La Gauche Cactus
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frSPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP)La Nupes, chapitre 3 : ce qu'elle a, ce qu'elle n'a pas… et gare aux égarements
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article29052023-08-29T23:21:00Ztext/htmlfrJean-Luc Gonneau<p>La Nupes a un trésor : son programme, et une faiblesse majeure, une implantation territoriale déficiente. Jean-Luc Gonneau poursuit sa réflexion sur l'avenir, ou pas sur la Nupes, rassemblement d'histoires différentes et parfois pesantes.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Nous poursuivons ici nos analyses à propos de l'avenir, ou pas, de la Nupes. Dans les deux numéros précédents, nous avons évoqué quelques soucis d'organisation, et un état des lieus et des positions de chaque composante face aux prochaines échéances électorales. Depuis sa création, il y a deux ans, elle a pu compter quelques acquis, parfois fragiles, mais aussi des faiblesses, certaines inhérentes à son jeune âge Essayons de débroussailler.</p> <p>Le principal acquis de la Nupes, son « trésor », c'est son programme, élaboré il y a deux ans et validé par toutes ses composantes. Depuis, de nombreuses études d'opinion ont montré qu'une majorité de nos concitoyens adhèrent à nombre de ses propositions : salaires, retraites (sur ce point précis, l'approbation est massive), pouvoir d'achat, imposition des grandes fortunes, santé, logement, enseignement, soit une très large partie des principales préoccupations de la population. Paradoxe : si cette adéquation se vérifie point par point, elle est moins certaine sur son ensemble. Doute sur la faisabilité de l'ensemble ? La droite et l'extrême droite (au passage, on peut se demander où est la frontière entre les deux. De quoi regretter Chirac…). Un programme « communiste », selon un cacique des Républicains (le parti, pas les défenseurs de la république), « trotskiste » même, hulula un autre, qui n'avait probablement jamais lu une ligne de et sur Trotski, mais pensait finement faire allusion au lointain passé de la jeunesse de Jean-Luc Mélenchon. A ce sujet, rappelons l'aphorisme estampillé 100% Gauche Cactus de João Silveirinho : « l'enthousiasme et les erreurs sont constitutifs de la jeunesse ». « De quoi ruiner la France », s'étrangla le fan-club de Bruno Le Maire qui, lui, se contente de ruiner consciencieusement les français (mais pas tous, hein, pas vrai Arnault, Bettencourt, Bolloré, Pinault, Pouyade and co ?). Tout cela pour tenter de masquer que le programme Nupes était chiffré (ceux des concurrents pas vraiment) et équilibré. Ce programme constitue une base solide, non seulement pour les prochaines échéances mais aussi pour l'animation politique des débats à venir tant à l'Assemblée que dans le pays. A ce sujet, nos députés seraient bien inspirés de s'y référer publiquement le plus souvent possible plutôt que le repeindre, par ordre alphabétique, en communiste, écolo, insoumis ou socialiste, ce qui n'empêche en rien chaque groupe de faire ses propres propositions lorsque le programme qui leur est commun est muet ou incomplet. Cela contribuerait à faire exister la Nupes.</p> <p> Car sur le terrain, dans nos villes et nos campagnes, la Nupes n'existe pas, hors de rares initiatives locales qui plus rarement encore s'inscrivent dans la durée. Et la présence sur le territoire de ses composantes est loin de compenser cette faiblesse. Deux de ses composantes ont une histoire plus que séculaire et sont présentes, en bien ou en mal, dans la mémoire et l'imaginaire collectif : le Parti Socialiste et le Parti Communiste. Le premier, dont l'histoire fut marquée par deux grandes figures, Léon Blum et François Mitterrand quelles que soient les critiques, souvent justifiées, à son sujet), mais parfois abîmées, notamment au moment de la guerre d'Algérie, a du mal à se remettre de la catastrophe du mandat de François Hollande : arrivé au pouvoir avec la gauche majoritaire à l'Assemblée et même (pour la première fois !) au Sénat, contrôlant la quasi-totalité des exécutifs régionaux et près des trois-quarts des départementaux, domination dont il ne restera, cinq ans plus tard, que lambeaux. Le Parti Communiste, extrêmement puissant après la seconde guerre mondiale, implanté dans les villes mais aussi dans une bonne partie, au centre et dans le sud, de la « France agricole », a connu aussi quelques grandes figures, tels Maurice Thorez, qui le dirigea pendant trente ans, mais défenseur de Staline, ayant même tenté d'installer en France un culte de la personnalité à son profit, copié sur celui du « petit père des peuples (Thorez était, lui. « fils du peuple », titre d'un livre qui fut diffusé à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, un tirage à faire rêver Bruno Le Maire et Marlène Schiappa, les fringants écrivains vedette de la macronie). Après la publication du rapport Khrouchtchev qui révélait les crimes staliniens (et dont Thorez tenta malheureusement de retarder la diffusion en France), le PCF a longtemps porté comme un boulet son long alignement sur l'URSS de Staline, aggravée par le rétrécissement quantitatif de sa base ouvrière et connu une lente mais continue descente tant au niveau électoral qu'au niveau de la force militante. Si le PS conserve encore un réseau d'élus locaux non négligeable quoique plus clairsemé, le PCF, à chaque élection, perd plus de fiefs qu'il n'en conserve. Notamment, son hégémonie sur la « banlieue rouge » francilienne est maintenant un souvenir (reconnaissons ici que les manœuvres parfois tortueuses du PS dans ces départements n'ont pas aidé). Tant le PS que le PCF ne rassemblent plus que quelques dizaines de milliers d'adhérents, dont évidemment moins d'actifs.</p> <p>Les Ecologistes (nouveau nom d'EELV-les Verts) commencent à avoir une histoire dans le champs politique, Elle a commencé en 1974 avec la candidature à l'élection présidentielle de René Dumont, militant et universitaire respecté. Une candidature issue du rapprochement associatifs et non de partis politiques. Le monde associatif a toujours été méfiant envers les partis politiques, non sans raison, et il a fallu presque une dizaine d'années pour qu'une organisation politique émerge, dont le premier dirigeant, Antoine Waechter, défendra une ligne « ni ni » (ni de droite, ni de gauche), et une dizaine d'années encore pour qu'en 1994 les Verts se tournent vers la gauche sous l'impulsion notamment, de Dominique Voynet, Noël Mamère, Cécile Duflot, et Daniel Cohn-Bendit (qui quittera les Verts en 2012 et rejoindra Macron en 2916, comme quoi la vieillesse peut parfois à la sagesse, mais aussi au naufrage). Parsemée de multiples conflits internes qui ont pu parfois mettre en doute sa crédibilité, le parti écologique a cela dit contribué à la popularisation des enjeux environnements, devenus décisifs pour encore bien des années, et leur a permis de construire un réseau, encore limité mais conforté par la conquête, avec des listes d'union, de villes importantes. C'est positif, mais au niveau du terrain militant, leur vingtaine de milliers d'adhérents limitent leurs capacité d'action.</p> <p>Les deux autres organisations constituant la Nupes, Génération, s et La France Insoumise, dont l'histoire est courte, puisqu'issues toutes les deux de la faillite du « socialisme » sauce Hollande, Organisations jeunes ayant une filiation ancienne donc. Créée autour de Benoît Hamon, qui s'est depuis (momentanément ?) éloigné, Génération.s se veut un pont entre l'écologie et le socialisme, un créneau difficile à défendre car très fréquenté, Utile en tant que laboratoire d'idées, vierge, privilège du jeune âge, des vicissitudes qu'entraîne le fil du temps, Génération.s n'a pas d'implantation significative sur terrain et ne dispose que d'une portion congrue de l'espace médiatique, où la concurrence est féroce, Pour LFI , principale force parlementaire de la gauche, les problèmes sont différents ; on verra ça dans le prochain numéro ?</p></div>
Anomie ?
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28992023-08-25T22:26:00Ztext/htmlfrSaûl Karsz<p>Principal animateur du groupe Pratiques Sociales, Saül Karsz analyse le terme « climat » dans son acception tant climatique que politique les deux étant liés via le prisme des sciences sociales et y décèle un risque d'anomie (disparition de valeurs communes) sous la pression du néo-libéralisme. Chacun, conseille-t-il, serait bien venu de s'y opposer en participant aux actions de résistance face à ce danger.</p>
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<div class='rss_texte'><p>Étonnant climat, actuellement, en France.</p> <p><strong>Climat météorologique</strong>, tout d'abord. Au beau milieu de chaleurs estivales qui battent tous les records, des pluies drues se déchainent qui ne rafraîchissent guère l'air ambiant car il continue de faire lourd, pesant. S'en protéger paraît plutôt inutile car ces pluies ne durent pas longtemps et la chaleur est toujours là qui rend encombrants les imperméables, casquettes et autres parapluies. Et ce ne sont pas les incendies gigantesques ni la transhumance forcée des populations et des touristes qui allègeront la situation. Bref, la question est : comme faire avec ce fatras, métaphore d'autres climats contemporains tout aussi profondément détraqués ?</p> <p><strong>Climat politique.</strong> La liste est ici bien plus longue que la précédente. Plus d'un million d'euros offerts à un policier victimaire à sang froid d'un jeune banlieusard de 17 ans. Ministre (de la justice !) déféré en Cour de Justice de la République pour un probable conflit d'intérêts. Un grand chef de la police expliquant que les agents suspects de grave abus de pouvoir ne doivent pourtant pas aller en prison avant de passer en justice (auquel cas il faudrait libérer des milliers de prévenus non-policiers). Mise en arrêt réel pour maladie fictive d'une partie des forces policières qui fraudent ainsi la Sécurité Sociale. Ministre qui est l'autorité de tutelle de la directrice adjointe de l'Assurance maladie, son épouse : aucun conflit d'intérêts entre les conjoints, décide la Haute autorité pour la transparence [sic] de la vie publique. Olympique réponse présidentielle à la révolte désespérée et désespérante des banlieues pauvres : triple appel à l'Autorité, à l'Autorité, à l'Autorité. Liste largement incomplète, bien entendu. La question est : comme faire avec ce fatras ?</p> <p><strong>Climat social</strong>, également. Urgences hospitalières ou ambulatoires en déliquescence avancée, quasi-impossibilité de se faire soigner si on manque de médecin attitré, paupérisation de vastes cohortes d'étudiants, crise du logement, résignation forcément rancunière face aux violences policières qui, explique un ministre, n'en sont pas, inflation et coût de la (sur)vie qui ne font pas que des malheureux… Des traits de la vie quotidienne en découlent, qui alourdissent encore le climat : courtoisie, déférence minimale, souci d'autrui sont de moins en moins usités dans les relations de voisinage, les transports, les marchés, dans la rue ; renfermement généralisé dans des bulles conjugales, familiales ou de quartier, crispations de toutes sortes, défiance spontanée envers autrui, perçu comme une menace… La question est : comme faire avec ce fatras ?</p> <p>Émile Durkheim (1858-1917), un des fondateurs de la sociologie, forge la notion d'anomie, très répandue dans et hors la discipline. Elle désigne moins l'absence pure et simple de normes que, plus précisément, l'ébranlement du respect des normes, l'effilochement de la croyance en la nécessité des règles communes, la méfiance envers les références partagées, la certitude croissante d'après laquelle faire société revient à se faire avoir. Les normes continuent d'être en vigueur, créditées d'une confiance en baisse constante. Quelque chose comme des superstructures aléatoires, incertaines. Le monde continue, une partie notable de ses occupants n'y croit guère.</p> <p>Certes, le tableau dessiné ci-dessus comporte, et c'est heureux, de notables exceptions, actuelles et passées. Il dessine une tendance puissante et entreprenante, pas (encore ?) une catastrophe complète. D'ailleurs, aucune société n'a jamais manqué de conflits, plus d'une fois mortifères. Sont aujourd'hui accentués des comportements déjà en cours précédemment. En même temps, des inégalités de toutes sortes et en tous domaines, décomplexées, revendiquées comme telles, triomphent. Des courants conservateurs organisés et informels montent en vigueur et en influence. Une hypothèse raisonnable sur les fatras contemporains passe ainsi par la notion d'anomie. En effet, nous vivons actuellement les multiples effets d'une société submergée par le néo-libéralisme et ses orientations ouvertement fascisantes. Ces effets sont économiques et politiques, et également éthiques, individuels et collectifs, interpersonnels et institutionnels, pratiques et théoriques, intellectuels et affectifs. Les modalités de coexistence, non seulement de production et de consommation, sont aujourd'hui en cause. Des analyses fines pourraient montrer ce qu'il en est au cas par cas. Le montrer dialectiquement : tout ne va pas de pire en pire pour tout le monde…</p> <p>Parce qu'il s'agit bien d'une tendance et pas (encore ?) d'une situation complètement généralisée, nous nous devons de rester en éveil, soucieux de ne pas collaborer aux multiples dévastations en cours, engagés dans des œuvres associatives, syndicales et politiques qui, classiques ou renouvelées, tentent de sauvegarder des espaces de respiration et d'ouverture collectives. A chacun de voir ce qu'il peut faire, ce qu'il veut faire, pour les autres et pour lui, à quoi il tient à ne pas ou à ne plus se prêter. Faute de solution magique, il reste juste et rien de moins que des luttes longues, difficiles, menées avec autant d'opiniâtreté et de lucidité que possible, à succès nullement garanti. Des luttes indispensables, car la neutralité, les abstentions, les narcissismes de l'entre-soi sont des formes courantes de collaboration avec le nouvel ordre du monde. Urgence climatique, urgence politique, urgence sociale, urgence subjective : différents fronts d'un seul et même combat.</p> <p><i>Article paru dans <a href="https://www.pratiques-sociales.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://www.pratiques-sociales.org</a></i></p></div>
Démocratie : ritournelle incantatoire ou pratique à approfondir ?
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28562023-05-03T14:25:00Ztext/htmlfrSaûl Karsz<p>Nous apprécions ici les subtiles analyses de philosophe Saül Karsz, un socio-philosophe de notre temps qui nous éclaire dans cet article sur ce paradoxe : tout le monde se pose en défenseur de la démocratie mais chacun en a une conception différente, et bien peu pensent aux conditions de sa mise en pratique.</p>
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<div class='rss_texte'><p>La réforme néolibérale contre les retraites, même devenue loi, n'est en rien une affaire close. Il ne s'agit nullement d'une parenthèse dont la fermeture permettrait de reprendre le cours réputé normal des choses. Une empreinte très certainement indélébile a été tracée, dont les effets sont loin d'être, tous, éclos.</p> <p>Chemin faisant, des opposants et même quelques fidèles demandent à l'actuel président français d'être à l'écoute, d'entendre les colères qui montent, de s'ouvrir aux attentes et aux désespérances qui traversent la société française. Mais il ne le peut pas ! Ce n'est pas une question de volonté. Sont en jeu ses caractéristiques personnelles, lesquelles, loin d'exister en l'air sont marquées du sceau ancestral de sa classe sociale d'origine et d'appartenance : « arrogance nourrie d'ignorance sociale », selon l'historien Pierre Rosanvallon. Ces caractéristiques se font jour lors d'une conjoncture singulièrement grave, à enjeux multiples. En effet, des pans entiers de l'ordre du monde sont, plus que questionnés, démembrés, individus et groupes lésés et déçus y sont majoritaires. Ce qui paraissait, il y a peu encore, normal et nécessaire l'est de moins en moins. Des salariés de plus en plus nombreux ne veulent plus de l'inégalité criante en matière de salaires et de conditions de vie, tout comme de futurs professionnels renoncent à l'avenir plutôt confortable qu'ils trouvent décevant et socialement malsain qui les attend. Implacable naturalisation des différences et des clivages, dégradation de pratiquement tous les services, pas que publics d'ailleurs : serait-ce enfin « le nouveau monde » tant vanté ? La réforme néolibérale des retraites et sa répudiation par la grosse majorité de la société s'y inscrivent complètement. Dans ces circonstances, écouter et agir en conséquence, délibérer et tenir compte des arguments dissidents, s'ouvrir à ce qui ne nous ressemble pas mais pourrait nous faire grandir – voilà des exercices démocratiques qui n'ont rien d'évident. Et ce n'est pas parce que la droite s'y refuse complètement que toute la gauche s'y livre sans discontinuer.</p> <p>La question démocratique se joue dans les fonctionnements institutionnels, dans les rapports administration-administrés, dans les liens parentaux et de couple, dans l'accès aux richesses collectivement produites et systématiquement privatisées, dans le mépris envers les gens d'en-bas et la fatuité dont se drapent ceux d'en haut. Elle se pose dans le déroulé des relations de travail et non seulement à propos des revenus. En fait également partie, en matière d'intervention sociale et médico-sociale, la différence politique et subjective, idéologique et clinique entre prise en charge et prise encompte. En-deçà et au-delà du binôme infernal composé par l'individualisme (si narcissique, si petit-bourgeois) et le collectivisme (si populiste, si peu créatif).</p> <p>Dans la sphère publique autant que dans la vie privée, la question démocratique bat son plein. Sous des modalités diverses, elle se pose partout. Rares sont les moments où elle a revêtu une telle acuité, une telle urgence, une telle gravité. Autant rappeler que ce n'est ni un homme ni même un parti qui sont finalement en cause, mais une politique, une manière de gouverner et des objectifs de gouvernement, des styles de vie, des manières de penser et de ressentir.</p> <p>Vivons-nous déjà en démocratie ou bien s'agit-il d'une démocratie approximative – effective pour les uns, écrasante pour les autres ? La question est bien celle-là, en effet. Les contenus et la portée de cette réforme contre les retraites ainsi que l'itinéraire autoritaire emprunté pour la valider montrent que le néolibéralisme n'a que faire même des formes plus ou moins démocratiques aujourd'hui en vigueur. Formes qu'on veut bien dans le décor mais aucunement au cœur de la pièce, ni dans son déroulé. La formule « démocratie libérale » ressemble de plus en plus explicitement à un oxymore. Le montrer à ciel ouvert est le seul intérêt de cette réforme.</p> <p>« Démocratie » : slogan vite dépoussiéré le temps d'un discours et plus vite encore remisé dans son écrin fermé à double tour ou bien exigence jamais entièrement accomplie, pratique de tous les jours à approfondir sans relâche ? En ce dernier cas, il ne suffit plus de s'opposer, ni même de se révolter. On a tout intérêt à aller au-delà de la colère. Construire et partager des passions gaies, dirait Spinoza : interroger les évidences, repenser le monde, forger des destins qui ne soient pas des condamnations, ne pas vivre pour travailler mais travailler pour vivre, édifier une société où il ferait bon exister. Parce que la question n'est pas facile, ni ne va surtout de soi, le temps des spectateurs qui comptent les points est bel et bien dépassé. La responsabilité de tout un chacun dans ce qui arrive et dans ce qui pourrait arriver est engagée. La victimisation n'est vraiment pas de mise. On ne saurait prétendre « je ne savais pas... ! ». Peu ou prou, nous habitons le monde que nous méritons.
<i>Article paru dans Le pas de côté</i></p></div>
La réforme des retraites, évènement et symptôme
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28372023-03-13T18:09:00Ztext/htmlfrSaûl Karsz<p>Principal animateur du réseau Pratiques sociales, le philosophe Saül Karsz utilise dans ses analyses toute la palette des sciences sociales. D'où une analyse originale de la crise créée par le projet de réforme des retraites</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p><strong>Evénement</strong>, la réforme marque un nouvel épisode dans l'emprise néolibérale sur les sociétés contemporaines. Elle est tenue d'être autoritaire, ne peut guère céder aux revendications des classes moyennes et populaires car les enjeux sociaux sont trop graves, la conjoncture de plus en plus difficile, maintenir la situation respective des différentes couches et classes sociales les unes vis-à-vis des autres de plus en plus étriqué. La surdité des promoteurs de cette réforme est proportionnelle à leur écoute attentive des marchés. Moderniser la société, soit la rendre encore plus libéralement compatible, est à ce prix.</p> <p><strong>Symptôme</strong>, cette réforme qui ajoute deux ans à la période de travail obligatoire (sic) pour les salariés en leur enlevant par là même autant de temps et d'énergies consacrés à d'autres activités, ne se réduit pas à son volet comptable, ni même économique. Telle est sûrement la seule certitude partagée par partisans et adversaires de la réforme. D'après ce qu'on peut savoir au travers du maquis enchevêtré de mensonges et autres fake news, sauver les finances publiques n'est pas nécessaire puisque celles-ci se portent suffisamment bien : en attestent les aides faramineuses octroyées aux entreprises, la plupart sans contrepartie, pendant la période Covid. Ce sont des modes de vie qui sont en jeu, la tenue des multiples services essentiels offerts à la communauté, l'accès à certaines activités, à certains droits et devoirs, la possibilité de plaisirs et de jouissances constamment différés. D'un point de vue statistique, allonger de 2 ans la vie au travail réduit d'autant l'espérance de vie des classes populaires. Bref, nous sommes aux prises avec une réforme existentielle. S'agirait-il du « nouveau monde » promis jadis par le président de la République ?</p> <p><strong>Evénement et symptôme</strong>, cette réforme dit qu'il n'y a pas de droits acquis pour toujours, de situations irrévocablement pérennes, de liens individuels et collectifs muséifiés. Même les classes possédantes se doivent d'accroitre régulièrement leurs richesses, d'étendre sans cesse leur emprise. Obligation est faite à tout un chacun de choisir son camp, d'un côté ou de l'autre : choix polarisé, extrême, drastique, parce que tels sont les temps que nous vivons. Autant dire que de ce qui arrive, et de ce qui n'arrive pas, nous restons irrémédiablement co-responsables.</p> <p><i>Article paru dans <a href="https://www.pratiques-sociales.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://www.pratiques-sociales.org</a></i></p></div>
L'extrême droite s'enracine dans le monde
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http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article28282022-12-25T15:13:56Ztext/htmlfrMichel Rogalski<p>Directeur de la revue Recherches Internationales, Michel Rogalski nous propose une synthèse fine des causes des progressions des « idées » et des organisations d'extrême droite au niveau mondial, et quelques pistes pour la contrer.</p>
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<div class='rss_texte'><p>Aujourd'hui l'extrême droite s'empare le plus souvent du pouvoir par la voie électorale. Les putschs des colonels grecs ou des généraux brésiliens ou argentins remontent aux années soixante. Les idées de cette nébuleuse multiforme ont progressé au point de l'autoriser à penser à des alliances pour accéder au pouvoir qui devient son objectif affirmé.</p> <p>Quel que soit son visage, l'extrême droite, presque toujours xénophobe, se nourrit des peurs, des frustrations et des précarités générées et alimentées par la crise. Elle progresse sur des sociétés fragilisées dont les repères et les valeurs sont heurtées. Les gros bataillons ne viennent plus en Europe des groupuscules violents ou paramilitaires et souvent nostalgiques du nazisme qui, tolérés ou non, perdurent encore de façon marginale et folklorique dans la vie politique. Certes, des filiations idéologiques avec cette famille politique peuvent être objectivées pour quelques dirigeants, mais pour l'essentiel le discours, les formes d'action, les milieux influencés se sont tellement modifiés qu'ils inclinent plutôt à penser en termes de ruptures que de continuités. En quelques décennies l'extrême droite a réussi à sortir d'un ghetto politique où elle avait été cantonnée et à imposer ses thèmes de prédilection dans le débat politique. Sa montée en puissance a accompagné ce qu'on a appelé le virage à droite des sociétés dont les droites se sont radicalisées au point de se rapprocher des formes les plus extrêmes.</p> <p>L'évolution du parti conservateur britannique ou du parti républicain sous l'influence de Trump illustre ce type de dérive qui ouvre un champ des possibles pour l'extrême droite. Les stratégies seront diverses. Pour certains une posture d'alliance avec la droite conservatrice sera privilégiée et permettra une participation au pouvoir. Des partis de droite radicale, autrefois à la marge des scrutins électoraux, et réputés « infréquentables », deviennent désormais, par leur progression fulgurante, des incontournables aux yeux d'une droite plus classique, pour exister électoralement. Pour d'autres, faute d'avoir réussi à se rendre fréquentable, la perspective tracée sera celle de la déstabilisation du système politique perçu comme obstacle à toute avancée vers le pouvoir. Là où en France, en Suède ou en Italie l'extrême droite cherchera à se « dédiaboliser » non sans succès, ailleurs avec Trump, Bolsonaro, Modi, Poutine on assistera plutôt à une fuite en avant. Mais, dans tous les cas de figure, posture d'affrontement ou participation, l'effet sera le même, celui d'une droitisation de la société et du recul des valeurs progressistes. Montée des égoïsmes, repli individuel, abandon des acquis sociaux, recul des solidarités, refus des différences, recherche de boucs émissaires, traduiront le déplacement du curseur idéologique. Car il faut comprendre que cette extrême droite n'est pas sans racines culturelles historiques, au point de pouvoir animer et développer une « contre-culture ».</p> <p>Le monde arabo-musulman, du Sénégal au Pakistan, soit largement plus d'un milliard d'hommes, a vu se développer en une trentaine d'années des formes d'intégrisme religieux qui s'apparentent à un fascisme vert prenant partout violemment pour cible les forces progressistes et démocratiques et ayant le projet d'imposer la prééminence de principes théocratiques sur l'espace social et politique. En Afrique noire, les sectes évangélistes prospèrent et véhiculent des valeurs rétrogrades, tandis qu'en Amérique latine elles ont toujours été associées aux formes extrêmes des dictatures militaires ou des régimes les plus conservateurs. Nationalisme et identités religieuses et culturelles sont instrumentalisés en Inde par le gouvernement de Narendra Modi.</p> <p>Partout, ces mouvements, surfant sur l'air du temps, ont su tout à la fois faire coaguler des aspirations diverses, utiliser les techniques les plus modernes de la communication de masse et se retrouver à l'aise dans une mondialisation qu'ils leur arrivent parfois de pourfendre. Selon les pays et les situations, les thèmes seront simplifiés et caricaturés par des leaders qui ne s'embarrasseront pas de complexité et chercheront avant tout à déstabiliser le système politique en présentant ses élites comme incompétentes, corrompues, complices de forces obscures menaçant l'intérêt national et insensibles aux besoins du peuple. Les boucs émissaires seront vite trouvés. Ici l'immigré, là le profiteur de l'État-providence ou le fonctionnaire, sauf s'il est policier, douanier ou soldat, car l'ordre musclé n'est jamais rejeté. Ou encore, la région pauvre et paresseuse parasitant la région riche et besogneuse sera montrée du doigt et invitée à se séparer. L'anti-fiscalisme et le rejet de l'étatprovidence seront mis en avant, notamment dans un continent comme l'Europe où l'état a toujours été affirmé et tenu pour responsable des solidarités nécessaires. Ailleurs, la présence d'une forte immigration habilement associée à une montée de l'insécurité, vraie ou fantasmée, sera un effet d'aubaine. On assiste même aujourd'hui à des tentatives de réhabilitation de la colonisation en exaltant ses soi-disant bienfaits, suggérant par là qu'il ne s'agissait que de civiliser des « barbares » qui devraient nous en être reconnaissants. Des sentiments identitaires caractériseront souvent cette mouvance. Flattés à l'échelon national, ils nourriront une forme nationaliste d'opposition à l'Europe et à la mondialisation ainsi qu'à l'idéologie qui l'accompagne, le mondialisme. Mais déclinés sur un mode régionaliste voire séparatiste, ils remettront en cause le modèle national en se jouant de l'Europe flattant les régions.</p> <p>À l'évidence, ce fonds de commerce prospère. Mais centré sur des identités et des particularismes, il peine à se constituer en internationale effective à l'échelle du monde et arrive difficilement à tisser des réseaux de relations efficaces même s'il multiplie rencontres et sommets. On n'a pas vu apparaître véritablement une Internationale Brune. Mais on aurait tort de sous-estimer le rôle joué par certains États, notamment la Russie pour flatter et encourager ces mouvements. Tout autant que les maints voyages de John Bolton eu Europe et ailleurs dans le monde pour favoriser un tel projet.</p> <p>L'idéologie de l'extrême droite est finalement assez simple : il faut préserver. Qu'il s'agisse de la race, de la nation ou de la civilisation face au « barbare » qui est aux portes ou déjà à demeure ; ou bien des valeurs ancestrales menacées – travail, famille, religion–, de l'ordre établi bousculé par toute évolution de société. Il faut défendre tout cela parce qu'on s'est persuadé que c'était ce qu'il y avait de meilleur, donc de supérieur aux autres. Il faudra même lutter contre la science si elle en vient à contredire nos convictions profondes, notamment religieuses. Le recours à l'affrontement, à la tension, voire à la guerre, ou la construction de dangers, de menaces ou d'ennemis, seront systématiquement recherchés pour entretenir une cohésion sociale ou communautaire contre « les autres ». On comprend combien ces « idées », ces phobies ou ces croyances rentrent en totale opposition avec toute avancée progressiste porteuse de valeurs de solidarité et de progrès. Le choc ne peut être que frontal et sans concessions.</p> <p>C'est dans la violence que la mondialisation a imposée aux peuples et aux états que réside probablement la cause principale de ce bouleversement du paysage politique. Ses effets délétères ont ravagé les souverainetés nationales garantes des protections que l'état devait à ses populations, et de la préservation des identités de chaque pays. Le spectacle de gouvernements successifs incapables d'agir efficacement sur des problèmes considérés comme essentiels et se retranchant derrière la contrainte externe pour se disculper de leur inaction ou de leur incapacité à obtenir des résultats, a créé le terreau sur lequel a germé ces postures xénophobes et identitaires. La précarité et le chômage se sont développés sur une grande échelle touchant d'abord les plus démunis et les plus exposés et affolant des classes moyennes craignant d'être happées dans le désastre. Ces dernières catégories constituent le socle le plus fidèle de cette droite extrême car elles reprochent à ceux d'en haut de donner à ceux d'en bas avec leur argent, au risque de les déstabiliser. C'est pourquoi toute solidarité et assistance sont bannies de leur horizon mental.</p> <p>Bien qu'embarrassant à la fois la droite traditionnelle et la gauche, cette montée identitaire et xénophobe lance un défi particulier à cette dernière qui n'a pas su offrir une alternative crédible à ces bataillons ouvriers et populaires qui l'ont abandonnée. Elle n'a peut-être pas pris la mesure de la portée de l'effondrement du monde soviétique qui a ouvert un boulevard à toutes les formes de conservatisme. La montée des extrêmes droites en constitue un contrecoup. Elle n'a peut-être pas compris que réfuter certains mots d'ordre – au nom que l'extrême droite s'en était emparés – ne pouvait que la cornériser si ces idées devenaient populaires. Très tôt l'extrême droite a su habilement faire main basse sur les thèmes de la souveraineté, de la laïcité, des migrations au point de tétaniser les forces de gauche. Comment par exemple faire la fine bouche sur le thème de la souveraineté ? C'est quoi le contraire ? La soumission, l'inféodation, l'abaissement, l'obéissance ? Dossier implaidable. Les sondages confirment que les thèmes préemptés par la droite séduisent les couches populaires. Faut-il leur abandonner ? La montée de l'extrême droite se constate avant tout par la montée de ses scores électoraux, donc par l'effondrement de ceux de la gauche. S'interroger sur les succès de l'une ne peut se faire sans questionner l'affaiblissement de l'autre.</p> <p>L'absence de vraies réponses de la part de la gauche, au programme peu audible car insuffisamment différencié de celui de la droite et suggérant un consensus mou sur la mondialisation, la construction européenne, le social, la réponse à la crise, ont favorisé l'illusion d'un système pipé dont il fallait sortir par l'extrême droite. Celle-ci a su accueillir ces ruisseaux de mécontents et transformer leur démarche protestataire en vote de conviction et d'adhésion par définition moins versatile. Regagner ces voix, voire arrêter l'hémorragie, ne sera donc pas tâche facile. Redonner sens au clivage gauche/droite, ne pas confondre social avec sociétal, être clair sur les couches dont on défend les intérêts et intransigeants sur toute dérive xénophobe deviendront très vite des postures incontournables pour les forces politiques se réclamant de la transformation sociale</p> <p><i>Article paru dans la revue Recherches-Internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div>
Changer de constitution pour changer de régime ?
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2784
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article27842022-08-09T23:44:00Ztext/htmlfrCharlotte Girard, Vincent Sizaire<p>La proposition de mettre en place une nouvelle constitution par Jean-Luc Mélenchon ne fut pas, on ne peut que le regretter, un thème central de la récente campagne présidentielle. Quelque mois auparavant, deux juristes universitaires, Charlotte Girard et Vincent Sizaire, publiaient un article sur ce thème dans l'intéressant blog internet Theconversation.fr, que nous reproduisons ici, et qui décrit bien la nécessité d'une telle mesure, pour redonner à la France un élan démocratique aujourd'hui malmené. Signalons au Passage que Charlotte Girard joua longtemps un rôle central dans la production intellectuelle de la France insoumise, et que, si vous voulez notre avis, son éloignement est une grosse perte pour cette organisation.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Contrairement à ce que pourrait laisser penser une observation rapide du débat public à l'occasion de la prochaine élection présidentielle, la question du passage à une nouvelle République n'est ni récente, ni l'apanage de certains candidats à la fonction suprême. Dès les premières années de la Ve République, le « coup d'État permanent » que permettait le nouveau régime fut dénoncé par un certain… François Mitterrand. Et si ce dernier s'est finalement coulé à merveille dans des institutions autrefois honnies, nombreux sont aujourd'hui les chercheurs, mais aussi les mouvements citoyens, qui en appellent à un changement de constitution, sans parler des candidatures qui font cette proposition à chaque élection présidentielle.</p> <p>Dans une société démocratique, les textes constitutionnels visent à encadrer l'action du pouvoir de sorte à garantir qu'il s'exerce conformément à la volonté du peuple souverain. Cela passe en France, en particulier, par le respect par les gouvernants des droits fondamentaux et par l'interdiction de concentrer le pouvoir dans les mains d'un seul, comme le rappelle la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » C'est donc moins à sa capacité à assurer la stabilité du régime, qu'à la façon dont elle garantit – ou non – la représentativité des institutions qu'il faut juger une Constitution.</p> <p>Et, de ce point de vue, le texte actuel ne remplit pas véritablement sa fonction. Quand, scrutin après scrutin, le taux de participation électorale ne cesse de s'effriter, quand la composition sociale de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais également, de plus en plus, de leurs électeurs, ne reflète qu'une minorité de la société française – l'Assemblée nationale ne compte que 4,6 % d'employés et aucun ouvrier alors que ces catégories socio-professionnelles sont majoritaires) – quand la révolte des classes populaires « en gilets jaunes » de l'hiver 2018 tourne aussi rapidement à la confrontation violente, que reste-t-il de la représentativité des gouvernants ?</p> <p>Certes, la constitution actuelle ne saurait être la seule explication à cette crise institutionnelle. Mais en raison de sa fonction d'organisation de l'exercice du pouvoir d'État, elle en est nécessairement l'une des plus déterminantes.</p> <p><strong>Une centralisation du pouvoir toujours plus forte</strong></p> <p>Depuis 1958, la constitution organise invariablement une centralisation du pouvoir largement fondée sur l'hégémonie du pouvoir exécutif au sein de l'appareil d'État. Il n'est qu'à rapprocher la liste des pouvoirs que le Président peut actionner sans autorisation prévue à l'article 19 de la constitution et l'irresponsabilité qui caractérise son statut à l'article 67 de la même constitution.</p> <p>Pourtant, la volonté de maintenir un régime dans lequel le gouvernement devait avoir les moyens de sa politique aurait dû en principe réserver au parlement une place de choix pour partager la fonction législative avec un gouvernement responsable devant lui. Moins de la moitié des lois adoptées sont d'origine parlementaire alors que les propositions de loi sont beaucoup plus nombreuses que les projets de loi d'origine gouvernementale.</p> <p>Mais toute une série de dispositifs constitutionnels accumulés au cours de la longue existence du régime ont donné à ce dernier une légitimité passant désormais exclusivement par le président de la République, quitte à enjamber le pouvoir législatif. On pense ainsi à l'abandon de l'investiture obligatoire des gouvernements, le pouvoir de révocation du gouvernement par le président, le fait majoritaire renforcé par le quinquennat et l'inversion du calendrier rendant fictive la responsabilité gouvernementale et improbable une nouvelle cohabitation. Le gouvernement, c'est-à-dire le pouvoir exécutif, étant à l'initiative de l'écrasante majorité des projets de lois et maître de l'ordre du jour des assemblées, il dispose de tous les moyens de contrôler le travail parlementaire et de faire voter les textes qu'il souhaite, y compris en brusquant les débats en séance publique. On rappellera la tentative de coup de force du gouvernement Édouard Philippe à la veille de la crise sanitaire pour faire passer la réforme des retraites par l'article 49-3 forçant l'adoption sans débat du projet gouvernemental.</p> <p>Le gouvernement a aussi la possibilité de limiter voire d'interdire le dépôt d'amendements, de demander une seconde délibération, jusqu'à l'engagement de sa responsabilité sur le vote d'une loi, les moyens de pressions sur les députés et sénateurs sont nombreux et variés. S'y ajoutent un mode de scrutin très majoritaire et une opportune « inversion du calendrier » qui a consolidé la subordination de la majorité parlementaire au pouvoir exécutif. Ainsi dépossédé de l'essentiel de sa fonction, le parlement ne peut plus être le lieu privilégié du débat public sur les grandes orientations politiques de la Nation, un lieu où s'exprimerait une réelle diversité de points de vue.</p> <p><strong>Le pouvoir judiciaire, « simple autorité »</strong></p> <p>La situation du pouvoir judiciaire n'est guère plus enviable. Ravalé au rang de simple « autorité » dans les termes de la constitution elle-même, il n'est pas suffisamment à l'abri de l'influence du gouvernement, qui conserve la main sur les nominations des magistrats – ses propositions ne sont soumises à l'avis conforme du conseil supérieur de la magistrature que pour les juges et non les procureurs, qui ne peuvent dès lors prétendre à la qualification d'autorité indépendante au sens du droit européen – et, surtout, les moyens des juridictions. Or le degré d'indépendance de la Justice conditionne directement l'effectivité des droits et libertés des citoyens. Mais cette subordination des pouvoirs législatif et judiciaire serait impossible sans la domination exclusive du pouvoir présidentiel que permet le texte constitutionnel. Une domination garantie par une panoplie de mesures visant à définir un privilège présidentiel que la personnalisation du pouvoir n'a cessé d'amplifier.</p> <p><strong>Un chef de l'État « irresponsable en tout »</strong></p> <p>D'abord, le président de la République concentre en sa personne un nombre de prérogatives sans commune mesure avec ce qui se pratique dans les autres États européens dont la plupart relèvent d'une tradition parlementaire, mais, également, outre-Atlantique, où le régime présidentiel oblige toujours le chef de l'exécutif à composer avec les autres pouvoirs. Le locataire de l'Élysée, lui, est non seulement le chef de l'État, supposé garant des institutions, mais aussi le chef du gouvernement, dont il nomme et révoque discrétionnairement les membres.
Irresponsable en tout, en ce sens qu'il n'a de comptes à rendre à aucun autre pouvoir et notamment devant le Parlement, puisqu'il a le pouvoir de le dissoudre à sa guise.</p> <p>L'article 16 de la Constitution lui donne en outre la possibilité de s'arroger les pleins pouvoirs s'il estime – seul – que sont menacées « les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ». D'autres prérogatives pour lesquelles le chef de l'État n'a aucune autorisation à demander sont énumérées dans la constitution qui toutes tendent à un exercice vertical et autoritaire du pouvoir, ce d'autant plus que depuis l'inscription dans la constitution de la désignation du président au suffrage universel direct en 1962, sa légitimité est réputée incontestable.</p> <p><strong>Un pouvoir littéralement illimité</strong></p> <p>Rien ne s'oppose donc plus à ce qu'il puisse faire un usage effectif de ces prérogatives, qui lui confèrent un pouvoir littéralement illimité puisqu'il s'exerce sans que puissent s'y opposer ni les autres pouvoirs ou autorités constitués. Ainsi la destitution serait la seule option, mais elle demeure d'usage assez improbable. Ni le pouvoir législatif ou judiciaire, ni le peuple lui-même, à l'occasion d'une élection intermédiaire défavorable ou d'un référendum négatif, exceptée l'unique occurrence de 1969, quand le peuple s'est opposé à la révision constitutionnelle proposée par le Général de Gaulle. Le référendum auquel cette révision du Sénat et des régions a donné lieu ayant été négatif, le Général de Gaulle en tiré les conséquences et a démissionné de ses fonctions.</p> <p>C'est le lot d'un chef juridiquement irresponsable, mais doté des pouvoirs les plus puissants. Tout dans le texte de la constitution concourt donc à en faire un dirigeant sans partage, contrairement à l'idée que l'on peut se faire d'un régime démocratique où le peuple demeure souverain même entre deux élections présidentielles et où les autres pouvoirs jouent, parce qu'ils sont distincts du pouvoir exécutif, leur rôle de contrepoids.</p> <p><strong>L'hégémonie de l'État central</strong></p> <p>Enfin, le texte constitutionnel organise aujourd'hui une très large centralisation du pouvoir qui, en tant que telle, rend difficile l'expression des opinions divergeant de celles des classes dirigeantes. Cette centralisation se fonde d'abord sur l'hégémonie de l'État central sur toutes les autres institutions publiques. En dépit des réformes intervenues depuis 1982, et de la consécration formelle du principe de leur « libre administration », les collectivités locales n'ont qu'un pouvoir d'influence très limité dès lors que leurs dotations restent presque entièrement décidées par Bercy.</p> <p>Sur fond d'austérité budgétaire persistante, la décentralisation s'est ainsi régulièrement traduite par le recul des services publics qui leur étaient confiés, ce qui n'est certes pas de nature à rapprocher les citoyens des autorités… Il en est de même pour d'autres organismes publics censément indépendants et officiellement investis d'une fonction de contre-pouvoir, mais qui, à l'image de l'Université ou de la Justice, ne sont pas dotés des moyens à la hauteur de leurs missions. C'est dire si, d'un point de vue démocratique, les raisons pour modifier profondément la constitution et changer de régime ne manquent pas, que l'on en appelle ou non à une « VIᵉ République ».</p> <p><i>Texte publié dans The Conversation France (<a href="https://theconversation.com/fr" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://theconversation.com/fr</a>)</p></div>
There is no alternative
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2781
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article27812022-07-20T00:27:00Ztext/htmlfrFrédéric Lordon<p>Nous aimons beaucoup, à la Gauche Cactus, les écrits et les réflexions de Frédéric Lordon, cet économiste, et pas que, qui exprime des idées percutantes dans une écriture enlevée et pimentée d'humour. Il démontre dans ce texte paru dans La pompe à Phynances, son blog du Monde diplomatique l'inanité de la formule attribuée à Margaret Thatcher : dire qu'il n'y a pas d'alternative, c'est la négation de toute politique. Et dans la foulée, il nous propose quelques pistes qui rendraient possible une alternative portée par la gauche.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Anthropocide ou capitalocide, maintenant il faut choisir. Pour éviter l'anthropocide, il faudra le capitalocide : il n'y a pas d'alternative. TINA. Les capitalistes, les néolibéraux, ça vous dit quelque chose ? Normalement, « There is no alternative » est un énoncé qui n'a aucun droit de cité dans le discours politique. La politique c'est la souveraineté, et il entre dans le concept de souveraineté politique de toujours pouvoir faire autrement. Bien sûr tant qu'elle n'est pas captée par un petit nombre qui, lui, entend bien qu'on fasse toujours pareil et alors soutient « qu'il n'y a pas d'alternative ». La politique, pourtant, c'est qu'il y a toujours une alternative.</p> <p>Sauf quand, devenue mortifère et rendue au bout du bout, la politique se met à travailler la question de la survie de l'humanité sur la planète, ou plus exactement quand elle se retrouve confrontée à une force dont on sait maintenant à coup sûr qu'elle menace la survie de l'humanité sur la planète. Alors, et alors seulement : il n'y a pas d'alternative. C'est la force ou nous.</p> <p><strong>En finir avec l'« écologie » (pour un écolocide ?)</strong></p> <p>Parler d'écocide n'était pas encore assez. Car après tout l'habitat (l'éco, l'oïkos) ne vaut pas pour lui-même, mais plutôt pour ceux qui l'habitent (les humains, les anthropoï). Que la planète finisse en désert brûlant ou dans une atmosphère saturée en vapeurs d'ammoniac ou n'importe quoi d'autre, ça ne lui cause aucun problème en tant que planète. À nous, pas tout à fait. C'est pourquoi « écocide » n'est pas la catégorie la meilleure pour nommer ce qui est en train de se profiler : « anthropocide », bien davantage. On voit mieux de quoi il s'agit.</p> <p>Le souci « de la planète », souci que s'est découvert tardivement la classe qui n'avait pas de souci, a toujours trahi ses origines sociales, telles que, jusqu'à présent, elle n'avait rien trouvé à redire à la destruction de la classe ouvrière. À l'évidence, ça n'était pas un motif suffisant ni pour s'inquiéter ni encore moins pour incriminer le capitalisme. Mais la canicule et la suffocation n'ont pas le discernement de ne concerner que les pauvres, et la donne commence à changer. La bourgeoisie urbaine qui prend l'avion pour le week-end et se fait livrer en Deliveroo sans un battement de cils, voit ses rosiers secondaires cramer, sa marmaille congestionnée de bronchiolite, et son effroi grandir à la lecture de la titraille du Monde qui, rapports du GIEC à l'appui, l'informe régulièrement que « bientôt il sera trop tard ». Ce qui du reste est tout à fait exact, même pour elle. Alors, affreuse brutalité de la vie, les sans-souci se découvrent d'un coup le souci d'être au nombre des anthropoï concernés par l'anthropocide.</p> <p>Ça n'est pourtant pas encore assez pour leur faire dire « capitalisme ». Il est vrai que leurs penseurs préférés le leur déconseillent. Aux dernières nouvelles, Bruno Latour, soutien avisé de Yannick Jadot, dont la bonne tête de sauveur de la planète ne saurait mentir, persiste à considérer que le capitalisme n'existe pas vraiment, en tout cas que « la question du climat ne se dissout pas facilement dans l'anticapitalisme ». En réalité elle s'y dissout tellement qu'elle y disparaît complètement, au point même qu'il faudrait cesser de parler d'écologie. L'écologie, comme question séparée, avec son ministère à elle, ses politiques publiques à elle, et ses partis écologistes à elle, l'écologie avec ses mots ineptes et caractéristiques : « vert », « transition », « durable », devra bientôt être regardée comme la borne-témoin d'une époque qui n'avait pas encore compris. Au point où nous en sommes, nous sauver de l'écocide commencera peut-être bien par un écolocide — pas d'inquiétude : juste l'« écologie »… Il n'y a pas « un sujet avec l'écologie » comme diraient les chaussures pointues : il y a l'humanité face à son destin.</p> <p><strong>Aux mains des cinglés</strong></p> <p>On comprend que tout soit fait pour écarter cette vilaine pensée. En commençant par la promesse du nettoyage capitaliste des petites salissures capitalistes. Le détraquement de la planète était un effet collatéral. Voilà que sous couleur de « réparer », ce mot si caractéristique d'une période qui bousille mais ne veut rien changer, sous couleur de réparer, donc, le système-terre change de statut : d'extérieur où s'enregistraient quelques regrettables bavures, il devient l'objet même de l'intervention directe des humains — en fait de quelques humains, mais complètement tarés, et à qui tous les pouvoirs démiurgiques sont remis au nom d'une fantasmagorie technique. Or, la régulation géoclimatique d'ensemble est un système homéostatique d'une échelle et d'une complexité telles que l'ingénierie « par parties » est certaine de n'avoir aucune maîtrise de ses propres conséquences. Pour ne pas dire : certaine de déclencher par propagations ou rétroactions successives d'incalculables catastrophes.</p> <p>Qui peut sans rire prétendre savoir comment finira le projet de « fertiliser les océans avec du fer ou de l'urée pour favoriser la croissance du phytoplancton, grand consommateur de dioxyde de carbone » (1) ? Ou de « fabriquer de toutes pièces des micro-organismes n'ayant jamais existé pour leur faire absorber de l'essence, du plastique ou les rendre capables d'absorber des marées noires » (2) ? Stéphane Foucart rapporte les pensées atterrées d'un physicien de l'atmosphère à qui l'on soumet la brillante idée de disperser dans le ciel des nanoparticules soufrées, susceptible de modérer le rayonnement solaire. Le ciel pourrait y perdre « son bleu profond pour devenir blanchâtre ». Mais après tout, si c'est le prix à payer pour continuer à créer de la valeur ? Bleu, c'est juste une question d'habitude et, les habitudes, ça se change. Si on est agile.</p> <p>À sa manière bien à lui, entre ravissement et illumination, Macron nous informe de ces derniers enthousiasmes : « Parce que les start-ups ont un rôle à jouer dans la transition écologique, fixons-nous un autre objectif : 25 licornes vertes d'ici 2030 », le plus terrible de la période est sans doute de se trouver ainsi livrés aux mains de fous. Le mélange de psychopathologie et de substances additionnelles n'est pourtant ici que la pointe la plus avancée d'une croyance autrement partagée, où viennent s'accrocher tous les intérêts et tous les espoirs de prolonger le bastringue qui a encore un paquet d'euros à rendre.</p> <p><strong>Les décrocheurs</strong></p> <p>Alors tout y passe, du plus grotesque au plus spécieux. Au rayon du grotesque : l'« écologie des petits gestes », l'« écologie des solutions », l'« écologie du quotidien » : l'« écologie » de Pannier-Runacher (cheffe de rayon). Que les petits gestes ne fassent rien à la grosse catastrophe, l'idée commence à germer chez ceux-là mêmes qui, triant scrupuleusement leurs déchets, n'en voient pas moins s'approfondir le désastre, et finissent par se dire que, bac jaune, bac vert, le compte n'y sera pas tout à fait. Encore un peu de temps et ils se rendront à l'idée suivante que, non seulement les « petits gestes » n'aident pas trop la planète, mais au contraire aident à ce que la porcherie capitaliste continue de la détruire, comme toujours quand les diversions permettent d'oublier l'essentiel et que le secondaire laisse les coudées encore plus franches au principal : « pendant que ces imbéciles ont le nez dans leurs bacs, songeons tranquillement à nos prochains modèles de voitures encore plus remplies de circuits intégrés que les précédentes ».Encore un peu de temps et ils se rendront à l'idée que, non seulement les « petits gestes » n'aident pas trop la planète, mais au contraire aident à ce que la porcherie capitaliste continue de la détruire.</p> <p>L'« écologie du grotesque » promettant d'arriver bientôt à ses limites, les entreprises se cherchent déjà un tourne-disque de rechange, et avec d'autant plus de fébrilité qu'elles voient leurs diplômés chéris gagnés par l'inquiétude de devenir des collaborateurs du saccage, et tentés de prendre la tangente. Sans surprise, la sociologie des journalistes s'exprimant dans les affinités spontanées avec les objets de leur choix, les médias font grand cas de ces désertions fracassantes : Agro, Sciences-Po, Polytechnique même. La caricature sociologique mise à part, il y a plutôt de quoi se réjouir : un système auquel ses élites mêmes commencent à ne plus croire, est plus proche de la ruine que de l'apothéose.</p> <p>En tout cas, raccrocher les wagonnets qui se mettent à dérailler devient une urgence pour le capital-RH. Alors on leur raconte une histoire, essentiellement : « les rails, c'est la belle aventure », et même « le vrai courage ». Arrêt sur images consacre une émission à « La révolte écolo dans les grandes écoles ». Aucune des associations les plus articulées d'étudiants défecteurs, comme Les Infiltrés ou X-Alt, n'y est représentée, mais peu importe. Pour le bon équilibre du plateau, on a fait venir une chaussure pointue, mais c'est aussi un sans cravate, un humaniste donc. Il comprend les choix, les respecte. Mais tout de même : qu'est-ce que c'est que cette affaire de déserteurs ? Au moment où il nous faudrait des guerriers « qui s'engagent et qui combattent : contre le debiodiversité(sic) ».</p> <p>Déserteurs combattants : il faut n'avoir aucun compas moral pour hésiter sur le camp à choisir.Le directeur d'HEC, qui a vu venir avec angoisse un esclandre décroissant et enrayé préventivement tout dérapage, confirme : « Je ne suis pas sûr que l'on aurait laissé un étudiant appeler à la désertion lors de la cérémonie de la remise des diplômes ». Il aurait fait beau voir(3), avant d'invoquer « l'ADN entrepreneurial de l'école : face à des défis, on ne baisse pas les bras, on trouve des solutions », citation totale, à laquelle ne manque pas un seul de ces mots imbéciles, ADN, entrepreneurial, défi, solution, qui ont si bien fait leurs preuves jusqu'à présent, et qu'on devrait retrouver dans un cartel d'un musée du futur. Si bien sûr il y a un futur.</p> <p>Il n'y en aura un qu'à couler pour de bon ce dernier raffiot, à quoi même certains étudiants, en fait la plupart, se raccrochent encore, effrayés de leur propre mouvement de rupture quand rien dans leurs trajectoires sociales ne les avait disposés à rompre. Le capital-RH a bien saisi le point de faiblesse qui, à ces candidats à la transition existentielle, vient servir « sa » transition à lui, la transition frelatée, la « transition écologique », celle pour laquelle la chaussure pointue sans cravate d'Arrêt sur images conseille les PME depuis sa firme d'investissement, « responsable », ça va sans dire. « Participez à la grande aventure, venez changer le monde de l'intérieur », glapit le prospectus RH verdi. Car bien sûr, les mondes n'ont-ils pas de tout temps fait la démonstration qu'ils se changeaient eux-mêmes de l'intérieur ? La monarchie en 1789 ? Changée de l'intérieur. Le tsarisme en 1917 ? Changé de l'intérieur. L'esclavagisme ? Aboli depuis les plantations.</p> <p>Juste sorti de la grande école, encore maigrelet et tout mouillé, le jeune diplômé est donc invité à rejoindre l'entreprise capitaliste pour la changer de l'intérieur. Avec 15 niveaux hiérarchiques au-dessus de la tête, mille-feuille de sous-chefferies en lutte sauvage pour gagner un échelon, occupées toutes à plaire à la chefferie supérieure, elle-même occupée à plaire aux actionnaires, ses propositions de renoncer aux innovations trop destructrices, de désinvestir des énergies fossiles ou de quitter les pays où se pratique le colonialisme extractiviste, sont appelées à de grands succès. Comme Emmanuel Faber, pourtant PDG de Danone, donc mieux placé a priori que la recrue de 25 ans, qui, lui aussi, voulait « changer les choses de l'intérieur », et nous a gratifiés d'une splendide réussite. Car sitôt le cours de Bourse a-t-il eu un coup de mou, Faber était dehors, visiblement sans avoir compris grand-chose. Dans « SARL » qui, convenablement relue est en train de devenir le statut général de l'entreprise capitaliste, il faut entendre que la Responsabilité Limitée, c'est la RSE. Limitée à quoi ? Limitée à l'intégrité du profit pour l'actionnaire, mais SA-RSE-L-APA, c'est imprononçable, n'en parlons plus et regardons plutôt les défis à venir.
TINA ! (retour à l'envoyeur)</p> <p>Ne pas en parler, et « regarder ailleurs », comme on sait c'est le thème d'un film d'assez grand retentissement. Normalement une fiction, mais à laquelle des personnes réelles mettent un soin étonnant à donner des prolongements réels,« Don't look up en VF », commente David Dufresne devant la vidéo d'Apolline de Malherbe (décidément les fins de règne n'omettent pas une case à cocher) interrogeant Sasha, jeune activiste climatique qui a eu le toupet de bloquer un péage. Mais enfin est-ce que Sasha y pense : et la liberté d'aller et venir (au travail) ? Et le mécontentement des automobilistes ? Ici le BFM de Patrick Drahi indique très précisément jusqu'où on peut envisager de « tout changer (de l'intérieur) ». Quand elle découvrira dans quelles proportions il va falloir rembobiner, redoutons qu'Apolline ne nous fasse une syncope.</p> <p>Il ne faut pas trois jours pour que déboule une autre vidéo sur les réseaux sociaux : une tornade de sable d'une brutalité inouïe balaye une plage de Normandie, tue une personne, en blesse des dizaines. C'est à Deauville, et c'est comme une allégorie, mêlée de némésis : là où s'adonne un « mode de vie » bien décidé à ne renoncer à aucune de ses jouissances, ses conséquences pourtant lui reviennent en pleine face, méconnaissables bien sûr car la chaîne de médiation entre le shopping et un phénomène climatique est beaucoup trop étirée pour que les chandails entrevoient le moindre rapport de cause à effet.</p> <p>L'halluciné aux licornes vertes, les chaussures pointues et les chandails : la grande armée du déni stupide, de la cécité intéressée et des atermoiements. Grande armée pas si grande en fait, car ils sont finalement assez peu nombreux, s'ils ont la main sur tout. En face une autre armée commence à grossir, rejointe par des « troupes » qui tournent le dos à leur camp naturel, mais surtout par d'autres qui n'en peuvent simplement plus de la manière dont on les traite : serveurs, soignants, profs, cheminots, et ont d'emblée beaucoup moins à rembobiner qu'Apolline.</p> <p>C'est une course de vitesse car la planète ne nous laisse qu'un temps compté. Alors que ses limites, dont il faut rappeler la définition : ce sont des seuils anthropocides, alors que ses limites, donc, sont allègrement franchies les unes après les autres, la course de vitesse n'a qu'un enjeu : l'acquisition collective de l'idée avant « qu'il soit trop tard » comme dirait Le Monde, mais pour de bon. L'idée qui est si énorme que tout incite d'abord à la repousser, alors qu'il va falloir s'y rendre. L'idée qu'il n'y a plus d'alternative. Écrasante responsabilité intellectuelle des intellectuels du ravaudage, qui, au lieu d'aider à ce que les cheminements de pensée se fassent, soutiennent que « l'imaginaire révolutionnaire prétend abattre un système et le remplacer par un autre, alors qu'il s'agit de revenir sur des multitudes de décisions concernant nos façons de nous déplacer, de nous habiller ». Voilà : laissons à peu près tout intact mais délibérons pour ressemeler plus longtemps nos chaussures et tout se passera bien.</p> <p>Non, tout ne se passera pas bien. Une force, le capitalisme, qui a pour concept l'indéfini de l'accumulation de valeur, donc pour essence d'ignorer toute limite, ne va pas s'inventer une limite « de l'intérieur ». Quand il est au surplus avéré que c'est une force de destruction, on doit pouvoir parvenir à des conclusions logiques simples, et de la logique simple du tiers-exclu : la force de la destruction, ou bien la destruction de la force. Le capitalisme est écocide, c'est-à-dire anthropocide. Pour qu'il n'y ait pas anthropocide, ce sera donc : capitalocide. Il n'y a pas d'alternative.</p> <p><i>Notes(1 et 2) : Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature. Critique de l'écologie marchande, La Découverte2021 Note3 : Il y en eut, aussi, pour sauver l'honneur de cette école, honneur demeurant malgré la très louable intention de ces résistant.es un bien grand mot . Article paru dans La pompe à phynances le blog de F. Lordon dans Le Monde Diplomatique</i></p></div>
De la sexualité et politique, et réciproquement
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2773
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article27732022-07-13T13:26:00Ztext/htmlfrSaûl Karsz<p>En France, les rapports, si on peut dire, entre sexualité et politique ont longtemps été un sujet sinon tabou, du moins discret, et toujours limité aux incartades attribuées à tel ou tel personnage en vue et évoquant des situations équivoques, certes, mais entre adultes apparemment consentants (le décès du président Félix Faure, qui « perdit sa connaissance » en « se penchant sur les problèmes de la France », l' « épectase » de l'influent cardinal Daniélou, plus près de nous les exploits audiovisuels de Benjamin Griveaux, etc). L'effet Metoo et les turlupinades de Domique Strauss-Khan ont tout changé. Apparaissent de multiples cas d'« attitudes inappropriées ». Saül Karsz, lui, délaisse les cas particuliers qui nourrissent la presse pour s'intéresser aux liens entre pouvoir et sexualité, qui débordent largement du champs politique mais y trouvent un univers fertile ou se mêle volonté de domination, pulsions et parfois calculs. Un texte clair sur un sujet complexe qui mérite d'être exploré. Ce qu'initie avec talent l'auteur.</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Des femmes, parfois aussi des hommes ainsi que des organes de presse progressistes, dénoncent de plus en plus souvent des comportements sexuels et sexistes de personnages de différents bords. Les cibles les plus visibles sont des ministres (rapidement acquittés), des candidats aux élections législatives (rapidement démissionnés), des enseignants universitaires et des grandes écoles (rapidement amnistiés). Ces dénonciations reçoivent une réprobation générale, des silences gênés ou de simples avis de tempête. Certains responsables (?) qui semblent aimer les subtilités, s'exclament : « Je n'étais pas au courant ! », voulant peut-être confirmer qu'ils n'ont pas participé personnellement aux événements en question…</p> <p><strong>Incident ou structure ?</strong></p> <p>Ces situations sont plus et autre chose que des incidents effectivement déplacés, des incursions maladives dans des univers politiques, éducatifs ou autres naturellement étrangers aux questions de sexualité. Car une dimension sexuelle parcourt les affaires, les relations, les enjeux politiques, éducatifs et autres. Bien entendu, rien n'excuse les comportements dénoncés ci-dessus – qui rappellent, à leur manière sauvage, l'ineffaçable présence des affects et des sexualités au cours des enseignements et des apprentissages, dans l'exercice du pouvoir et des pouvoirs. Ils contribuent à ce que l'enseignement et/ou l'apprentissage coulent de source ou connaissent des arrêts ou des emballements apparemment incompréhensibles. Ils indiquent que la politique ne relève pas seulement de la domination ou de la soumission économiques. Le plus-de-jouir (Lacan) et non seulement la plus-value (Marx) jouent des rôles majeurs dans les fonctionnements capitalistes. L'économie qu'on appelle souterraine est celle fiscalement non déclarée et aussi celle moralement non avouée – chacune efficace à sa manière. Bref, analyser le pouvoir, les pouvoirs, l'enseignement et l'apprentissage suppose de tenir compte, aussi, de leurs trames affectives et sexuelles. Le puritanisme consiste ici à isoler des univers là où il s'agit en réalité de dimensions-toujours-déjà-liées.</p> <p><strong>Affectivités et sexualités n'existent pas en l'air, hors histoire, hors politique. </strong></p> <p>Elles en sont pénétrées, portées, encouragées ou censurées. Du viol comme arme de guerre à la promotion-canapé comme ressource de paix, de la séduction des collègues aux harcèlements sur les subordonné-e-s, du droit de cuissage aux prédations hiérarchiques, les abus sexuels et sexistes sont commis et sont supportés par des individus et des groupes socialement situés, idéologiquement connotés, politiquement orientés. Qu'il s'agit de femmes et d'hommes est aussi certain que passablement abstrait, paradoxalement désincarné. La violence de genre n'est pas n'importe quel genre de violence. Elle suppose des conditions et non seulement des corps. La sexualité n'existe, ne se déclenche, n'est ni réprimée ni sublimée que si elle s'en trouve surdéterminée par des rapports de pouvoir, de domination et de soumission, des idéologies machistes ou féministes, des envoûtements divers. Fondamentale, incontournable, elle n'est cependant pas auto-explicative.</p> <p>Evitons, en effet, d'inventer une stupéfiante quoiqu'impossible bataille entre des instincts, passions et désirs qui, sublimés ou féroces, tendres ou écrasants, concernent forcément des hommes et des femmes à tout jamais emmêlés dans les filets de l'histoire sociale. Celle-ci ne constitue pas un contexte aléatoire mais rien de moins qu'une condition sine qua non d'existence. Ces affaires d'abus sexuels et sexistes s'avèrent bel et bien complexes, leur accomplissement et leurs dénonciations déploient des registres multiples – à traiter comme tels. Il ne s'agit ni d'affaires fondamentalement intimes ni non plus de questions exclusivement politiques. Plus on les isole, et moins on en comprend les enjeux théoriques et pratiques.</p> <p><i>Texte paru dans le blog Le pas de côté, du Réseau Pratiques Sociales</i></p></div>
« La résistance au changement » : analyse critique d'un poncif
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2710
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article27102021-12-10T00:44:00Ztext/htmlfrSébastien Bertho<p>L'expression est devenue une antienne des zélotes de la starteupnéchionne. En un texte court et enlevé, Sébastien Bertho met en évidence la supercherie</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Notamment issu de la psychologie sociale et de la psychologie du travail, le postulat de la résistance au changement comme phénomène naturel des sujets et groupes humains a pour étayage un panel d'arguments : la peur d'affronter l'inconnu, une mauvaise compréhension des enjeux, des postures conservatrices, une communication défaillante dans l'entreprise… Autant d'éléments qui n'ont en fait rien de naturel.</p> <p>Happée par des discours politiques et managériaux depuis des décennies, la soi-disant résistance appelle, pour la détourner, à témoigner de davantage de pédagogie ou à manier une meilleure communication en faveur du changement. Proposons ici quelques ponctuations sur ce thème. Penser que l'on peut résister au changement – à tout changement – s'avère partiellement illusoire, d'autant plus si l'on croit que la résistance – elle aussi au singulier – puisse être d'un seul tenant. La perception du changement comme étant par essence positif, progressiste, est souvent corrélé à ce postulat. Des formes de résistance plurielles, pas toujours concordantes, partiellement homogènes face à des changements eux aussi pris dans des contradictions, correspondent davantage à ce que tout un chacun peut expérimenter. Parler de résistances à certains changements permet d'appréhender davantage la complexité de ce qui se joue en matière de luttes sociales, de tensions institutionnelles ou même de guerres intra-familiales. La résistance au changement positionne de facto le résistant dans la posture du conservateur, porteur d'un certain désir de statu quo. Penser en termes de résistances à des changements permet de pointer que tout positionnement – résistant y compris, donc – est porteur de dimensions idéologiques nouées à des logiques inconscientes, partiellement alliées à certaines et opposées à d'autres.</p> <p>Dès lors que les acteurs ou destinataires du changement ne sont pas ou peu associés à la construction de ses contours et de son contenu, il semble fort probable (voire souhaitable) que des formes de résistance apparaissent à l'endroit des projets proposés/suggérés/imposés. La co-construction des projets (institutionnels, d'accompagnement, de l'enfant…) ou le renouveau des formes de gestion coopérative (SCP, SCIS…) nécessitent que les différents acteurs s'impliquent de façon effective dans les processus de changement, à changer au moins partiellement le changement.</p> <p>Invoquer la résistance au changement constitue l'une des stratégies discursives régulièrement mobilisées par les groupes sociaux en position hégémonique [A. Gramsci]. A savoir exposer certaines options (politiques, institutionnelles…) comme relevant du changement non interrogeable puisque supposé répondre à des logiques indépassables et non réfutables (les lois, naturalisées voire déifiées, de l'économie de marché par exemple). S'ensuit une homogénéisation de toute forme d'opposition considérée comme résistance. Laquelle résistance pouvant se voir affublée d'une batterie langagière empruntée à la psychologie, ou plutôt au psychologisme (fantasme, déni de la réalité, paranoïa, persécution…).</p> <p>Clause non accessoire : la résistance n'est pas nécessairement mortifère. Postulons que l'un des moteurs des sociétés, des cultures, des institutions ou groupes s'origine dans les luttes entre les forces qui y existent. C'est le fruit de ces tensions dialectiques qui insufflent les dynamiques. Rares sont les changements significatifs qui n'ont pas été bâtis au cœur de luttes, désaccords, oppositions plus ou moins explicites et antagonistes. La résistance est donc une composante difficilement contournable, voire démocratiquement souhaitable de tout processus de changement, un moteur et non un frein, une condition nécessaire et non pas une conséquence dommageable. L'Histoire regorge de périodes où des résistances ont été salutaires sinon salvatrices. Une époque ou une institution qui fantasment l'abolition sinon l'écrasement des formes de résistances, partielles ou totales, comportent un potentiel totalitaire auquel il est urgent de … résister !
Texte paru dans <a href="http://www.pratiques-sociales.org/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.pratiques-sociales.org</a></p></div>
Peuple fiction (3/3)
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2696
http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article26962021-10-17T13:52:00Ztext/htmlfrVincent Glenn<p>Notre ami Vincent Glenn, cinéaste et agitateur culturel engagé, s'est mis en tête, dans son blog Mediapart, d'écrire au peuple le fruit de ses réflexions et nous a proposé de les diffuser. On ne refuse rien aux amis, surtout s'ils sont aussi amis du vin, et en plus, ces trois textes sont pétris d'une générosité qui n'exclut pas l'ironie. Voici donc les troisième et dernier. A déguster comme un bon blanc !</p>
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<a href="http://la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique24" rel="directory">Réflexions</a>
<div class='rss_texte'><p>Mon cher peuple de France,
Les gens parlent souvent de toi comme d'un tout homogène comme s'ils ne voyaient pas ton inextricable diversité. Ils parlent des personnes qui leur ressemblent étroitement ou au contraire désignent ceux qui n'en sont pas, des hétérogènes, des pas comme tout le monde. Ils te préfèrent comme un troupeau « populaire » et orienté tous ensemble vers un nombre limité de gestes. Ils t'adorent quand tu es propre comme un robot téléguidable.</p> <p>Il est vrai que certains poissons pilotes, chèrement payés pour conduire le banc, travaillent spécifiquement, jour et nuit, à des techniques marketing de plus en plus fines, visant à t'emmener chez Carrefour ou Burger King profiter des promotions… Tous unis contre la vie chère. Malheureusement, bien souvent tu les écoutes, comme un papillon irrésistiblement tenté de fusionner avec une ampoule brulante. Tu ne boycottes pas les méga-zones de consommation qui ont défiguré les espaces « periurbains ». Tu démultiplies les avoirs de Jeff Bezos : Amazon, c'est tellement efficace. Tu permets à celui-ci de s'évader vers l'espace devançant de justesse un autre milliardaire parti lui aussi tutoyer les étoiles. Tu achètes pas cher parce que c'est un sport national ou parce que tu n'as pas le choix... Tu sais que cela contribue à une exploitation toujours plus féroce des travailleurs, que ce faisant tu accélères la compétition vers le moins disant, que tu abîmes un peu plus la nature qui elle-aussi doit « coûter moins cher ». Mais bon, tout le monde le fait, pourquoi pas nous... Il ne manquerait plus qu'en plus d'être pauvres et déclassés on nous alerte sur le fait que payer moins cher tue. Cher peuple, la culpabilisation est toujours indécente, cela n'a rien à voir avec ce à quoi je t'invite ici : attaquer ceux qui manipulent, faire attention aux fragiles comme à tes frères et sœurs ; convertir toutes les publicités faisant l'apologie du « moins cher » en panneaux clignotant sur lesquels on pourrait lire « attention, produits et services comportant de forts risques d'abus social et environnemental ».</p> <p>Tu auras compris O mon peuple de France que j'aime autant ta conscience sociale que je déteste ton moutonisme. Je n'aime guère les superstitions et les « complotismes ». Pourtant, à la question : y-a-t-il des gens qui passent leur temps à imaginer des stratagèmes pour diriger les foules ? La réponse est indubitablement positive, cher peuple, tu le sais. Il y a des gens déterminés qui se pensent comme gardiens de troupeau et te conduisent quotidiennement dans le sens qui les arrange. Et qui te conduisent parfois au pire. Oui, cher peuple, il existe des gens qui soufflent sur les frustrations, les brimades, les hontes, les franges extrêmes des religions pour en faire de grandes séquences d'hystérie et des profits de guerre de tous ordres. Gare à ceux-là mon vieux peuple, il y en a dont les propos ressemblent diablement à ça sur les antennes de tes grands médias d'aujourd'hui.</p> <p>Tu sais, je te connais bien, mon peuple de France. Je t'ai écouté partout, dans les stades et à la Poste ; dans des Assemblées de toutes sortes et dans la rue, allongé dans la rue à côté de ton vomi, sous le regard du contrôleur, devant la Samaritaine, au milieu d'un champ où plus rien ne poussera, dans la salle des professeurs d'un collège classé en zep... Je connais la multitude musicale de tes accents, du Sud-Est au Nord-Ouest, j'ai vu nombre de tes enfants emprisonnés, quelques-uns de tes ambassadeurs prestigieux, quelques-unes de tes activistes exemplaires, j'ai été témoin de l'inquiétude saisissante de tes techniciens dans une centrale en alerte après une erreur de manipulation, j'ai vu aussi des militaires haut-gradés militer contre la bombe nucléaire, j'ai fréquenté nombre de tes troubadours désenchantés, entendu tes étudiants enfiévrés qui ont les crocs. J'ai vu tes journalistes résistants et tes médiocrates affligeants. J'ai écouté le silence définitif de tes paysans suspendus au bout d'une corde et tous ceux qui du coté de la lutte ont réussi l'entraide jusqu'à nous encourager tous. Oui cher peuple de France, j'ai même entendu des huissiers doués d'humanité, des magistrats formidablement courageux et bien des hordes d'imbéciles malheureux se plaisant à humilier. Je sais combien tu es divisé. Je sais combien tu es unique en ton genre avec tes cocoricos, le chant haut et les pieds dans la mouise, tes peurs d'être trop jeune, trop vieux ou de ne pas remplir ton maillot. J'ai eu bien des échos de ton arrogance néo-coloniale et des bleus sur l'âme de tes victimes. Et pourtant, je sens bien que tu aspires une fois encore à te refonder. A te re-former, à te redéployer sur quelque chose qui porte vraiment, non pas du rêve, mais une force digne née de la conscience de la magie du vivant. Non pas en abattant de nouveaux boucs-émissaires mais en prenant tes désirs d'émancipation au sérieux.</p> <p>Car cher peuple, que se passe-t-il quand, comme maintenant, tu trempes trop longtemps dans le bain de l'impuissance ? Tu cries, tu deviens fou, tu deviens fasciste dans le sens précis où tu te mets à traquer les fragiles-déviants ceux qu'à une époque on appelait les hérétiques. Tes gestes sont alors guidés par le ressentiment, la honte d'avoir été faible, de n'avoir pas été courageux face à telle ou telle situation, la peur d'avoir peur. Alors tu identifies un petit groupe avec l'assurance d'un dentiste s'attaquant à une carie. C'est un grand problème parce que tu n'es pas dentiste et que les humains ne sont pas des caries. Cher peuple, tu es un peu plus émietté encore aujourd'hui par les duels à mort entre anti et provax, super angoissés et à peine précautionneux ; tu es encore subdivisés entre ceux qui veulent surveiller de plus près et ceux qui estiment que la visibilité phénoménale du Covid, - contrairement au caractère peu visible de bien des dangers au moins aussi graves - est devenue une terrible occasion de légitimer un contrôle radical de la population et de renforcer les capacités punitives de l'Etat. Tu entends, tout en haut, proférer des interdits stupéfiants, mais tu ne sais pas par où renverser la vapeur. .</p> <p>Cher peuple, je te sais très très très diverti. Tu entends de pénibles litanies, mais tu ne sais pas comment couper l'émetteur : l'annonce d'un krach boursier, puis l'exaltation d'une équipe de sport, puis un monstre tueur familicide, puis une manif bruyante mais sans lendemain, puis un gros scandale sexuel, puis re-une manif plus forte avant passage en force de la loi quand même, puis re-un monstre, escroc cette fois, puis une catastrophe à l'autre bout de la planète, puis – O joie céleste - le miracle d'une équipe de France qui gagne, puis un nouveau record technologique fantastique, puis un nouveau monstre terroriste cette fois... Une longue promotion du ministère de l'intérieur.</p> <p>Alors, ton inconscient collectif semble se charger de cette « peste émotionnelle » dont parlait Wilhem Reich (oui pardon, encore un intello pas français) : cette « peste », c'est le condensé de millions de ressentiments et de frustrations qui construisent ensemble l'idée d'un salut venant d'un être tout puissant qui va enfin décider, taper sur la tête des éléments perturbateurs et remettre de l'ordre dans le bordel. Regarde bien cher peuple comment ça c'est passé dans les années Trente, en Allemagne, en Italie, ou dans notre belle France de Pétain, dans l'Union soviétique de Staline... Regarde, cher peuple où tu conduis les tiens avec les discours de l'ordre. Il y a plein de documents à disposition. J'ose cette nuance mon vieux peuple : il est probable qu'une certaine réaffirmation de souveraineté nationale et plus généralement du côté de la réaffirmation du pouvoir de décision locale - soit un des moyens réels de redonner une vitalité à la démocratie, pour littéralement pouvoir faire quelque chose plutôt qu'assister impuissant à des politiques démentes décidées par une technocratie payée par les géants privés. Je te vois venir cher peuple, derrière tes emportements de toute puissance, les mains encore sanguinolentes des lynchages d'hier, tu te demandes s'il y a une issue. Dans ce contexte, cher peuple, je suis devenu membre du Parti de ceux qui cherchent à lancer des débats intenses sur ce que seraient de bons choix politiques.</p> <p>C'est quoi la prochaine grande étape historique ? Celle qu'annoncerait un Marx aujourd'hui qui tremblerait des genoux à l'idée d'engendrer un nouveau stalinisme ? Comment amorcer le grand virage qualitatif vital qui sera nécessairement le produit de millions de gestes quotidiens et trouverait soutien chez des milliards de subjectivités humaines ? Comment forger une culture qui intègre et dépasse les héritages précédents ? Comment porter une symbolique neuve comme l'ont fait les Equatoriens de Rafael Correa, les Polonais de Solidarnosc, les Zadistes de Notre-Dame des Landes, les Altermondialistes zapatistes, les Sud africains de Mandela ? Cher peuple, aujourd'hui si épars, je te suggère au moins l'issue imaginaire suivante. Peut-être en rejoignant l'idée que l'intérêt général aujourd'hui va se définir comme un ensemble d'objectifs émergeant de la société civile. Concevoir qu'une des modalités opérationnelles est peut-être gagner de la force en cessant des dos-à-dos extrêmement énergivores et absurdes. Construire des « majorités d'idées » où, contre toute attente, des éco-féministes voteront dans le même sens que des néo-virilistes concernant l'arrivée de l'agriculture bio dans les cantines, des majorités improbables constituées par des libertaires votant pour la sortie du nucléaire en complément de catholiques anti-mariage-gay. Des regroupements pragmatiques conduisant des socio-démocrates européistes à associer leurs forces à des souverainistes, tous votant pour un investissement massif de l'Etat dans l'économie, façon Joe Biden ; des collusions telles que néo-communistes et néo-gaullistes pourront s'unir sur le projet d'une santé libérée de ses impératifs marchands et de notre stupéfiante dépendance du business des labos. Peut-être même que ceux-là ainsi que les plus « dépolitisés » pourront s'accorder sur le fait de donner de vrais moyens à la justice et à l'éducation allant jusqu'à redonner un sens humain au métier de « gardien de la paix ». Je sais bien que cela ressemble plus à un exercice d'imagination qu'à une tactique politique. Je crois bien en effet, qu'il s'agit de lancer, en profondeur et au delà des écuries politiques de grandsdébats sur la notion de biens communs. Contester est un enjeu, s'accorder sur ce qui fait sens, en est un autre pas moins important.</p> <p>Je t'accorde cher peuple, que nous vivons un moment d'intense confusion, où les mystiquesidentitaires ne sont qu'une des conséquences logiques chez des millions d'individus qui ont perdu pied, paumés dans les arcanes infinis de la guerre économique, virtualisés dans les escape games, les traques aux Pokémon, les réunions en visio, ou la relégation radicale après des années de chômage. Alors ma vieille branche, mon pays, quand tu vois que le peuple humain s'auto-martyrise au nom des milliardaires qui le valent bien dans un suivisme effarant, d'accord ce n'est pas gai... Mais parce qu'il y a aussi beaucoup de vie alentours, si on y regarde bien, j'espère que nous nous donnerons rendez-vous prochainement pour œuvrer à l'imaginaire d'une insurrection pacifique. <i>Paru dans <a href="https://blogs.mediapart.fr/vincent-glenn/blog" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://blogs.mediapart.fr/vincent-...</a></i></p></div>