LE TRAITE CONSTITUTIONNEL EUROPEEN ET LA GAUCHE
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LE TRAITE CONSTITUTIONNEL EUROPEEN ET LA GAUCHE
Par Michel Cabirol
La coopération entre les pays Européens a permis de grands succès : rétablir des relations cordiales entre les Etats et créer une zone de paix et de stabilité, renforcer la démocratie (au Sud d’abord, à l’Est ensuite), intégrer les pays d’Europe du Sud en permettant un fort développement économique, mettre en place des coopérations économiques réussies (Airbus, Ariane, la PAC, les fonds structurels, ...).
Malheureusement, depuis 10 ans, l’Europe patine : La croissance économique est atone et la recherche Européenne décroche. Les grands projets d’infrastructures (plan Delors) ou de développement (stratégie de Lisbonne) ont été mis au placard. Cette situation entraîne une croissance de la précarité et des inégalités.
Le libéralisme trouve chaque jour de nouveaux champs à conquérir (services publics, santé, éducation, culture, ...). La Commission Européenne sert souvent de relais efficace à l’OMC lors de discussions internationales (AGCS par exemple) où la vision libérale Américaine prévaut. L’attitude de la Commission sur certains dossiers industriels (Schneider, Péchiney, Alstom, ....) a été ressentie négativement par beaucoup.
L’administration Européenne est donc de moins en bien perçue par les Européens qui la considère comme une bureaucratie tatillonne éloignée de leurs préoccupations quotidiennes. Le processus suivi lors de l’entrée des pays de l’Est reflète bien ce travers.
Enfin, la démocratie régresse : taux d’abstention élevés, développement des populismes surtout d’extrême- droite, laminage des partis petits ou moyens au profit d’un bipartisme n’offrant qu’une alternative réduite, ... L’Europe est encore souvent considérée comme un grand dessein ou une grande idée (notamment chez certains jeunes) mais elle déçoit. Une convention s’est donc réunie pour produire une « Constitution » transformée en « Traité Constitutionnel » censé redynamiser le processus Européen. D’un avis quasi-unanime (en dehors des libéraux convaincus), ce texte est décevant et manque de souffle !
Ceci n’est pas étonnant car il était aussi censé faire la synthèse des traités précédents (qui ont conduit aux problèmes actuels) : ce texte regarde donc « dans le rétroviseur ». De plus, le processus suivi ne pouvait qu’engendrer ce résultat : une convention cooptée entre « élites » à forte majorité libérale où tous les amendements un peu « sociaux » ont été édulcorés voire laminés ou rejetés (cf le sort de certains amendements sur les services publics). On obtient donc un texte essentiellement d’inspiration libérale qui grave dans le marbre Européen ces principes puisque seule une révision à l’unanimité sera possible.
Dès l’article 3 de la première partie, il est déclaré que l’Europe a mis en place « un marché où la concurrence est libre et non faussée ». Ensuite, l’indépendance de la BCE est rappelée avec comme objectif principal la stabilité des prix. De même, l’article 52-2 interdit toute véritable marge de manœuvre dans le budget Européen ni toute possibilité pour l’Union Européenne de s’endetter. Toute modification de ces principes devra être précédée d’un vote unanime des membres de l’UE. Bien sûr, beaucoup de bonnes intentions sont listées quant au soutien de la BCE aux politiques économiques générales (si cela ne contredit pas l’objectif de stabilité des prix), quant au développement durable, au combat contre l’exclusion, au développement de la recherche ou à l’assurance d’un haut niveau de protection du consommateur, .... A chaque fois, les moyens permettant d’atteindre ces objectifs ne sont pas définis et restent, a priori, du ressort d’Etats prisonniers du pacte de stabilité.
Les services publics ne sont pas mentionnés comme garant d’un bon niveau social. Seuls des Services d’Intérêt Général (pâle déclinaison des services publics) sont proposés dans la partie III. L’essentiel du social reste du ressort des Etats : les dégâts causés par la politique libérale doivent être réparés à ce niveau et non par l’Europe. Ce texte pose deux autres problèmes : il cherche à établir un cadre unique pour des pays aux besoins et aux niveaux de développement variés, et il rassemble dans un même document des points de niveaux très différents : valeurs et principes, équilibre des pouvoirs entre institutions, politiques détaillées, ... avec un mode de révision identique. Il serait notamment opportun de supprimer de ce Traité la partie III.
La gauche face au traité
Une partie de la gauche Européenne affirme qu’il faut quand même voter ce texte pour éviter une crise catastrophique pour l’Europe et pour la place de la France en Europe. Une attitude diamétralement opposée est tout aussi cohérente : il est urgent de résister au libéralisme ambiant et le NON s’impose. De plus, ce Traité n’entrera en vigueur s’il est voté que dans 5 ans (d’ici là, le Traité de Nice prévaudra) : est-il impératif de se précipiter ?
Le vote de ce Traité va probablement faire de l’Europe une zone de libre échange et rendre très difficile toute avancée ultérieure. Le refus de la France renforcera son image auprès des peuples Européens comme sa position lors de la guerre en Irak.
En effet, seule une opposition déterminée à ce texte permettra à la gauche européenne de renouer avec les couches populaire dont le sort s’est fortement aggravé depuis plusieurs années. Ceci donnerait un nouveau sens au futur projet de la gauche Française qui lui éviterait d’errer de catastrophes plus ou moins prévues (1993 et 2002) en divines surprises (1997 ou 2004), entre compassion et droits et devoirs républicains, .... La situation de la gauche dans de nombreux autres pays Européens n’est pas plus brillante.
Le refus du Traité permettra notamment de faire une pause pour se focaliser sur les tâches en cours (élargissement par exemple) et pour définir calmement de nouvelles ambitions et de nouveaux défis. Débattre du modèle de développement souhaité pour l’Europe ou de la place de l’Homme dans ce processus serait très utile et permettra d’affiner notre projet « d’Europe sociale ». Veut-on réduire globalement les inégalités entre membres et à l’intérieur des pays Européens ou bien veut-on mettre en concurrence différents systèmes sociaux en Europe (cf les analyses de Michel Aglietta) ? Le social peut-il être décidé seulement au niveau national ou est-ce un leurre dans un système ouvert et globalement libéral ? Un nouveau traité pourra alors être établi dans 2 ou 3 ans sur des bases plus saines.
Ne pas confondre refus du traité et refus de l’Europe
Ce non n’est ni un repli sur soi boudeur voire passéiste ni une fuite en avant : certaines crises sont salutaires. Ce refus doit être accompagné d’un plan ambitieux pour l’Europe et cohérent avec les analyses des insuffisances actuelles de l’Europe : réduire les inégalités et recréer une société de solidarité notamment via des services publics de haut niveau accessibles à tous. Cette démarche implique aussi de proposer aux nouveaux entrants un choix autre que le libéralisme et le dumping social par un soutien financier adapté (la situation actuelle détruit rapidement leur capital social et les oblige à devenir les sous-traitants à bas coût de l’industrie de l’Europe de l’Ouest). En effet, seule une Europe solidaire peut être efficace... mais seule une Europe efficace peut être solidaire. Il faut donc développer fortement l’éducation, la recherche, la coopération industrielle, la culture pour lutter efficacement contre le chômage.
Il est nécessaire de se redonner des marges de manœuvre au niveau financier (via à court terme un endettement de l’UE, une meilleure gestion des critères de Maastricht et une révision des statuts et objectifs de la BCE), d’améliorer la démocratie par une plus grande transparence (publicité des votes voire de débats au sein des organismes intergouvernementaux) mais aussi par une révision de l’équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions.
Il s’agirait de donner plus de pouvoir au Parlement et au Conseil (institutions élues démocratiquement) et de limiter le rôle de la Commission à celui d’une administration au service du Conseil et du Parlement. On en reviendrait alors au fondement de la subsidiarité où les Etats choisiraient librement de mettre en commun (globalement ou via des coopérations renforcées dont le mécanisme serait simplifié par rapport aux propositions du Traité) certains sujets ou domaines sans se voir imposer des diktats de la Commission (parfois sous l’influence des divers lobbies qui gravitent autour d’elle). Jusqu’à présent, la Commission, censée défendre l’intérêt général et les « petits pays », s’est surtout comportée en Cheval de Troie du libéralisme. Renforcer la capacité de défense de l’Europe permettra à la fois de moins dépendre de la technologie Américaine mais aussi de pouvoir intervenir de façon autonome si nécessaire. Ce point peut sembler simple mais il implique une remise en cause complète des doctrines militaires des principaux pays Européens.
Enfin, se pose le problème de la politique étrangère où les affrontements récents montrent l’intérêt d’une plus grande coopération mais aussi la nécessité pour la France de garder un minimum d’indépendance. Le rééquilibrage des relations transatlantiques, la définition d’un partenariat fort avec une Russie non stabilisée et d’un projet de développement avec la rive Sud de la Méditerranée sont les principaux chantiers. Il est difficile d’imaginer une Europe à 25 les faire aboutir rapidement : la France devra jouer un rôle moteur et disposer de certaines marges de manœuvre.
Aurait-on tort d’avoir raison trot tôt ?
Les partisans du rejet de ce texte peuvent se demander si « on a tort d’avoir raison trop tôt ». L’exemple de Maastricht est intéressant : les partisans du Non ont souvent dénoncé l’absurdité des critères de convergence. Celle-ci a été reconnue même par Monsieur Prodi 12 ans après et ils sont en train d’être amendés. Certains y voient un argument pour voter un texte qui serait médiocre mais dont certains aspects dangereux seraient gommés plus tard malgré la lourdeur du processus de révision. Cette attitude oublie un peu légèrement les difficultés économiques engendrées par le Traité de Maastricht dans les années 90 et les souffrances de millions de chômeurs qu’il a générés (alors que la création de millions d’emplois avait été promise par maints hommes politiques ou consultants). Il vaut donc mieux éliminer les problèmes dès le départ et éviter d’en créer de nouveaux.
De nombreux autres arguments sont parfois avancés (souverainistes, absence de l’existence d’un peuple européen, juridiques voire de principes) pour refuser ce Traité mais les arguments développés ci-dessus sont suffisants pour rejeter ce Traité. La crise qui suivra permettra de se reposer quelques questions fondamentales et d’élaborer un nouveau projet ambitieux qu’un plus grand nombre d’européens pourra s’approprier.
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