Le capitalisme face à son déclin (Editions critiques, 2019)
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Ecrit par plusieurs universitaires latino-américains et le chercheur du CNRS Rémy Herrera, spécialiste de la Chine, un livre à l’optimisme non inutile puisqu’il envisage un rééquilibrage mondial grâce à la Route de la soie, présentée comme une sortie de l’impasse de la mondialisation américaine, inégalitaire et agonistique, par l’édification d’un nouveau système financier mondial qui s’appuierait sur la crypto-monnaie échappant à la tutelle des organismes financiers privés, versus le pétro-yuan-or, remplaçant le dollar comme monnaie mondiale. Il distingue la forme de la valeur - la monnaie sans support matériel - de son contenu : la fabrication de plus-value dans les usines des BRICS, gonflant le salariat au sein duquel les prolétaires intellectuels seront de plus en plus nombreux. Il sous-estime sans doute le rôle économico-politique de l’Europe, porteuse de siècles de progrès humanistes et libertaires, qui, si ses forces de gauche triomphaient des populismes grâce à un logiciel socialiste enfin adapté, pourrait devenir un levier puissant pour une entente mondiale progressiste, capable de poursuivre l’aventure humaine.
La perspective est ainsi marxiste et optimiste, pour autant qu’on garde le postulat d’une excellence du modèle chinois : si depuis 1978 l’utilisation combinée du marché et de l’Etat a pu dans les faits libérer un milliard d’être humains de la pauvreté, ce logiciel néglige semble-t-il le revers de la médaille chinoise, la négation complète des acquis humains de la démocratie libérale, lesquels, qu’on le veuille ou non et avec certes toutes leurs limites et déformations, restent bien le monopole du Nord. Les projets cybernétiques du contrôle individuel par le Big Brother comme le sort des Ouïgours ne sont guère rassurants de ce point de vue, bien qu’on puisse espérer un réveil de la Chine cultivée, dans la mesure où elle n’accepterait plus d’être privée des droits de l’homme. Question ouverte. Le fait de considérer que le développement économique chinois daterait de Mao fait de ce point de vue fi de la vérité historique quand chacun sait que l’appareil statistique triché du socialisme « réel » rendait plus que douteux les rythmes antérieurs de développement annoncés ! Le grand bond en avant et la révolution cultuelle ont bien été des catastrophes obscurantistes et antisociales. 4 voyages Chine, en 1989, 1992, 2000, 2005, m’ont en effet révélé de visu le basculement extraordinaire de la vie quotidienne en 20 ans, (un milliard d’êtres humains sortis de la pauvreté, excusez du peu !) à partir de la révolution économiquement libérale de Teng Tsiao Ping de 1978.
Sur le plan théorique il semble que ce petit livre ait ignoré les dangers du phénomène bureaucratico-étatique dont pourtant Marx voire Lénine et nombre de marxistes critiques, avaient prévu les dangers parasitaires, confirmés par l’histoire dramatique du socialisme réel, y compris en Amérique Latine chez Castro et Maduro. Si la recomposition des alliances de la domination du monde est bien une donnée indispensable à toute solution à l’avenir pour un monde qui éviterait le néofascisme, et si nos auteurs dessinent une issue macrosociologique possible, la question de la propriété collective, réelle ou non, des moyens de production reste bien centrale comme celle de la démocratie politique : qui dirigera l’Etat, les usines et les banques, les apparatchiks - parfois millionnaires - du PCC ou la population elle-même, maîtrisant l’autogestion et le dépérissement de l’Etat, comme y appelait Marx après la Commune ? Elinor Ostrom, prix Nobel, a rappelé la fiabilité opérationnelle des « communs ». Malgré toutes leurs tares, les capitalistes savent avec le marché maîtriser le fonctionnement des entreprises productrices de plus-value, ce que l’Etat n’a jamais su faire nulle part !
Aucune solution d’avenir sans se préoccuper de la question décisive de la propriété privée des moyens de production qui est à la source des dérives délétère de la société du profit. Leur propriété sociale authentique - l’autogestion - étant le remède jamais vraiment encore expérimenté. L’orientation présente des dirigeants autocratiques chinois ou russes (!) qui s’appuient sur leurs oligarques, peut aussi bien être interprétée comme parallèle à la vague réactionnaire, nationaliste et ploutocratique mondiale, de Salvini à Orban, Trump, le Pen et autres néo-fascistes (la solution finale en moins, pour des raisons politiques évidentes). Cette vague est encouragée sinon crée par la déplorable habitude des social-démocraties de rejoindre, une fois au pouvoir grâce à une démagogie socialiste préélectorale, les pratiques capitalistes les plus cyniquement sordides. (Mitterrand, Hollande, Schmidt, Blair, Renzi, Clinton, etc.)
S’il évoque le péril écologique, le livre ne se soucie pas de l’urbanisation capitaliste qui est pourtant son socle, le cadre physique de son irruption, comme à l’inverse, un urbanisme à visage humain serait le préalable à toute bonne vie quotidienne réconciliant l’homme avec une nature préservée. La voie hyperdense de Hong Kong ou de Singapour, suivie aveuglément par le PCC, a produit une méga densité stupide et oppressive qui se révèle invivable. Mes contacts dans les années 80 avec les urbanistes et politiques de Pékin, Shanghai et Canton ont été hélas infructueux : on me répondit alors que les réalisations sociales de Renaudie en banlieue parisienne seraient certes intéressantes pour la Chine mais pas avant quarante ans ! Comme s’il était innocent d’avoir à démolir les mille gratte-ciel construits entre l’hôtel de ville et l’aéroport de Shanghai, cette goutte d’eau dans la folle urbanisation chinoise ! Ils figent en effet une mauvaise vie, image physique, cristallisée, de l’aliénation capitaliste en assurant sa reproduction.
La question est : pour promouvoir un monde socialiste réalisant la bonne vie, l’analyse réaliste de la situation économique et financière mondiale est certes nécessaire, pour autant, elle ne peut se dispenser de celle des erreurs politiques du socialisme réel qui l’ont conduit partout à l’échec tragique. Le tout-Etat est aussi catastrophique que le tout-marché. Il faudrait donc bâtir une utopie sociale inédite, viable, partant du réel et la proposer au peuple pour qu’il crée ses organisations capables de porter son hégémonie. Les divers mouvements populaires, libertaires, certes momentanément défaits, qui ont saisi le monde arabe ou l’Europe et les Etats Unis ces dernières années, tendent à le confirmer : La solution est politique, depuis 1968, elle s’appelle l’autogestion des usines et des Etats, depuis la base populaire, les ateliers, les quartiers, les ronds-points !
En espérant qu’elle l’inscrive clairement à son programme, voter LFI aux européennes !, faute de mieux.
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