-il si les entreprises du nécessaire rejoignent le giron des entreprises du superflu ? Alors le nécessaire devient lui aussi très inégalitairement réparti. En témoigne les quelques 300 000 personnes privées de logement en France, les entreprises multinationales pharmaceutiques qui consacrent plus de dépenses au marketing qu'à la recherche et développement, la dévastation du domaine agricole au profit du profit, une technologie indispensable à toute transition écologique qui se perd dans les hors-la-loi du marché, la vérité même qui se perd dans les vraisemblables, les ‘on dit ‘, les ‘il paraît que'
… <i>* UDSR : Union démocratique et socialiste de la Résistance</i></p></div>
NOUS POURRIONS « SOCIALISER » LE SECTEUR FINANCIER
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2428
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article24282020-01-04T01:20:00Ztext/htmlfrGrace Blakeley<p>Nouvelle figure de proue de la gauche du Parti travailliste britannique, Grace Blakeley nous explique que Nous pourrions « socialiser » le système financier. Une réflexion que la gauche française serait bien inspirée de prendre en compte.</p>
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<div class='rss_texte'><p><strong>Daniel Koop : Votre nouveau livre, « Stolen » (Volé), porte le sous-titre « Comment sauver le monde de la financiarisation ». Commençons donc par une question simple : pourquoi la financiarisation est-elle d'abord et avant tout un problème ? </strong></p> <p>Grace Blakeley : La définition la plus connue de la financiarisation est la croissance des incitations financières, des marchés financiers, des acteurs financiers et des institutions financières dans le fonctionnement des économies nationales et internationales. Et c'est un processus qui peut être analysé à travers différents objectifs. J'analyse cela comme une logique qui gouverne l'accumulation économique : un régime de croissance. Je soutiens que l'extension de la logique de la finance - la logique de la création de crédit, de la banque, de l'investissement et de la gestion de l'argent - vers d'autres secteurs de l'économie a transformé l'activité économique, en particulier au Royaume-Uni.</p> <p><strong>Vous parlez de croissance guidée par les finances. L'opposé de cela serait la croissance dans l'économie réelle ?</strong></p> <p>Oui, la croissance du secteur financier pourrait également être considérée par opposition à la croissance de l'économie réelle. Mais mon approche est différente et a beaucoup plus à voir avec la pensée marxiste, qui considère la croissance du capitalisme financier comme le résultat du développement naturel du capitalisme. Dans le livre, j'examine la financiarisation du logement, des affaires et de l'État. Et vu sous cet angle, les problèmes structurels deviennent assez clairs. La financiarisation des entreprises conduit à la domination de l'idéologie de la valeur actionnariale (1) et de la gouvernance d'entreprise, qui est imposée par ceux qui gèrent l'argent. Ces grands investisseurs institutionnels ont désormais un rôle plus important qu'auparavant dans l'économie. Et ils imposent cette façon très particulière d'organiser les entreprises : les intérêts des actionnaires et des créanciers passent avant ceux des travailleurs. A commencer par la distribution des fonds à court terme aux actionnaires qui a passe avant les investissements à long terme en capital fixe.</p> <p>A travers des processus tels que les fusions et les acquisitions, les entreprises génèrent un pouvoir de monopole qui aggrave le problème des faibles niveaux d'investissement. Parce que les profits extraordinaires générés par les monopoles proviennent du contrôle et de la réduction des investissements. Et cela donne à ces entreprises un pouvoir énorme à la fois dans l'économie locale et internationale. Qu'il s'agisse d'États, de salariés ou d'autres secteurs du marché. Et souvent, ils contractent des dettes importantes, ce qui les rend relativement instables. L'augmentation gigantesque de la dette des entreprises au Royaume-Uni et aux États-Unis est le résultat direct de ce modèle et de la tendance à emprunter. N'investissez pas, mais demandez des prêts afin de faire grimper le cours des actions.</p> <p><strong>Et les ménages ?</strong></p> <p>J'analyse cela à travers le focus du keynésianisme privatisé. Fondamentalement, il s'agit de remplacer la dette publique par la dette privée. La question soulevée par la croissance guidée par la finance est que la tendance à la baisse de la croissance des salaires et des investissements dans ce modèle de croissance guidée par la finance pourrait conduire à un déficit de la demande globale. La manière dont le système est stabilisé passe par le keynésianisme privatisé. Ainsi, au lieu de lutter contre ce déficit de demande par les dépenses publiques, il existe une prolifération de la dette privée. C'est donc une dette privée non garantie qui remplace généralement la croissance des salaires pour permettre aux consommateurs d'acheter des marchandises.</p> <p><strong>Ensuite, il y a la financiarisation de l'État. Que voulez-vous dire par là ?</strong></p> <p>Oui, nous n'avons plus un État qui pense à l'endettement public comme il le faisait au plus fort du keynésianisme, c'est-à-dire à contraindre les marchés financiers par le contrôle du crédit et des changes. Et nous n'avons plus un État qui envisage une réglementation financière adéquate. La domination croissante de la finance conduit à la financiarisation de l'État, sous forme d'initiatives de financement privé. C'est l'État qui dit aux investisseurs privés : dépenser en mon nom. Enfin, nous avons, la décision économique est de plus en plus séparée de l'obligation démocratique de rendre des comptes, ce qui facilite son appropriation par les élites financières. À tous ces différents niveaux, vous pouvez voir comment l'augmentation de la financiarisation conduit à ces énormes et significatifs problèmes. Qu'il s'agisse de la baisse des salaires ou de la baisse des investissements ou de l'observation de la dynamique qui a conduit à la crise financière.</p> <p><strong>Comment l'austérité s'intègre-t-elle dans votre analyse ? Et diriez-vous, en comparant le secteur financier en 2008 et celui d'aujourd'hui, qu'il y a une grande différence ?</strong></p> <p>La façon dont je comprends ce modèle de croissance guidé par la finance, il ne s'agit pas simplement d'un ensemble de réglementations. En réalité, il est basé sur un changement dans l'équilibre des pouvoirs entre les différentes classes. J'analyse la longue histoire du capitalisme à travers l'optique de l'équilibre des pouvoirs entre le travail et le capital. De ce point de vue, l'émergence de la social-démocratie repose sur la croissance du pouvoir du travail organisé. Le déclin de ce modèle est du à l'érosion de nombreuses institutions, à cause du pouvoir croissant du capital financier, qui soutenaient le consensus d'après-guerre. Et l'émergence d'une croissance tirée par la finance dans les années 80 est liée au développement des marchés financiers, à l'augmentation de la mobilité des capitaux et aux difficultés liées au maintien de la paix entre le travail et le capital au niveau des États. Tout cela a déplacé l'équilibre du pouvoir du travail vers le capital. Et, en particulier, vers le capital financier international.</p> <p>Quand on parle d'austérité, il y a une classe spéciale qui devient dominante au sein de l'État et au sein d'un groupe d'autres institutions. Ces personnes réagissent à la crise financière de 2008, provoquée par le modèle de croissance guidé par les finances, en obligeant les gens ordinaires à supporter les coûts et à secourir les banques. L'impact que cela a sur l'économie est largement négatif pour la grande majorité des travailleurs. Pendant ce temps, ceux qui sont au sommet sont en sécurité.</p> <p><strong>A partir de 2008, nous avons vu les banques centrales injecter de l'argent par le biais de l'assouplissement quantitatif dans l'économie juste pour la maintenir à flot, au lieu que les gouvernements utilisent l'investissement public. Quelle est votre opinion à ce sujet ? </strong></p> <p>Le problème est en partie du à l'assouplissement quantitatif lui-même, mais plus profondément avec le manque de demande qui existe dans toutes ces différentes économies. Un autre rebus de la financiarisation. C'est lié à la baisse des salaires, à la baisse des niveaux d'investissement dans le capital fixe, au surendettement massif qui implique qu'une grande partie des bénéfices doit être utilisée pour payer la dette. Ceci, combiné au refus des gouvernements de dépenser, crée cette situation chronique de faible demande. Les banques centrales tentent de le contrer en gonflant les prix des actifs. Elles ne disent jamais que c'est ce qu'elles font, mais c'est évident que c'est ce à quoi l'assouplissement quantitatif a abouti. Cela exacerbe bon nombre des problèmes qui nous ont conduits à la situation actuelle. Étant donné la position de la Banque Centrale Européenne, nous ne verrons peut-être jamais la fin de l'assouplissement quantitatif. Ce qui a de grandes implications redistributives dont personne ne parle vraiment.</p> <p><strong>Supposons maintenant que nous puissions remonter dans le temps et revenir au consensus d'après-guerre pour relancer la social-démocratie, régluler à nouveau les banques, etc. Cela ne suffirait-il pas ?</strong></p> <p>Je crois que le consensus social-démocrate, en particulier au Royaume-Uni, était une tentative de réduire au silence les contradictions et les conflits entre ces deux classes. Ce fut fait avec beaucoup de succès presque pendant toute cette période. La raison pour laquelle l'engagement est resté stable pendant si longtemps était un taux de croissance relativement élevé et une productivité élevée. Nous avons continué d'être impérialiste pendant une grande partie de cette époque, qui a ensuite été suivie d'une forme de mondialisation qui, à bien des égards, reproduit des types de logique similaires. Cela signifie qu'il y avait davantage à distribuer. Lorsqu'il n'y a plus à distribuer, le jeu à somme nulle auquel nous sommes confrontés en temps de crise est caché. Il y a toujours un jeu à somme nulle en cours, et ce n'est qu'entre le Nord et le Sud. Mais dans le Nord mondial, en raison de la logique de l'impérialisme et de l'extraction, c'est facile de créer suffisamment pour apaiser les travailleurs et le capital avec un modèle dans lequel l'État intervient et dit : vous prenez ceci, vous prenez cela.</p> <p><strong>Est-ce une illusion de progrès national car il n'est pas inséré dans un contexte mondial ?</strong></p> <p>Oui, exactement. Avec la crise des années 1970, il y avait une concurrence croissante avec le reste du monde et une érosion des profits dans le Nord mondial. Le premier changement majeur s'est produit avec le premier pic du prix du pétrole. Et évidemment, une inflation élevée signifie pour les employeurs dirent qu'ils doivent réduire les coûts ; Et les salariés qu'ils ont besoin d'augmentations salariales en raison de l'inflation. Ensuite, on voit que le conflit de classe, qui est inhérent à l'un de ces systèmes, émerge et se révèle.</p> <p>La tentative de cacher cela ne fonctionnera que dans un contexte d'abondance. À bien des égards, la croissance guidée par la finance reposait sur une tentative similaire ; excepté qu'au lieu d'avoir un État faisant la médiation entre le capital et le travail, il s'agit de convertir plus de gens en capitalistes. Le conflit inhérent qui existe au sein du capitalisme, entre le capital et le travail, rend la social-démocratie très difficile, en particulier en période de pénurie comme celle que nous vivons.</p> <p><strong>Je veux vous poser une deuxième question relative au sous-titre de votre livre. Si, comme vous le décrivez, la financiarisation est un problème si important, comment pouvons-nous en sauver le monde ? Quel devrait être l'agenda des progressistes ?</strong></p> <p>Je pense que c'est probablement le point où mon analyse diverge de certaines des perspectives les plus sociale-démocrates. J'entends souvent dire qu'en tant que progressistes, nous gagnons la bataille des idées. Les gens reconnaissent qu'il est nécessaire de bien réguler les finances. C'est très bien de parler de la bataille des idées, mais il faut aussi parler de la bataille des rues. Je crois que beaucoup dans la gauche social-démocrate font ce que Marx a critiqué des autres philosophes allemands, qui ont privilégié les idées sur la réalité matérielle. Cela génère un ensemble de problèmes, car nous finissons par répertorier les problèmes et proposons simplement des solutions. Car par exemple, le problème est l'idéologie de la valeur actionnariale, qui conduit à court terme, à de faibles niveaux d'investissement et à de bas salaires. Alors, que devons-nous faire ? Modifier les lois sur la responsabilité fiduciaire des investisseurs institutionnels, afin qu'ils donnent la priorité aux objectifs environnementaux et sociaux, en plus de maximiser leurs rendements.</p> <p>Bien sûr, c'est une bonne idée, mais qui va le faire ? Où est la coalition de classe qui peut y parvenir ? Il y a une raison pour laquelle le système financier et la réglementation qui l'entoure fonctionnent comme ils le font. Parce qu'il y a une classe de gens qui possèdent toutes choses et qui font toutes les règles. Et c'est très important de comprendre le capitalisme non seulement comme un système économique de propriété, mais aussi comme un système politique.</p> <p><strong>Alors, au lieu de la social-démocratie, voulez-vous passer au socialisme démocratique ? Et quelles idées concrètes cela impliquerait-il ?</strong></p> <p>Oui, l'évolution vers le socialisme démocratique comme alternative idéologique au néolibéralisme nécessite un changement dans l'équilibre des forces de classe. Et l'émergence et le développement d'un mouvement capable de défendre et d'imposer ces idées. Nous pourrions socialiser le secteur financier en ayant une banque publique d'investissement nationale, un système public de banques de détail et une administration des actifs des citoyens, qui serait une administration des actifs sous contrôle et propriété démocratiques, qui investit notre épargne collective : par exemple, les actifs d'un fonds souverain pour la santé ou de fonds de pension. Et ajouter des mécanismes pour limiter le pouvoir du secteur financier privé : contrôles des changes, contrôles du crédit et autres formes de régulation macroprudentielle. Parallèlement aux mesures pour renforcer le pouvoir des salariés : éliminer les lois antisyndicales, dé-mercantiliser les moyens de subsistance. En bref, nous devons créer une société dans laquelle tout ce dont nous avons besoin pour survivre est gratuit ou très bon marché lors de son utilisation.</p> <p><i> (1) La notion de création de valeur pour les actionnaires vise à calculer la création de valeur dégagée par l'entreprise au profit de ses actionnaires. Cette valeur se mesure comme la différence entre le résultat d'exploitation après impôts et le coût de financement de l'actif net. Elle rapproche ainsi le cash-flow du coût du capital investi pour le générer et valorise le différentiel dégagé, lequel traduit précisément la vraie richesse créée pour les actionnaires. La création de valeur pour les actionnaires est un indicateur de performance pertinent qui favorise la transparence entre les marchés financiers et la gestion interne des entreprises.</i></p> <p><i>Titre original : « We could socialise the financial sector » (entretien avec Daniel Koop pour Ips-Journal). Traduit et publié par Estelle et Carlos Debiasi pour El Correo de la Diaspora (<a href="http://www.elcorreo.eu.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.elcorreo.eu.org</a>). Grace Blakeley est une auteur et analyste britannique, membre du Parti travailliste </i></p></div>
DES CHIFFRES …
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article22082017-10-19T01:41:22Ztext/htmlfrYann FiévetL'Empire des chiffres ayant définitivement supplanté la République des lettres les « décideurs » politiques sont passés maîtres dans l'art de choisir les opportunes données leur permettant d'appuyer leurs desseins le plus souvent dictés par « les forces du marché ». Ces données, quand elles ne sortent pas d'un chapeau, leur sont souvent fournies par des « boîtes à penser » forgées à leur mesure. Ensuite, la plupart des médias de masse, eux-mêmes sur mesure, (...)
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<div class='rss_texte'><p>L'Empire des chiffres ayant définitivement supplanté la République des lettres les « décideurs » politiques sont passés maîtres dans l'art de choisir les opportunes données leur permettant d'appuyer leurs desseins le plus souvent dictés par « les forces du marché ». Ces données, quand elles ne sortent pas d'un chapeau, leur sont souvent fournies par des « boîtes à penser » forgées à leur mesure. Ensuite, la plupart des médias de masse, eux-mêmes sur mesure, n'ont plus qu'à les reprendre fidèlement. Depuis l'avènement du néolibéralisme et son cortège mortifère de plans d'austérité, les chiffres les plus prisés par la classe politique en place sont évidemment ceux qui reflètent des coûts trop élevés, soit pour la Nation, soit pour une catégorie particulière - non choisie au hasard - au sein de la population. Ainsi, le coût du travail ou les indemnités prudhommales sont trop élevés, les fonctionnaires coûtent trop cher, la protection sociale est dispendieuse, l'aide au logement pourtant modeste est encore trop généreuse, les « emplois aidés » sont subitement décrétés inefficaces, les retraites ne seront bientôt prétendument plus finançables, etc. Au fil des quarante dernières années la liste des coûts qui « handicapent la France » est devenue interminable !</p> <p>Nous le savons d'ores-et-déjà, Emmanuel Macron ne dérogera en rien à la double règle de l'orthodoxie gestionnaire néolibérale. Il va s'y entendre pour s'efforcer de tenir les comptes publics « en bon père de famille » et contenter à l'envi la classe des possédants au sein de laquelle il compte la plupart de ses amis, amis qui savent du reste se rappeler à lui à chaque occasion. Ainsi, 46 % des gains issus des mesures fiscales prévues par Emmanuel Macron seront empochés par les 10 % des contribuables les plus riches. La réforme sous couvert d'ordonnances du code du travail est, quant à elle, motivée par deux prétextes : réduire le chômage, améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Et elle repose sur un diagnostic éculé : si le chômage est tellement élevé dans notre pays et la compétitivité si faible c'est que le travail n'est pas assez flexible et qu'il coûte trop cher aux employeurs. C'est tellement facile ! Il va suffire de poursuivre – en les amplifiant – les remèdes des dernières décennies. Le diagnostic est sournoisement erroné : les deux maux énoncés ont bien d'autres causes que l'on se garde de prendre en considération. Nous pouvons ici ironiser : quand le diagnostic du docteur Macron est si mauvais ses ordonnances ne pourront qu'aggraver l'état de santé des malades. On appelle alors à la rescousse les chiffres de l'étranger. Ceux du modèle allemand que l'on envie tant ! La forte baisse du taux de chômage et le nombre d'emplois créés outre-Rhin sont brandis – et matraqués par les médias – comme les preuves des bienfaits de la flexibilité du travail. On oublie simplement de dire quel est le juste prix social de ces mirobolants succès. On va donc copier l'étonnant modèle, sans oublier de lorgner du côté de l'Italie qui elle aussi a su y faire. Et la précarité de l'emploi chez nous va croître et embellir comme chez nos voisins ces dernières années. De fait, la vraie raison de la réforme du travail est bien sûr ailleurs : soumettre définitivement le travail au capital.</p> <p>Il existe cependant des chiffres autrement plus éloquents pour qui daigne chausser d'autres lunettes. Des chiffres déprimants qui n'en sont pas moins incontestables. Dans son dernier rapport sur l'état de l'économie des pays les plus développés, l'OCDE place la France dans les dernières positions en ce qui concerne le taux de transformation des contrats de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI). Admirons la performance déjà atteinte : 10% seulement ! Avec le nouveau code du travail la France devrait pouvoir viser la toute dernière place. D'autant plus que l'on y invente le CDI précaire avec le « CDI de chantier ». D'autres chiffres donnent le vertige. En 2016, 55,7 milliards d'euros ont été distribués en dividendes aux actionnaires des entreprises du CAC 40. À l'envers du décor, en deux ans, 407 usines ont été fermées (2014-2015), une hécatombe qui complète la destruction de 1,4 million d'emplois en 25 ans dans l'hexagone. Aujourd'hui, la France compte 6 612 700 chômeurs et salariés occasionnels précarisés, auxquels il convient d'ajouter 4 800 000 chômeurs invisibles qui ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles. Un paradoxe se pose ici : comment une production marchande déclinante peut-elle générer des profits en croissance ?</p> <p>Si moins de temps de travail salarié a permis de produire globalement plus de valeur ajoutée et de générer des profits en hausse, c'est que l'intensité du travail s'est accrue. Chaque salarié a produit en moyenne davantage de valeur en moins de temps ce qui fait que moins de salaires engagés a généré plus de valeur ajoutée et de valeur marchande commercialisée. En ce qui concerne la productivité du travail, la France se situe en effet dans le peloton de tête au niveau mondial. Avec des salariés qui rapportent 54,8 €/heure, la France est loin devant la moyenne européenne de 43,9 €/heure…et même devant l'Allemagne à 53,4€/heure. Il va être ainsi difficile de trouver en France beaucoup de fainéants !</p> <p>Dans l'effort d'Emmanuel Macron pour tenter d'équilibrer les finances publiques il y aura, au bout des comptes, une redistribution des richesses à l'avantage des plus riches. On va donc continuer de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les inégalités de revenus – et surtout de patrimoine – vont croître encore. Il existe pourtant des dépenses publiques que l'on pourrait sérieusement dégonfler sans nuire directement au pouvoir d'achat de la plupart des ménages : celles qui sont liées à l'escalade délirante des grands projets d'infrastrucures. Citons un seul exemple, tellement éloquent. Le Grand Paris Express (GPE), pharaonique réseau de transport du Grand Paris, a vu son coût estimé passer de 22 milliards d'euros en 2010 à 35 milliards d'euros en 2017. Et l'envolée n'est sans doute pas terminée. Il semble temps de réviser à la baisse l'envergure de ces chantiers soutenus par les apôtres de la Croissance sans fin. Emmanuel Macron aura-t-il le courage de se pencher sur les chiffres de ce gaspillage d'argent public bien peu compatible avec la nécessité de bâtir rapidement une économie écologique ? Il est permis d'en douter. Il lui faudrait alors déplaire aux actionnaires de Vinci et consorts, véritables maîtres de l'économie désormais. Eux aussi ont des chiffres à défendre !</p></div>
Le grand aveuglement
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article19642015-09-20T11:43:00Ztext/htmlfrYann FiévetLa chronique égraine inlassablement depuis plus de trois ans les multiples avatars du renoncement de l'actuel Président de la République. Renoncement à remettre en cause un tant soit peu l'ordre économique néolibéral porteur du creusement des inégalités sociales. En juin 2013, un an seulement après son élection l'on parlait déjà de « la débâcle hollandaise ». Encore n'avions-nous pas tout perçu alors de la funeste trajectoire d'un homme qui, osons le rappeler, (...)
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<div class='rss_texte'><p>La chronique égraine inlassablement depuis plus de trois ans les multiples avatars du renoncement de l'actuel Président de la République. Renoncement à remettre en cause un tant soit peu l'ordre économique néolibéral porteur du creusement des inégalités sociales. En juin 2013, un an seulement après son élection l'on parlait déjà de « la débâcle hollandaise ». Encore n'avions-nous pas tout perçu alors de la funeste trajectoire d'un homme qui, osons le rappeler, nous inspirait depuis longtemps plutôt de la méfiance. Encore une année à mesurer les dégâts de ce que l'on ne pouvait même plus nommer social-démocratie et ce fut la nomination de Manuel Valls à Matignon. Les choses allèrent ensuite bon train : du célèbre « j'aime l'entreprise », véritable déclaration d'amour transi au grand patronat attentif, à l'entrée au Ministère de l'économie d'Emmanuel Macron, tout droit transféré de la banque Rothschild, à la loi « Renseignement », bradage à peine camouflé des libertés confirmant que l'ordre économique en place n'aime pas le désordre social susceptible de freiner les ardeurs de la libéralisation salvatrice. La coupe semblait pleine ! Après toutes ces déconvenues – finalement pas si inattendues – l'on se résignait à devoir se contenter d'attendre tranquillement la prochaine élection présidentielle.</p> <p>Et voilà qu'à l'issue de la troisième année du sabordage la triplette Hollande-Valls-Macron se paie le luxe d'y ajouter la légèreté et l'incompétence. Une affaire – parmi d'autres sans doute – est là pour nous convaincre du franchissement magistral d'un nouveau pallier dans la décrépitude politique : la privatisation de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. L'affaire va révéler un amateurisme qu'aucun énarque n'aurait su imaginer possible au sommet d'un Etat moderne ! Plusieurs scandales émaille en fait cette affaire qui aurait dû largement émouvoir la « grande presse » (1). La société française de l'acquéreur chinois, Casil Europe, n'a que 10 000 euros de capital, et son siège social, place de la Madeleine, à Paris, est fictif. quand du courrier arrive au nom de Casil Europe, c'est la gardienne elle-même qui se charge de le réexpédier vers la bonne adresse comme elle a l'habitude de le faire pour les correspondances de quelque 400 sociétés !</p> <p>L'on commence alors à comprendre mieux pourquoi Emmanuel Macron a fermement refusé que le pacte d'actionnaires soit rendu public dans sa version intégrale. Il a dans un premier temps prétendu qu'il ne s'agissait pas d'une privatisation puisque si les investisseurs chinois faisaient effectivement l'acquisition de 49,9 % dudit aéroport, l'État gardait 10 % du capital et, avec les collectivités locales (Région, département et ville de Toulouse), disposait encore de la majorité du capital. Il s'agit d'un mensonge. Un mensonge qui vient s'ajouter superbement à l'incompétence et à la légèreté que la suite va encore renforcer. Le pacte d'actionnaires dont le secret a pu être en partie levé révèle que ce dernier liait en réalité l'État non pas aux autres collectivités publiques mais aux investisseurs chinois et leur donnait ainsi les pleins pouvoirs pour gérer l'aéroport. Le mot légèreté est ici trop faible pour qualifier ce qu'il faut bien considérer comme un bradage organisé.</p> <p>Cependant, le scandale ne s'arrête pas là. La société Casil Europe s'imbrique dans un groupe opaque, détenu par l'oligarque chinois Mike Poon et son épouse Christina. La holding qui dirige l'ensemble se nomme Capella Capital Limited et est immatriculée aux îles Vierges britanniques. Elle a pour filiale à 100 % une société dénommée Friedmann Pacific Investiment Holdings Limited dont le pays d'immatriculation est inconnu et qui aurait elle-même une filiale dénommée Friedmann Pacific Asset Management Limited, immatriculée elle aussi aux îles Vierges britanniques. cette dernière – sûrement pas l'ultime ! - société a elle-même une autre filiale dénommée China Aircraft Leasing Groups Holdings Limited, implantée aux îles Caïmans. Bref, nous nageons là dans les eaux troubles du capitalisme financier contemporain que nos « dirigeants » prennent désormais comme une fatalité incontournable.</p> <p>Il fallait bien une cerise sur ce gâteau déjà passablement indigeste. Elle est de taille : selon le quotidien South China Morning Post, Mike Poon a disparu et son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption menée par les autorités auprès de la compagnie China Southern Airline. Le même quotidien, dans un article du 29 juin dernier, indique que 5,38 millions d'options détenues par Mike Poon sur la société China Aircraft Leasing ont été exercées le 19 juin, à un prix de 0,16 dollar, soit 90 % de moins que leur valorisation boursière, sans que l'on connaisse le nom du donneur de ces ordres de cession qui représentent tout de même 860 800 dollars, soit 770 000 euros. De plus, près de 429 000 options de la société Friedmann Pacific Asset Management ont été cédées, dans les mêmes étranges conditions.</p> <p>L'affaire est donc stupéfiante, y compris par ses aspects rocambolesques indignes d'une « bonne gouvernance. Elle peut être résumée ainsi : dans le plus grand secret, Emmanuel Macron a privatisé la gestion de l'aéroport de Toulouse-Blagnac au profit d'une société-écran qui n'a pas d'adresse réelle en France et dont le PDG, mis en cause dans une affaire de corruption, a pris la fuite après avoir vendu en catastrophe des actions en sa possession. Voilà bien ce qui arrive quand trois hommes campés au sommet de la pyramide politique décident sciemment de tout sacrifier sur l'autel de la « compétitivité économique » de la France. Intolérable aveuglement !</p> <p><i>(1) L'émoi fut pour le moins timide sauf à Médiapart qui, une fois encore, a mené une minutieuse enquête relatée dans plusieurs articles de Laurent Mauduit dont nous nous servons ici.</i></p></div>
LES FRONTS ET L'EURO
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1974
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article19742015-08-20T15:44:00Ztext/htmlfrFrédéric LordonLa question de l'euro échappera-t-elle un jour à la malédiction du FN ? Sans doute tout la destinait-elle à y tomber, spécialement en une époque où se mêlent toutes les confusions et toutes les hystéries, au point de rendre presque impossible le moindre débat rationnel. Mais que dire quand ce sont certains des avocats mêmes de la sortie de l'euro qui ajoutent au désordre intellectuel et, identifiés à gauche, en viennent à plaider d'invraisemblables alliances avec (...)
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<div class='rss_texte'><p>La question de l'euro échappera-t-elle un jour à la malédiction du FN ? Sans doute tout la destinait-elle à y tomber, spécialement en une époque où se mêlent toutes les confusions et toutes les hystéries, au point de rendre presque impossible le moindre débat rationnel. Mais que dire quand ce sont certains des avocats mêmes de la sortie de l'euro qui ajoutent au désordre intellectuel et, identifiés à gauche, en viennent à plaider d'invraisemblables alliances avec l'extrême-droite ?</p> <p><strong>Le FN, ce terrible fléau, cette bénédictio</strong>n</p> <p>Sauf à vivre dans le monde des rêves habermassien, l'expérience élémentaire enseigne l'improbabilité du débat ordonné – qui appelle des prérequis institutionnels très particuliers, comme ceux des institutions scientifiques, pour avoir sa chance. Mais les défigurations qu'aura souffertes le débat sur l'euro resteront sans doute dans l'histoire contemporaine comme un cas extrême d'altération, et même d'aberration, offrant le spectacle d'un monde politique que toute rationalité argumentative semble avoir déserté. Il est certain que, prêts à tout pour défendre l'ordre social qui fait leur bonheur, les dominants sont notamment prêts aux travestissements les plus éhontés pour écarter toute alternative, invariablement présentée comme monstruosité. C'est bien pourquoi l'ordre dominant a impérativement besoin de ses monstres s'il veut soutenir – en y renvoyant systématiquement – le caractère monstrueux de tout ce qui n'est pas lui. Ainsi, par exemple, la Corée du nord est-elle moins l'anomalie de la mondialisation qu'elle n'est sa secrète bénédiction, sa monstrueuse, sa nécessaire altérité : comment mieux plaider l'irresponsabilité de la démondialisation qu'en l'enfermant dans l'unique figure possible de la Corée du nord (plaise au Ciel qu'elle dure encore longtemps), pour mieux asséner l'argument supposé rédhibitoire : « c'est ça que vous voulez ? ».</p> <p>Mutatis mutandis le FN est, pour le débat de l'euro, l'équivalent fonctionnel de la Corée du nord pour celui de la démondialisation. Car, bien sûr, on n'aura pas la maladresse de dire qu'il n'y pas d'alternative : on dira qu'il y a celle-là… La suite s'en déduira d'elle-même. Leur opposition « radicale » de surface masque alors la profonde solidarité structurale des deux termes supposément en conflit – le FN et le grand parti unique eurolibéral – qui sont, là encore, une bénédiction l'un à l'autre, au point de les faire vivre dans un parfait rapport de symbiose fonctionnelle : le FN prospère du monopole de singularité que lui abandonne le parti unique d'en-face, lequel, usé jusqu'à la corde, ne se maintient plus qu'en renvoyant au monstre tout projet de faire autrement.</p> <p>Car une chose est certaine, c'est qu'à part le terrorisme au FN, le parti eurolibéral – dans lequel on aura compris que PS et UMP sont deux parfaits substituts – n'a plus rien à dire. Il est rincé, à sec, lyophilisé, de la pensée en granules, du discours en poudre. À la vérité comment pourrait-on trouver quoi que ce soit à dire quand l'accablant spectacle donné depuis 2010 ne peut que réduire à rien, ou bien à un scandale supplémentaire, la défense d'un ordre européen qui s'est rendu haïssable, et sous tous les rapports : la catastrophe économique y est effrayante, les exigences même les plus formelles de la démocratie y sont foulées au pied, plusieurs pays ont été conduits à la crise humanitaire – en Europe ! Par l'Europe !</p> <p>Par bonheur, quand il n'y a plus rien, il y a encore le FN. Et voilà aussi par quoi l'euro se maintient. Pour que le monstre remplisse son office cependant, il importe de lui faire absorber toute altérité possible, et de confondre toutes les alternatives en une seule, la sienne – monstrueuse. C'est bien pourquoi les idéologues eurolibéraux, journalistes embedded en tête, n'ont jamais rien eu de plus urgent que d'assimiler ainsi toute idée de sortie de l'euro au nationalisme xénophobe du Front National, d'égaliser strictement les deux termes, opportunément soudés dans la même indignité. Qu'importe les projets de gauche en cette matière : s'ils sont rouges, c'est qu'ils sont rouges-bruns – dans une expérience de pensée oulipienne, il faut imaginer le désarroi, peut-être même le sentiment d'impossibilité radicale, de Jean-Marie Colombani et Jean Quatremer invités à objecter à la sortie de l'euro sans dire une seule fois « rouge-brun » (ou « repli nationaliste », ou « tentation xénophobe »).</p> <p><strong>Des signifiants disputés</strong></p> <p>Le drame politique se noue véritablement quand la confusion n'est plus seulement alimentée par ce qu'on appellera la droite générale – où le PS se trouve évidemment inclus – mais depuis la gauche également, et sous deux forme diamétralement opposées : l'entêtement de la gauche alter-européiste à « changer l'euro », la perdition d'une autre gauche dans la tentation, pour le coup, oui, monstrueuse, de l'alliance avec le Front national.</p> <p>À sa manière à elle, la gauche alter-européiste aura ajouté foi au discours eurolibéral de la droite générale en rabattant, exactement comme cette dernière, tout projet de sortie de l'euro sur le fléau du « nationalisme ». C'est qu'en des temps de vacillation intellectuelle, la catastrophe idéologique était vouée à se nouer autour de deux signifiants disputés : « nation » et « souveraineté ». Disputés en effet puisque, pour chacun de ces termes, l'unicité nominale masque une dualité de lectures possibles qui soutiennent des mondes politiques radicalement antinomiques. Entre la nation substantielle, confite en ses mythes identitaires et éternitaires, et la nation politique, rassemblant les individus dans l'adhésion à des principes, sans égard pour leurs origines, bref entre la nation de Maurras et celle de Robespierre, il n'y a pas qu'un gouffre : il y a une lutte inexpiable. Et de même entre la souveraineté comprise comme apanage exclusif des élites gouvernementales et la souveraineté conçue comme idéal de l'auto-gouvernement du peuple. « Nation » et « souveraineté » ne disent rien par eux-mêmes, ils ne sont que des points de bifurcation. Ils ne parlent que d'avoir été dûment qualifiés, et alors seulement on sait vers quoi ils emmènent.</p> <p>Dans ces conditions, la faute intellectuelle de l'alter-européisme est triple : il a manqué à voir la dualité du signifiant « nation souveraine », abandonné à la droite d'en imposer sa lecture, et par cet abandon même trahi son propre legs historique : car en France la nation souveraine naît en 1789, elle se constitue comme universalité citoyenne, elle exprime le désir de l'autonomie politique, désir d'un peuple en corps de se rendre maître de son destin, bref elle est de gauche.</p> <p>Et par l'effet d'une incompréhensible démission intellectuelle, elle n'est désormais plus que de droite... Il est vrai qu'un internationalisme mal réfléchi n'a pas peu contribué à faire méconnaître [1], en réalité à faire oublier, que la souveraineté comme auto-gouvernement suppose nécessairement la clôture relative – relative, car toujours ouverte à quelque degré sur son dehors – d'une communauté sur un ressort fini. Le genre humain unifié n'existe pas, il ne soutient aucune politique possible, ou bien à un terme (hypothétique) bien fait pour éternellement différer tout retour de la politique – essence du jacquattalisme et de ses rassurants messages : la mondialisation est notre horizon indépassable, certes elle nous a un peu débordés, mais le gouvernement mondial nous permettra d'en reprendre le contrôle… dès qu'il sera advenu ; en attendant : patience… et courage.</p> <p>On dira que l'Europe se présente précisément comme une solution accessible de régulation de la mondialisation néolibérale. Sans même discuter qu'en cette matière l'Union européenne n'est pas faite pour réguler, mais pour relayer et amplifier, il faut avoir l'étroitesse de vue de l'européisme le plus béat, mais aussi bien de l'alter-européisme le plus angoissé, pour ne pas voir ce paradoxe élémentaire que le projet européen est national-souverainiste dans son essence ! Ne se propose-t-il pas de fonder sur un périmètre fini – car « l'Europe » s'arrêtera bien quelque part – une communauté politique souveraine, et par là une citoyenneté d'appartenance – européenne ? Soit, non pas du tout le « dépassement de l'Etat-nation », comme le bredouillent Habermas et ses épigones français, mais le simple redéploiement, éventuellement sous une autre forme, de son principe à une échelle étendue… Et les Etats-Unis d'Europe ne seront que le reflet transatlantique des Etats-Unis d'Amérique, dont on aura du mal à dire qu'ils dépassent quoi que ce soit en cette matière : ne sont-ils pas connus comme l'une des réalisations les plus agressives du souverainisme statonational ? – on mesurera par là le degré de confusion conceptuelle qui, de tous bords, afflige la question européenne.</p> <p><strong>Misère du mono-idéisme</strong></p> <p>La faute intellectuelle de l'alter-européisme est considérable mais, dans son errance, elle a sa part de dignité, et ce au nom de quoi elle a erré n'a jamais mérité que le respect. Celle de la gauche en perdition est inexcusable. Car, si on ne peut pas excuser la gauche de devenir de droite – à l'image du « parti socialiste » –, on le peut encore moins de dériver vers la droite de la droite, et jusqu'à se rapprocher de l'extrême-droite. Il est inutile de le dissimuler car l'évidence est là : il y a dans certains secteurs de la gauche, et depuis longtemps, une réelle disposition à ce dévoiement-là. L'union des « républicains des deux bords » appelée par Chevènement en 2002 en a été la première manifestation visible dans le champ politique. Logiquement, le durcissement de la crise a accéléré toutes les tendances, desserré toutes les retenues, et poussé au franchissement de tous les seuils.</p> <p>Il y a bien des lignes de pente pour se perdre à l'extrême-droite, mais l'une d'entre elles vaut qu'on s'y arrête qui est moins immédiatement « politique », plus pernicieuse, et par là plus dangereuse : l'aveuglement du mono-idéisme. Le mono-idéisme, c'est l'empire de l'idée unique, le despotisme mental de la Cause au singulier absolu qui, affranchie de toute idée contradictoire, c'est-à-dire de toute régulation intellectuelle, imposera son primat et déploiera sans résistance ses conséquences jusqu'à l'aberration. Tout pour l'Idée unique, et cap au pire s'il le faut, voilà la devise implicite du mono-idéisme.</p> <p>Férocement appliqué sur les bords les plus opposés d'ailleurs. Car il y a évidemment un mono-idéisme européiste. Dont la Cause est l'Europe, quelle qu'en soit la forme et quels qu'en soient les contenus – soit, littéralement, l'Europe à tout prix. Quel que soit le mouvement, il est déclaré bon s'il fait avancer l'Europe, et peu importe absolument dans quelle direction. L'Europe fait régner la concurrence libre et non faussée ? Peu importe puisque le droit de la concurrence est un droit européen, et qu'un droit européen en soi signifie un progrès de l'Europe. L'Europe soumet les économies à l'omnipotence des marchés financiers ? Peu importe puisque c'est le moyen de construire une monnaie européenne qui, par là, se justifie d'elle-même. L'Europe n'est plus qu'un empilement de traités austéritaires ? Mais ça n'est pas la question : l'essentiel est que l'Europe avance – et la direction de l'avancée est tout à fait secondaire. L'Europe intransitive, l'Europe pour l'Europe, sans considération de quelque autre chose, voilà la figure du mono-idéisme européiste. Les socialistes et les écologistes français votent le TSCG : parce qu'« il faut continuer de construire l'Europe ». Et l'on se demande immanquablement jusqu'où il faudrait aller dans l'ignoble pour déclencher enfin un réflexe de reprise, une fissure dans le mono-idéisme, le retour d'une autre idée. Soit l'Europe rétablissant le droit du travail des enfants – formellement une nouvelle avancée du droit européen, donc un progrès de « l'Europe » – : stop ou encore ?</p> <p>En face, le mono-idéisme symétrique : sortir de l'euro quelles qu'en soient les voies. Si la sortie de l'euro a à voir avec la restauration de la souveraineté, peu importe de quelle souveraineté l'on parle. Et en avant pour le front indifférencié de « tous les souverainistes ». Nicolas Dupont-Aignan est « souverainiste » : il est donc des nôtres. Et puis après tout Marine Le Pen aussi, ne le dit-elle pas assez. Alors, logiquement, pourquoi pas ? Car voilà la tare majeure du mono-idéisme : il est conséquent sans entraves. Il suivra sa logique unique jusqu'où elle l'emmènera par déploiement nécessaire des conséquences qui suivent de la prémisse unique. Peu importe où puisque, l'Idée posée, on ne peut qu'avoir confiance dans la logique qui, ancillaire et neutre, vient simplement lui faire rendre tout ce qu'elle porte.</p> <p>On l'a compris puisque la chose entre dans son concept même : le mono-idéisme suppose l'effacement radical de toutes les considérations latérales – de tout ce qui n'appartient pas à son Idée. Que, par exemple, le Front national – ses errances idéologiques en matière de doctrine économique et sociale l'attestent assez – ait pour seul ciment véritable d'être un parti raciste, que la xénophobie soit l'unique ressort de sa vitalité, la chose ne sera pas considérée par le souverainisme de la sortie de l'euro quand il se fait mono-idéisme. Puisque la Cause, c'est la sortie de l'euro, et que rien d'autre n'existe vraiment. On envisagera donc l'âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que « raciste » est une qualité qui n'est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. Voilà comment, de l'« union des républicains des deux bords », en passant par « le front de tous les souverainistes », on se retrouve à envisager le compagnonnage avec le Front national : par logique – mais d'une logique qui devient folle quand elle n'a plus à travailler que le matériau de l'Idée unique.</p> <p><strong>Le jugement de l'histoire</strong></p> <p>Il faut avoir tout cédé à une idée despotique pour que quelqu'un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l'histoire, ait à ce point perdu tout sens de l'histoire. Car la période est à coup sûr historique, et l'histoire nous jugera. Si l'on reconnaît les crises historiques à leur puissance de brouillage et à leur pouvoir de déstabilisation – des croyances et des clivages établis –, nul doute que nous y sommes. Nous vivons l'époque de toutes les confusions : celle de la social-démocratie réduite à l'état de débris libéral, celle au moins aussi grave de révoltes de gauche ne se trouvant plus que des voies d'extrême-droite. Or on ne survit au trouble captieux de la confusion qu'en étant sûr de ce qu'on pense, en sachant où on est, et en tenant la ligne avec une rigueur de fer. Car en matière de dévoiement politique comme en toute autre, il n'y a que le premier pas qui coûte – et qui, franchi, appelle irrésistiblement tous les suivants. C'est pourquoi l'« union de tous les souverainistes » mène fatalement à l'alliance avec l'extrême-droite.</p> <p>C'est pourtant une fatalité résistible : il suffit de ne pas y mettre le doigt – car sinon, nous le savons maintenant à de trop nombreux témoignages, c'est le bonhomme entier qui y passe immanquablement. Ici la rigueur de « ne pas mettre le doigt » n'a pas de meilleures armes que la robustesse de quelques réflexes – où en est-on sur la question du racisme –, et le décentrement minimal qui, ne cédant pas complètement au mono-idéisme, permet d'identifier les périls. La fermeté des concepts aussi : en l'occurrence ceux par lesquels on fait sens des signifiants « nation » et « souveraineté », faute desquels on est voué aux sables mouvants de la confusion puisqu'ici ce sont la droite et l'extrême-droite qui tiennent la lecture dominante, à laquelle on succombera nécessairement si l'on n'a pas une autre lecture à leur opposer fermement.</p> <p>Mais on ne tient jamais si bien la ligne qu'en reconvoquant les leçons de l'histoire, notamment les souvenirs de quelques tragiques égarements du passé. C'est qu'on ne surmonte les emprises du présent et la difficulté à savoir ce qu'on y fait vraiment, c'est-à-dire l'absence de recul pour se juger soi-même à l'aune d'un sens de l'histoire qui n'a pas encore été délivré, on ne surmonte tous ces obstacles, donc, qu'en rapportant son action aux dilemmes que d'autres avant nous ont eu à trancher – certains bien, d'autres mal. Non pas que leur situation ait été en tous points semblables à la nôtre – elle ne peut pas l'être –, mais pour y puiser un sens accru du danger, de l'auto-examen, et de l'anticipation d'une histoire qui délivrera ses verdicts.</p> <p>Il faut être inconscient pour ne pas mesurer le péril : si la période actuelle n'est pas l'exacte réplique des années 1930, elle lui emprunte suffisamment pour faire redouter que des causes semblables entraînent des effets semblables. On sait assez que l'extrême-droite profite du pire. Et, à part la nef des fous éditoriale qui, répétant en boucle « la réforme », n'en finit pas de demander plus du même, on sait aussi que la période n'engendre plus que du pire – mais il allait sans dire que, comme bras armé « intellectuel » du parti unique eurolibéral, l'appareil médiatique [2] est décisivement impliqué dans la symbiose fonctionnelle qui fait prospérer le FN. De ce terrible enchaînement, qui ne créé pas d'autre devoir que de s'y opposer – quoiqu'on voie de moins en moins ce qui pourrait venir le contrarier… –, chacun devra savoir ce qu'il y a fait, et quelle place il y a tenue.</p> <p>Il est bien certain que la polémique livre son lot de mises en cause à la truelle : pour l'alter-européisme, en cela confondu avec l'européisme tout court, c'est d'envisager seulement la sortie de l'euro qui soutient un cas d'accusation… On pourrait bien plutôt soutenir que c'est d'en refuser la possibilité qui, abandonnant la question au FN et fixant les peuples dans une catastrophe eurolibérale en réalité inexpiable, livre à l'extrême-droite une ressource politique sans équivalent. La querelle cependant ne souffre plus aucune équivoque lorsqu'il devient explicitement question de faire cause commune, ou bout de chemin, ou n'importe quoi d'autre, avec le FN – et peu importent les codicilles tout à fait secondaires dont on enrobe l'idée : l'essentiel est dit.</p> <p><strong>Egaré pour rien</strong></p> <p>Mais il y a pire que l'égarement : l'égarement pour rien. Car voici la tragique ironie qui guette les dévoyés : le FN, arrivé au pouvoir, ne fera pas la sortie de l'euro. Il ne la fera pas car, sitôt que la perspective de sa réussite électorale prendra une consistance sérieuse, le capital, qui ne se connaît aucun ennemi à droite et aussi loin qu'on aille à droite, le capital, donc, viendra à sa rencontre. Il ne viendra pas les mains vides – comme toujours quand il a sérieusement quelque chose à réclamer ou à conserver. Aussi, contre quelques financements électoraux futurs et surtout contre sa collaboration de classe – car, comme s'en aperçoit, pour sa déconfiture, le pouvoir actuel avec son pacte de responsabilité en bandoulière, le capital a bel et bien le pouvoir de mettre l'économie en panne par mauvaise volonté [3] – contre tout ceci, donc, le capital exigera le maintien de l'euro, son vrai trésor, sa machine chérie à équarrir le salariat. Croit-on que le FN opposera la moindre résistance ? Il se fout de l'euro comme de sa première doctrine économique – et comme de toutes les suivantes. Le cœur de sa pensée, s'il y en a une, est bien ailleurs : il est dans une sorte de néocorporatisme vaguement ripoliné pour ne pas faire trop visiblement années trente, et s'il est une seule chose à laquelle il croit vraiment, elle est sans doute à situer du côté du droit du petit patron à être « maître chez lui » (éventuellement additionné d'une haine boutiquière pour l'impôt qui nous étrangle).</p> <p>Tragique destin pour tous ceux qui auront cru voir en lui la dernière église des vrais croyants et qui finiront à l'état de recrues scientologues, essorées et refaites, rendus par-là à avoir partagé, quoique depuis le bord opposé, la même croyance que les propagandistes eurolibéraux, la croyance du FN qui chamboule tout, quand il est si clair qu'il ne chamboulera jamais rien (à part les vies des immigrés, ou des fils d'immigrés, qui vivent en paix sur notre sol et qui, elles, seront bel et bien dévastées) : car enfin a-t-on jamais vu le parti de l'ordre perturber l'ordre ? Et croit-on que le parti des hiérarchies ait à cœur de déranger les hiérarchies – en l'occurrence celles du capitalisme ? Au moins les eurolibéraux ont-ils, pour ce qui les concerne, leurs intérêts obliques à entretenir cette effarante bêtise : c'est qu'il faut bien que le FN soit assimilé à une sorte de révolution pour mieux éloigner le spectre de toute révolution – soit encore et toujours le travail de la symbiose fonctionnelle, et l'éditorialisme, empressé d'accorder au FN sa revendication la plus centrale et la plus frauduleuse (« il va tout bousculer ! »), lui rend sans même s'en rendre compte le plus signalé des services.</p> <p><strong>À gauche, et à gauche seulement</strong></p> <p>Lire aussi Baptiste Dericquebourg, « Syriza et les chausse-trapes du pouvoir », Le Monde diplomatique, septembre 2015. Ceci d'ailleurs de toutes les manières possibles. Car on n'en revient pas du rassemblement parfaitement hétéroclite des visionnaires en peau de lapin occupés à déclarer caduc le clivage de la droite et de la gauche – jamboree de la prophétie foireuse où l'on retrouve aussi bien l'extrême-droite (mais c'est là une de ses scies de toujours) que l'extrême-centre, de Bayrou à Valls, pour qui la raison gestionnaire permet enfin de faire l'économie d'inutiles querelles (« idéologiques » disent les parfaits idéologues de « la fin des idéologies »). Malheureusement pour eux, le déni du réel s'accompagne immanquablement du retour du refoulé. « Ça » revient toujours. C'est même déjà revenu : en Grèce, sous le nom de Syriza – avant qu'un incompréhensible Tsipras ne sombre dans un tragique renoncement. Le tsiprasisme n'est plus qu'un astre mort, mais certainement pas la gauche en Grèce – et partant en Europe.</p> <p>Or cette persévérance suffit à ruiner et les imputations immondes de l'européisme et les dévoiements d'une « gauche » qui croit pouvoir passer par la droite de la droite. Car de même qu'on ne prouve jamais si bien le mouvement qu'en marchant, on ne démontre pas plus irréfutablement la possibilité d'une sortie de gauche de l'euro… qu'au spectacle d'une incontestable gauche qui se propose de sortir de l'euro – drame de l'insuffisance intellectuelle : à certains, il faut le passage au concret pour commencer à croire vraiment à une possibilité que leur esprit ne parvient pas à embrasser tant qu'elle demeure simplement abstraite.</p> <p>Dieu sait qu'il fallait être ou bien de la dernière mauvaise foi ou bien intellectuellement limité pour ne pas concevoir une sortie de gauche de l'euro – c'est-à-dire une vision de gauche de la souveraineté. Mais maintenant elle est là : une grosse minorité de Syriza, défaite par la trahison de Tsipras, mais décidée à continuer de lutter sous les couleurs nouvelles de la Gauche Unie, établit désormais in concreto l'existence de la « sortie de gauche » : une sortie que rien n'entache à droite, ni « repli nationaliste » puisque nous avons là affaire à des gens dont les dispositions internationalistes sont insoupçonnables, ni « dérive xénophobe » puisque pour le coup le seul point d'accord, mais absolu, au sein de Syriza, touche à la question de l'immigration, de son accueil et de sa régularisation. Et seuls les deux neurones de Jean-Marie Colombani, la haine incoercible de Quatremer pour tout ce qui est de gauche, mais aussi les préventions affolées de l'alter-européisme, pourront trouver justifié de s'exclamer au repli identitaire.</p> <p>La gauche est là. Même réduite au dernier degré de la minorité institutionnelle, elle ne mourra pas. Elle vit en Grèce. Elle revivra ailleurs en Europe, et spécialement en France, pour peu qu'on s'y aperçoive, l'échec de Tsipras enfin médité, qu'elle n'a de salut qu'hors de l'euro – et bien sûr qu'en en sortant par son côté à elle. Mais il faut être en proie au fétichisme de la sortie pour ne plus désirer sortir que pour sortir, c'est-à-dire pour se préparer à sortir accompagné n'importe comment. Et avoir sérieusement oublié de se poser la seule question qui vaille, la question de savoir pour quoi faire, et par suite avec qui ? – la seule qui ramène quelque clarté et fasse apercevoir certaines improbables alliances pour ce qu'elles sont : aberrantes, dévoyées, et promises à la perdition, au double sens de l'égarement moral et de l'échec assuré.</p> <p><i>[1] Voir à ce sujet « Leçons de Grèce à l'usage d'un internationalisme imaginaire (et en vue d'un internationalisme réel) », 6 avril 2015. [2] Dont, à quelques exceptions minoritaires près, les différenciations internes sont tout à fait secondaires. [3] Pour un développement un peu plus substantiel à propos de cette question, voir « Les entreprises ne créent pas l'emploi », 26 fevrier 2014.</p> <p>Article paru dans La pompe à phynance, blogs du Monde Diplomatique et dans El Correo</i></p></div>
Macron économie
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article19632015-02-28T12:33:00Ztext/htmlfrYann FiévetAu temps béni du néolibéralisme où l'Etat abdique partout de ses ancestrales responsabilités devant les forces du Marché totalitaire nous ne sommes plus à une loi scélérate près. Telle doit être en effet qualifiée sans vergogne la loi Macron. La manière dont elle nous a été vendue par la plupart des observateurs – trop souvent insuffisamment attentifs ou près à avaler n'importe quelle couleuvre – ne permet en rien de connaître ce qui se cache derrière le rideau de la (...)
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<div class='rss_texte'><p>Au temps béni du néolibéralisme où l'Etat abdique partout de ses ancestrales responsabilités devant les forces du Marché totalitaire nous ne sommes plus à une loi scélérate près. Telle doit être en effet qualifiée sans vergogne la loi Macron. La manière dont elle nous a été vendue par la plupart des observateurs – trop souvent insuffisamment attentifs ou près à avaler n'importe quelle couleuvre – ne permet en rien de connaître ce qui se cache derrière le rideau de la communication gouvernementale, les fameux « éléments de langage », ou sous le jargon technocratique du texte de ladite loi. Il faut donc lire entre les lignes et surtout ne pas être oublieux du passé. Emmanuel Macron a été placé là où il est présentement afin de poursuivre une politique inaugurée dans ses grandes lignes voilà trente ans déjà. A l'époque, un autre « socialiste », Laurent Fabius, avait endossé la responsabilité du « tournant de la rigueur ». Souvenons-nous : c'était déjà au nom de l'emploi ! En fait, il est depuis devenu indifférent pour ceux qui nous gouvernent – le gouvernail toujours bloqué pour le même cap - que la nouvelle loi soit nommée loi Macron pour l'emploi, loi de modernisation de l'économie ou par tout autre artifice savamment concocté par un « cabinet-conseil » grassement rétribué au nom de la bonne marche des affaires. Peu importe le flacon pourvu qu'il cache habilement l'ivresse de la libéralisation tous azimuts.</p> <p>Certes l'emploi va mal en France, très mal. Et la situation ne cesse de se dégrader. Les records de chômage se succèdent et le statut réel des travailleurs se détériore à grande vitesse. Tout récemment, la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), rattachée aux Ministères du Travail et de l'Economie, a fait état d'une nouvelle montée du nombre total de demandeurs inscrits à Pôle emploi : + 0.5% en octobre dernier, correspondant à une augmentation de 5.6% en un an. 5 457 400 demandeurs d'emploi inscrits, c'est un chiffre sans précédent. Mais il y a plus grave : En 2013, 83,6% des embauches ont été réalisées en contrat à durée déterminée. Cette précarisation accélérée de l'emploi constitue une démolition de fait de notre droit du travail. Le CDD instaure une précarité croissante : la durée médiane d'un CDD était de 10 jours en 2013 !Pourtant, le MEDEF poursuit, en toute hypocrisie, sa pression sur le gouvernement par l'envoi d'une lettre adressée à François Hollande et Manuel Valls : « Une voie pour relancer la dynamique de confiance ». Quelle espèce de « confiance » émanant du Medef pourrait bien inspirer l'avenir aux travailleurs précaires ? Face à cette situation catastrophique de l'emploi, qui peut sérieusement croire que les mesures du plan Macron pour la déréglementation des professions réglementées ou en faveur des bus diésel pourraient avoir un impact décisif sur le niveau de l'activité économique du pays ? Un peu plus de notaires, de pharmaciens, de conducteurs de bus : la belle affaire. Et que dire du passage de cinq à douze dimanches travaillées par an dans la branche commerce ?</p> <p>L'essentiel de la loi Macron est donc ailleurs. Comme le diable est dans les détails il faut fouiner un peu. Et la pêche ne nous déçoit pas. A la page 41 du texte, l'ontrouve par exemple ceci : « Permettre à l'État de financer ses priorités grâce à une gestion active de ses participations (…) » Gestion active de ses participations ? L'économiste avisé dresse l'oreille… Il se ferait presque avoir car pour que la couleuvre passe mieux auprès de ce qu'il reste de « forces de progrès » on a ajouté un alibi rassurant. « L'intervention en fonds propres de l'État au profit des entreprises françaises est légitime et constitue un outil de politique économique que le Gouvernement entend mobiliser. » On est presque près à se réjouir en rêvant à un sursaut de gauche face à la mondialisation sauvage, que cette loi permettrait des nationalisations, par exemple de grandes banques dans un pôle public financier. rassurez-vous. Pas d'inquiétude, grâce à la suite du texte : « Ouvrir le capital de certaines entreprises publiques. L'ouverture du capital de certaines entreprises permettra à l'État de dégager des ressources financières pour le désendettement et pour le réinvestissement dans des secteurs porteurs de développement économique, tout en faisant entrer au capital des entreprises des actionnaires ayant un projet industriel permettant de développer l'activité, l'investissement et l'emploi… » C'est donc au contraire de privatisations dont il s'agira. Et la vague ira probablement bon train !</p> <p>Tout est désormais en place pour le bradage des derniers « bijoux de famille » payés avec l'argent de plusieurs générations de nos concitoyens. On habille la scélératesse en adoubant les « porteur d'un projet industriel » alors qu'il s'agira souvent de démanteler à terme l'entreprise pour un juteux « retour sur investissement ». Une partie de la liste des entreprises concernées nous est même déjà fournie. Par exemple les sociétés aéroportuaires de Lyon et de Nice Côte d'Azur… Vous avez su apprécier à sa juste mesure la vente de l'aéroport de Toulouse aux Chinois ? Vous allez adorer celle de Nice et Lyon, aux Américains ou de nouveau aux Chinois. On connait sûrement déjà l'acheteur mais on ne le dévoilera pas pour ne pas trahir le secret des négociations. On vendra sans doute aussi GDF-Suez, un autre grand fleuron du bien commun.</p> <p>A la page 47 l'on se propose de réformer la justice du travail. « La loi pour la croissance et l'activité réformera la justice prud'homale, pour la rendre plus simple, plus rapide, plus prévisible et plus efficace… » Pour accroître la prévisibilité, on remplacera l'appréciation au cas par cas confié à un juge par la mise en place de barèmes à portée collective. Pour la rapidité : « Les délais seront considérablement raccourcis et encadrés dès la phase de conciliation – le bureau de jugement en formation restreinte devra ainsi statuer sous trois mois ; par ailleurs, la procédure pourra être notablement accélérée, en allant directement de la phase de conciliation à la formation de jugement présidée par un juge professionnel… » Faut-il commenter ? Et pour l'efficacité : « Le regroupement des contentieux sera mis en œuvre, lorsqu'il est de l'intérêt d'une bonne justice que des litiges pendants devant plusieurs conseils des prud'hommes situés dans le ressort d'une même cour d'appel soient jugés ensemble… » On regroupera donc toutes les procédures en une seule. Le patron aura un seul avocat mais les salariés devront avoir chacun le leur. Puis, le jugement sera rendu globalement selon le barème préétabli !</p> <p>Le morceau de choix du texte macronomique est à la page 49 : renforcer la protection des procédures collectives. « Tout mettre en œuvre pour permettre la poursuite de l'activité des entreprises en difficulté, de manière à sauvegarder le plus d'emplois possible. Rationaliser le traitement par la justice commerciale des dossiers concernant les plus grosses entreprises… » Comment être opposé )à cette bonne intention affichée ? A cause de la suite là encore. « Le projet de loi pour la croissance et l'activité donne la possibilité au juge, en ultime recours, d'obliger la vente des actions des personnes qui contrôlent une entreprise en difficulté au profit de personnes présentant un plan crédible de sauvetage de l'entreprise et de maintien d'emplois… » Obliger la vente d'actions ? Entre larrons à la foire, l'on s'entend toujours ! En d'autres lieux, on nomme cela « vol en bande organisé ». Scélératesse vous dit-on. Au nom de l'emploi et en réalité toujours contre lui. Rideau !</p></div>
C'EST EVO MORALES QUI AURAIT DU AVOIR LE NOBEL D'ECONOMIE
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article19072014-11-19T17:03:14Ztext/htmlfrGérard BélorgeyAlors que c'est Evo Morales qui méritait le Nobel d'économie (appliquée ), un ancien gardien de lamas, réélu (il y a quelques semaines) pour la troisième fois, qui a assuré l'essor économique de sa nation et le début du progrès social de ses populations par la nationalisation du pétrole et du gaz et par la réforme agraire et qui, lors d'un sommet sur le réchauffement climatique a proposé un référendum mondial sur le principe d'un tribunal international (...)
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<div class='rss_texte'><p>Alors que c'est Evo Morales qui méritait le Nobel d'économie (appliquée ), un ancien gardien de lamas, réélu (il y a quelques semaines) pour la troisième fois, qui a assuré l'essor économique de sa nation et le début du progrès social de ses populations par la nationalisation du pétrole et du gaz et par la réforme agraire et qui, lors d'un sommet sur le réchauffement climatique a proposé un référendum mondial sur le principe d'un tribunal international climatique et de défense des droits de la Terre Mère, le jury de Suède a naturellement choisi un homme à l'autre bout de la mode qu'Attac décrit ainsi :</p> <p>"Présenté comme « un des économistes les plus influents de notre époque » par la Banque de Suède, Jean Tirole est récompensé par « son analyse de la puissance des marchés » et ses recommandations en faveur d'une déréglementation dans les domaines de l'industrie, de la finance et du travail. C'est ainsi que Jean Tirole, dont on peut penser que le nouveau ministre de l'économie Emmanuel Macron est un admirateur fervent, propose une réforme du marché du travail, dont l'une des mesures doit être d'alléger le code du travail et, en particulier, de supprimer les contrats à durée indéterminés (CDI).</p> <p>Ce n'est pas tout : Jean Tirole est depuis longtemps un fervent partisan d'un marché mondial des permis d'émission de gaz à effet de serre. Le prix et la concurrence seraient ainsi les principaux instruments mobilisés pour limiter les émissions. Pourtant le marché européen du carbone est un échec retentissant en même temps qu'un nouveau théâtre de spéculation ! Dans le domaine de la finance, Tirole s'est illustré par une approche fondée sur la théorie des jeux et de l'information selon laquelle la stabilité des marchés peut être obtenue par la transparence de l'information et la concurrence sur les marchés. Ignorant le caractère fondamentalement instable des marchés, Jean Tirole a cautionné les politiques de dérégulation financière et encouragé les autorités de régulation à négliger la nécessité d'une régulation globale de la finance. Le caractère global et systémique de la crise a montré qu'il s'agissait là d'une erreur tragique… démontrant par là le caractère inadapté et dangereux des analyses de Jean Tirole et du courant de pensée qu'il représente : un néolibéralisme dogmatique pour lequel la fonction économique essentielle de l'État est d'étendre la logique des marchés à l'ensemble des domaines de la vie sociale." Ne faisons pas cocorico : décidemment, plutôt Evo Morales ou, à titre posthume, Hugo Chavez !</p> <p><i>Le blog de Gérard Belorgey : <a href="http://www.ecritures-et-societe.com/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.ecritures-et-societe.com</a></i></p></div>
LE PS N'A JAMAIS REFLECHI A UN MODELE ECONOMIQUE ALTERNATIF
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article18602014-08-08T12:51:41Ztext/htmlfrGérard BélorgeyAu moment où des nominations - des gestes un peu provocateurs - symboliques agacent à juste titre et semblent bien indiquer la recherche de confluences pour faire, dans un certain consensus, "sauter des verrous de la société française ", on est fondé à se demander s'il ne s'agit pas de la poursuite d'un alignement euro-libéral sans fin, accompagné de quelques renvois d'ascenseur entre concurrents se soutenant mutuellement pour la bonne cause ? Dans ce désert de la (...)
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<div class='rss_texte'><p>Au moment où des nominations - des gestes un peu provocateurs - symboliques agacent à juste titre et semblent bien indiquer la recherche de confluences pour faire, dans un certain consensus, "sauter des verrous de la société française ", on est fondé à se demander s'il ne s'agit pas de la poursuite d'un alignement euro-libéral sans fin, accompagné de quelques renvois d'ascenseur entre concurrents se soutenant mutuellement pour la bonne cause ?</p> <p>Dans ce désert de la pensée - que ne renouvelle pas la promotion Voltaire passée dans le moule de l'ENA post soixante-huitarde - ce qui manque au PS, sur le fond, et de longue date, c'est une réflexion doctrinale critique du levier majeur du capitalisme financier. Selon la religion des banques, ce qui fait l'attractivité d'un territoire et donc ses chances d'emplois, c'est le "total return" du capital investi, soit le taux de marge + les plus (ou moins) values sur cessions comparé à ceux des autres pays</p> <p>Aussi, lorsque j'ai entendu le président reprendre l'antienne du Medef selon lequel le taux de marge français était le plus bas des pays avancés (le taux de marge moyen interactivités n'ayant aucun sens et la notion de capacité concurrentielle nationale - qui est faite de choses complexes - étant effacée au profit de celle de compétitivité par les prix, ce qui est un concept comptable), j'ai senti qu'on franchissait la ligne jaune nous portant vers les concours de moins-disance sociale.</p> <p>Parce qu'il n'a jamais été réfléchi à un modèle économique alternatif tandis que l'appel à une politique de la demande n'en est pas un et ne serait pas plus efficace que la politique de l'offre, les recettes keynésiennes ne pouvant donner de bons résultats nationaux dans une économie mondiale ouverte. C'est dire que les alternatives proposées à gauche - moins d'austérité - ne sont guère viables non plus (comme l'a prouvé l'échec - augmentation de la dette sans restauration de potentiel - d'une politique d'injections de liquidés publiques entre 2008 et 2011). Le manque est bien celui d'un schéma économique français qui n'a, non plus, aucun avenir, dans un mimétisme envers l'Allemagne dont la situation des facteurs est, à tous titres, différente (cf. G. Duval, "Made in Germany ») et tous les symboles (comme ceux qui résultent de nominations porteuses de signification) aggravent le sentiment que les Français ne maîtrisent plus aucunement leur destin, ce qui est le vecteur des votes contestataires. Alors que satisfaire les attentes majoritaires de nos concitoyens supposerait qu'on ose chercher à répondre à quatre points essentiels : peut- on faire évoluer l'euro jusqu'à ce que la BCE puisse prêter en direct aux États et, plus généralement, obtenir un taux d'inflation satisfaisant en Europe, alors que sa première puissance industrielle joue la devise forte et la déflation, et si c'est impossible, pourrait-on retrouver la souveraineté monétaire hors euro ? Pourrait-on obtenir des protections commerciales à l'égard de pays externes à l'UE et à l'égard même du dumping intra européen ? Serait-il possible que les règles du jeu européen soient aussi assouplies pour que le catéchisme camouflé en vigueur (pas de risque de "fausser la concurrence" par des mesures sélectives de soutien de telle ou telle activité) ne nous oblige à un inadmissible gaspillage budgétaire (payé par les contribuables des plus modestes aux plus exposés) en aidant toutes les entreprises, alors que certaines seulement en ont besoin ? Les pouvoirs publics français ne devraient-ils pas plutôt s'appuyer sur une part significative de capitalisme d'État (ce capitalisme là n'exigeant pas l'inégalité pour obtenir l'investissement et permettant le choix des priorités ; notamment pour faire "la transition énergétique" et pour prendre des participations publiques dans tous les secteurs porteurs ?</p> <p>C'est à ces voies qu'il convient au moins de réfléchir et surtout en ne croyant pas, avec les naïfs keynésiens, qu'une politique de moins d'austérité et de soutien par la demande serait le fil à couper le beurre pour avoir croissance et emploi. Le désert de la pensée c'est que les gens aux affaires comme les opposants au sein même de leur camp ne sortent jamais suffisamment des sentiers battus et rebattus ... dont les éboulis portent aux abîmes.</p> <p><i>Le blog de Gérard Belorgey : <a href="http://www.ecritures-et-societe.com/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.ecritures-et-societe.com</a>
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