FRANÇAFRIQUE : LE CREPUSCULE ?
par
popularité : 100%
FRANÇAFRIQUE : LE CREPUSCULE ?
Par João Silveirinho
« On dira ce qu’on voudra du père De Gaulle, il a quand même réussi l’accession à l’indépendance des pays d’Afrique noire francophones sans verser le sang. Mieux que les britiches, mieux que les portos, les belges, n’en parlons pas ». Ce propos entendu au café des sports, mon café du commerce à moi, n’est pas dénué de fondement. Bémolisons cependant.
L’indépendance n’a pas été, pour les pays en question, synonyme de décolonisation. De Gaulle avait laissé Foccart et ses hommes encadrer étroitement les nouveaux gouvernants. Le réseau Foccart perdura sous Pompidou et Giscard. Il fut bien utile pour maintenir une emprise économique et politique forte de l’ancienne métropole. Les intérêts pétroliers français, dont on commence à connaître le rôle plus que trouble, fournisseurs d’armes pour des milices de tous poils, corrupteurs absolus, la main mise d’entreprises comme l’actuel groupe Bolloré sur une part importante du commerce extérieur demeurent jusqu’à aujourd’hui très présents.
François Mitterrand ne changea guère les choses. Jean-Pierre Cot, un temps, bref, en charge ministérielle de la coopération voulut se mêler de droits de l’homme et de démocratie, mais le président lui signifia très vite d’aller jouer dans d’autres cours, ce dont le pauvre Cot ne se remit jamais vraiment, politiquement s’entend. L’Afrique mitterrandienne fut donc confiée, de fait, à d’autres hommes de réseaux, tels le dentiste Guy Penne, très introduit dans la franc-maçonnerie commune à bien des dirigeants africains de l’époque, et encore puissante aujoud’d’hui, sans même parler du folklorique Papamadi ou du joyeux fêtard Christian Nucci, impliqué dans le scandale du « Carrefour du Développement », dont au sujet duquel on vit apparaître Charles Pasqua, autre figure des réseaux de la Françafrique, canal corse historique, dans le rôle d’émetteur de vrai-faux passeport.
Privé de Foccart qui a bien été obligé de mourir un jour, en froid avec Môssieur Charles, Jacques Chirac est, depuis son accession à la présidence de la république, bien en peine de continuer cette douteuse tradition. C’est pas qu’il voudrait pas, mais il a perdu, en ce domaine comme dans tant d’autres, la main.
Depuis les indépendances de 1960, aucun gouvernement français n’a agi sérieusement pour aider les anciennes colonies dans la voie de la transition démocratique. Au contraire, on vit un Giscard d’Estaing condescendre aux sinistres palinodies de son autoproclamé cousin empereur Bokassa, on vit les gouvernements successifs soutenir sans ciller des gouvernants dont le souci principal était de remplir leurs caisses personnelles.
Nous ne faisons pas partie des naïfs, en tout cas pas trop. Nous savons que les relations internationales sont fondées sur des rapports de force. Nous ne ferons pas le procès à la France d’avoir tenté de protéger certains de ses intérêts économiques. Car nous savons aussi que, la France partie, l’autonomie des pays africains de la francophonie ne serait pas plus assurée, vite remplacée par des concurrents piaffant d’impatience, les Etats-Unis, toujours, l’URSS, dans le temps, la Chine, déjà, entre autres. Quant à l’Union Européenne, c’est la grande absente de l’Afrique, où elle se montre pour ce qu’elle est devenue, un club de semi-nantis égoïstement repliés sur eux-mêmes. Et ce n’est pas le projet de constitution qu’on nous propose qui fera avancer le schmilblick, bien au contraire.
Mais la realtpolitik a des limites, quand même. Et des idées nouvelles sont apparues. Sami Naïr et quelques autres ont défini, par exemple la notion de codéveloppement, qui envisage une coopération sur un pied d’égalité et non de dépendance, qui introduit dans le jeu de la coopération les migrants, oubliés de ces histoires, méprisés trop souvent en Europe, suspects trop souvent dans leur pays d’origine. Et ce serait aussi la moindre des choses de redonner aux africains leur dignité perdue. Aux anciens de l’armée française, par exemple, dont on fait semblant de ne découvrir qu’aujourd’hui leur rôle qu’ils ont joué, chair à canon plus souvent qu’à leur tour, dans les deux guerres mondiales du siècle dernier. Attend-on qu’ils aient tous disparu pour revaloriser les pensions chèrement gagnées ? La dignité, elle s’acquiert aussi sur notre sol, en luttant contre les discriminations et les racismes, en offrant aux immigrés des conditions d’accueil décentes. La dignité retrouvée, ce serait aussi la condescendance oubliée. Que penser d’une des dernières réparties de notre président concernant la Côte d’Ivoire. Le voilà navré des violences qui ravagent ce pays, jusque là, ça peut aller, d’autant plus que « les africains sont d’un naturel joyeux ». Ben voyons ! Tu pourrais ajouter, président, qu’ils courent vraiment très vite, qu’ils ont le rythme dans la peau et des attributs virils au dessus de la moyenne.
Nous ne nous prononcerons pas ici sur l’action de la France en Côte d’Ivoire ces derniers jours. Nous ne savons pas si les tirs de l’armée française sur la foule à Abidjan sont du ressort ou non de la légitime défense. Nous savons par contre que la situation que vit ce pays est le résultat d’une démocratie dont les malformations sont le fruit d’une décolonisation mal conduite. En ce sens, la France a sans doute un rôle à jouer, y compris dans sa contribution au maintien de l’ordre, et à condition que ce maintien ne contribue pas à faire perdurer les tares de l’ordre ancien.
En Côte d’Ivoire même, les différents protagonistes ne sont pas sans taches, loin de là.
Henri Konan Bédié a ressuscité l’ivoirité, dont Jean-François Bayart (CNRS/CERI) a montré par ailleurs qu’elle des ascendances anciennes, ce qui ne la justifie à aucun titre. Alassane Ouattara, un ancien du FMI, adepte du libéralisme, a appliqué fermement, y compris par la répression, les programmes d’ajustements structurels du même FMI, dont Philippe Hugon (ParisX/IRIS) a analysé les conséquences désastreuses pour l’économie du pays. Laurent Gbagbo laisse agir (et selon certains encourage) des milices sanguinaires et muselle la presse indépendante. Ahmadou Diarra, premier ministre d’un gouvernement d’union nationale fantôme, est un cheval de retour du temps d’Houphouet-Boigny. Et les Forces Nouvelles s’appliquent à ne pas appliquer les accords de Marcoussis sur le désarmement. Nous ne sommes sans doute pas sortis de l’auberge ivoirienne, et pendant tout ce temps, la victime est toujours la même : le peuple.
Commentaires